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Des zones d’ombre persistent sur le drame des vacanciers tués en mer à la frontière Algérie-Maroc

Le ministère de la Défense algérien a reconnu avoir récupéré un corps mais n’évoque aucune arrestation
Mohamed Kissi, le Franco-Marocain de 33 ans qui a donné sa version des faits, a été secouru par la Marine marocaine (capture d’écran Al Omk/TV5 Monde)
Mohamed Kissi, le Franco-Marocain de 33 ans qui a donné sa version des faits, a été secouru par la Marine marocaine (capture d’écran Al Omk/TV5 Monde)
Par MEE

Les circonstances dans lesquelles deux vacanciers, dont un Franco-Marocain, ont trouvé la mort le 29 août en mer à la suite de tirs attribués à des garde-côtes algériens n’apparaissent pas encore clairement, malgré les informations données par Rabat et Alger.

La version des faits diverge. Dimanche, le ministère algérien de la Défense nationale a évoqué dans un communiqué la présence de « trois jet-skis ayant franchi clandestinement les eaux territoriales algériennes ».

« Après avoir lancé un avertissement sonore et les avoir sommés de s’arrêter à plusieurs reprises, les mis en cause ont refusé d’obtempérer et ont pris la fuite en effectuant des manœuvres dangereuses », note le communiqué.

« Compte tenu que cette région maritime frontalière enregistre une activité accrue des bandes de narcotrafic et du crime organisé, et devant l’obstination des passagers desdits jet-skis, les personnels des garde-côtes ont procédé à des tirs de sommation. Après plusieurs tentatives, des coups de feu ont été tirés, contraignant un des jet-skis à s’immobiliser, alors que les deux autres ont pris la fuite », ajoute le communiqué.

Mohamed Kissi, un des survivants, a raconté à Al Omk, un média marocain, qu’ils s’était « perdus » puis « retrouvés en Algérie à court d’essence ». « Un zodiac noir algérien est venu vers nous et a commencé à zigzaguer comme s’ils voulaient nous renverser », a-t-il rapporté. « Ils ont tiré sur nous, ont tué mon frère et mon ami. Ils ont arrêté mon autre ami. »

Interrogations sur un des survivants. Selon le parquet d’Oujda, ville du nord-est du Maroc limitrophe de l’Algérie, les vacanciers étaient au nombre de cinq. Une enquête a été ouverte mercredi 30 août « sur la base de déclarations d’une personne disant avoir été victime avec quatre autres jeunes d’un incident violent en mer », a indiqué vendredi une source judiciaire à l’agence marocaine MAP.

Mohamed Kissi, le Franco-Marocain de 33 ans qui a donné sa version des faits, a été secouru par la Marine marocaine.

La première victime s’appelle Bilal Kissi. Jeudi, les images des funérailles de ce commerçant de 29 ans, père de deux jeunes enfants, ont été diffusées par les médias marocains.

Les funérailles de Bilal Kissi dans la ville de Saïdia, le 31 août 2023 (AFP)
Les funérailles de Bilal Kissi dans la ville de Saïdia, le 31 août 2023 (AFP)

L’autre victime est son cousin Abdelali Mechouer. Ce commerçant de 40 ans vivant en France et père d’un enfant de 5 ans était arrivé en France à l’âge de 10 ans. Il était titulaire d’une carte de séjour et travaillait comme commerçant. Selon le ministère algérien de la Défense nationale, son corps se trouve en Algérie.

Le lendemain du drame, vers 17 h, une patrouille des garde-côtes a découvert « un cadavre de sexe masculin non identifié ». Ce dernier « a été repêché, présentant un impact de balle par arme à feu. Le cadavre a été ensuite transféré vers la morgue de la polyclinique de Marsa ben M’hidi à Tlemcen », a précisé le ministère algérien de la Défense.

Selon le ministère français des Affaires étrangères, la quatrième personne, un des amis des victimes, Smaïl Nabi, a bien été arrêté par les garde-côtes algériens.

Des médias marocains affirme qu’il a été présenté devant un procureur. Le Conseil national des droits de l’homme (organisme officiel constitutionnel marocain, indépendant du gouvernement) a déclaré qu’il avait été condamné à une peine de prison de dix-huit mois.

Les autorités algériennes n’ont pas démenti mais ne font, dans leur communiqué, aucune allusion à une quelconque arrestation.

Enfin, le nom de la cinquième personne reste inconnu. Selon le Conseil national des droits de l’homme au Maroc, qui n’a donné ni son nom ni sa nationalité, elle se trouverait en « réanimation à Oujda ».

Inquiétudes sur le sort de la deuxième victime. L’Algérie va-t-elle rendre le cors d’Abdelali Mechouer à sa famille ? Le ministère ne s’est pas exprimé à ce sujet.

« On a enterré un frère et on veut récupérer le cadavre d’Abdelali, notre cousin, pour l’enterrer dignement et que sa mère puisse avoir le cœur apaisé », a déclaré un cousin de Bilal Kissi, dans une vidéo du site Al Omk.

Deux vacanciers marocains, dont l’un de nationalité française, tués en mer par des garde-côtes algériens
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La famille des deux vacanciers tués va déposer une plainte en France, pour « assassinat aggravé, tentative d’assassinat aggravé, détournement de navire et non-assistance à personne en danger », a annoncé un des avocats des proches des victimes.

« La rupture des relations diplomatiques entre le royaume du Maroc et la République algérienne, à l’initiative de cette dernière, ne saurait justifier la commission du moindre crime et, encore moins, l’impunité de ses auteurs », écrivent dans un communiqué Me Hakim Chergui et Me Ghizlane Mouhtaram, qui défendent la famille au Maroc.

« C’est la raison pour laquelle, contraints par le mutisme des autorités algériennes, sur le territoire desquelles les assassinats ont eu lieu, ils n’ont pas d’autres choix que de recourir à la justice française pour que toute la lumière soit faite sur ce drame d’une cruauté sans nom », ajoutent les deux avocats.

La famille Kissi sollicite « de toutes les parties concernées la plus grande des diligences afin de permettre la restitution à ses proches du corps d’Abdelali Mechouer, actuellement sous main de justice en Algérie, et sa mise en terre au Maroc, entouré de tous ceux qui l’ont connu et aimé, dans les plus brefs délais », font savoir les avocats.

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