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Algérie : l’héritage culturel au service de la mode

Des lignes de vêtements modernes s’inspirent de l’héritage traditionnel algérien et l’inscrivent dans l’air du temps. MEE a rencontré trois créateurs et créatrices qui ont à cœur de mêler histoire et mode
Hichem Gaoua porte l’une de ses créations à l’Institut français d’Alger lors de la Biennale algéro-française du design, le 27 juin 2021 (AFP/Ryad Kramdi)
Hichem Gaoua porte l’une de ses créations à l’Institut français d’Alger lors de la Biennale algéro-française du design, le 27 juin 2021 (AFP/Ryad Kramdi)

En Algérie, les habits traditionnels, et particulièrement ceux qui sont portés lors des grandes occasions, ont toujours le vent en poupe.

À titre d’exemple, la région de Tlemcen (nord-ouest du pays) est connue pour son costume nuptial, la chedda. À l’autre extrémité du pays, dans la région de Constantine, on retrouve la gandoura, une robe faite en velours épais, brodée au fil d’or.

Dans de nombreuses régions, les hommes portent la kachabia, une robe longue de couleur brune, le burnous, un grand manteau de laine à capuchon et sans manches, ou encore le saroual, un pantalon large utilisé également par les femmes.

Si toutes ces tenues révèlent le savoir-faire local et le rang social de la personne qui les porte, dans la majorité des villes, la modernité a néanmoins eu raison de certains vêtements du quotidien.

Face à ce constat, aujourd’hui, plusieurs jeunes créateurs s’accordent sur l’idée que l’habit n’est pas seulement un accessoire vestimentaire, mais bien une composante identitaire. Middle East Eye vous présente trois d’entre eux.

El Moustach, bouleverser les codes vestimentaires algériens

Hicham Gaoua est un artiste designer. L’homme de 42 ans, plus connu sous le nom de El Moustach, est imprégné de pop art et de culture urbaine. Ses travaux sont articulés depuis longtemps autour du patrimoine et de la mémoire collective.

Il porte aujourd’hui un projet baptisé The North African Streetwear (la mode de rue d’Afrique du Nord). S’inspirant de certains habits traditionnels, il a créé une collection de vêtements avec des tendances algériennes et nord-africaines.

« Djellaba, djebba, saroual et bien d’autres habits étaient portés autrefois par nos ancêtres dans la vie de tous les jours », explique Hicham Gaoua à Middle East Eye.

« Ce sont des tenues que l’on retrouve en Algérie, mais également en Tunisie, au Maroc et dans certains pays africains. Seulement, ils se sont figés dans le temps et sont devenus des tenues réservées aux occasions exceptionnelles. Je m’inspire de ces habits, et j’essaie de les projeter vers des trajectoires plus modernes, voire futuristes. »

El Moustach, super-héros du pop art made in Algérie
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Sa première collection s’intitule « Zenqa wear  » : «  Zenqa signifie rue en arabe nord-africain, l’ensemble pourrait être traduit par ‘’habit de la rue’’  », précise-t-il.

Facilité de mouvement, couleurs criardes, ses créations bouleversent les codes algériens. Parmi les vêtements revisités, la djellaba, une longue robe avec capuche pointue portée par les hommes : Hicham Gaoua l’a rebaptisée maqnin (le chardonneret), en référence à un oiseau très symbolique dans la culture populaire nord-africaine, qui se caractérise par son élégance et ses chants fluides et répétés.

« Maqnin intègre la grande capuche pointue qui dessine une forme très souple et presque aérodynamique, d’où la ressemblance avec le chardonneret. Dans mes créations, c’est la silhouette du vêtement traditionnel qui m’inspire, car c’est la chose la plus difficile à réussir. Je me suis donc approprié les découpes des vêtements anciens et j’ai créé mon propre modèle et style », précise l’artiste à MEE.

Pour Hicham Gaoua, l’habillement est un espace de communication qui donne une totale liberté d’expression à celui qui les dessine. Il estime que dans ce domaine, la modernité ne devrait pas faire table rase du passé, et qu’il est nécessaire de préserver le travail fait par les anciens, de le valoriser, et de l’inscrire dans l’air du temps.

Amira Tefridj, au croisement des influences

Originaire de Tidikelt dans la wilaya (préfecture) d’Adrar, au sud-ouest de l’Algérie, Amira Tefridj a travaillé pendant plusieurs années dans les relations publiques avant de lancer sa marque de vêtements.

C’est l’histoire d’une robe qui est à l’origine de son projet, baptisé El Jawali : « C’est le nom d’une robe que les femmes de ma région portent le lendemain des noces. La mariée, mais également les femmes de la famille du marié. C’est une façon de lui souhaiter la bienvenue dans sa nouvelle famille », explique-t-elle à MEE.

Entièrement faite de dentèle blanche, elle est ornée de bijoux en argent, d’une ceinture jaune serrée autour de la taille et de bien d’autres accessoires.

« Mais le plus intéressant dans cette robe, c’est qu’elle est portée par les habitants de Tidikelt, qui sont amazighs, africains et arabes », poursuit Amira Tefridj.

Traduction : « Cette couleur est universelle en toute saison. »

« Cette robe réunit autour d’elle diverses ethnies, et c’est l’idée de mon projet. Les vêtements que je conçois célèbrent l’élégance des femmes algériennes et africaines. Des tenues de tous les jours avec une touche traditionnelle qui rappelle une région et un savoir-faire. »

Ses deux premières collections, Amira Tefridj les a appelées Algerian Spirit et Tidikelt Spirit (esprit algérien et esprit de Tidikelt). Les tenues portent des influences africaines, qui se distinguent par leurs motifs et le tissu wax, textile africain en coton imprimé et coloré.

« La région de l’Adrar est proche du Mali et du Niger plus que de certaines villes algériennes. On a grandi avec la culture de ces pays africains, d’où mon utilisation du wax, qui existe dans ma région depuis les années 1950 », souligne Amira Tefridj.

Dans la seconde collection, elle entend « rendre hommage à la diversité de Tidikelt », dont elle est originaire. « Les tenues sont simples et élégantes, principalement faites en wax, et comportent des éléments traditionnels qui donnent aux vêtements une dimension patrimoniale. »

De manière plus générale, Amira Tefridj souhaite valoriser l’allure de la femme algérienne : « Je puise mon inspiration des tenues traditionnelles de tout le pays et je les intègre dans mes modèles. Le but est que chaque Algérienne soit une ambassadrice de notre culture et de la diversité de notre patrimoine vestimentaire. »

Amel Mohandi, à l’assaut des traditions kabyles

Après avoir travaillé pendant plusieurs années dans des médias audiovisuels en Algérie, Amel Mohandi a voulu rendre hommage à la tenue amazighe en lançant il y a quelques mois la marque Azar Dziri.

« Azar signifie en langage berbère ‘’racine’’, et Dziri, ‘’algérien''. Cette collection propose des vêtements confortables pour les femmes, avec des ornements qui renvoient à la tenue traditionnelle berbère », précise Amel Mohandi à MEE. Cette dernière a créé une série de tenues inspirées des robes kabyles « portées par les grands-mères ».

« Je suis originaire de Tifilkout, une commune de la wilaya de Tizi Ouzou, en Grande Kabylie. L’été dernier, j’ai remarqué que les filles du village avaient ressorti les vieilles robes kabyles et les portaient souvent avec des baskets. J’ai trouvé cela original et important dans la mesure où la modernité n’a pas eu raison de ce patrimoine vestimentaire. J’ai pensé qu’il serait intéressant d’imaginer des vêtements de tous les jours avec des détails ethniques », argumente-t-elle.

Amel Mohandi utilise les tissus, les broderies et d’autres éléments des robes kabyles, et les décline dans des habits modernes et confortables que ses clientes peuvent porter au quotidien. Pour réaliser cette collection, elle explique avoir mené un long travail de recherche auprès des femmes de son village.

« J’ai toujours porté la robe kabyle, seulement son histoire est beaucoup plus riche que je ne l’imaginais. Avant de lancer Azar Dziri, je suis allée à la rencontre des personnes âgées du village. Les grands-mères qui m’ont appris bien des choses. Par exemple, les tissus sur lesquels sont cousues les robes kabyles renvoient à des circonstances particulières : deuil, mariage, arrivée du printemps. Ces informations, on ne les trouve pas dans les livres, et pourtant, ce sont des composantes de notre identité », poursuit la jeune créatrice.

Pour Amel Mohandi, la tradition n’est que trop peu présente dans l’habillement moderne.

« Lors de mes participations à des rencontres à l’étranger, je reconnais la nationalité des invités grâce à leur tenue. Par exemple, le kimono des femmes japonaises se porte en toutes circonstances. Ce n’est pas le cas de certaines de nos tenues destinées à des occasions en particulier, notamment les mariages. L’idée d’Azar Dziri est de porter un patrimoine au quotidien », souligne-t-elle.

Cette alliance entre modernité et tradition semble séduire les Algériens. Confortés dans leurs projets par l’engouement que suscitent ces marques, les trois créateurs sont conscients que leurs recherches doivent être constantes. L’Algérie n’a, selon eux, pas encore livré tous ses secrets.

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