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Arabie saoudite : la famille d’un prisonnier politique disparu exige des réponses

Mohammad al-Qahtani, qui devait être libéré de prison l’année dernière, est porté disparu depuis plus de 100 jours. Son épouse et les organisations de défense des droits de l’homme craignent pour sa vie
Mohammad al-Qahtani après la septième audience dans le procès contre Hasm à Riyad, en Arabie saoudite, le 1er décembre 2012 (Sultan Alfifi/Wikimedia Commons)
Mohammad al-Qahtani après la septième audience dans le procès contre Hasm à Riyad, en Arabie saoudite, le 1er décembre 2012 (Sultan Alfifi/Wikimedia Commons)

Alors que le prisonnier politique saoudien Mohammad al-Qahtani se préparait à quitter la prison après y avoir purgé une peine de dix ans, il a demandé à sa femme, Maha al-Qahtani, de lui procurer un iPhone et deux sweats de l’université de l’Indiana, où il a obtenu son doctorat.  

Depuis les États-Unis où elle avait fui avec leurs enfants un mois avant l’arrestation de son mari le 9 mars 2013, Maha al-Qahtani a enchaîné avec les préparatifs pour sa libération, prévue pour fin novembre 2022.

Un mois avant la date tant attendue, Mohammad s’est volatilisé.

« Nous avions l’habitude de nous parler presque tous les jours, et soudain, il a cessé d’appeler »

- Maha, épouse de Mohammad al-Qahtani

« J’ai demandé [à l’administration pénitentiaire] s’il allait bien et on m’a répondu durement : “On ne sait pas ce qui se passe avec cet homme. On vous tiendra au courant.” », raconte Maha à Middle East Eye. « Et c’est tout, plus personne n’a répondu au téléphone. Personne ne m’a rappelée. »

Cela fait plus de 100 jours que Maha n’a plus de nouvelles de son mari. Elle n’a pas non plus été informée de l’endroit où il se trouve.

Le célèbre militant des droits de l’homme a été arrêté en 2012 pour son rôle dans la fondation de l’Association saoudienne des droits civils et politiques (ACPRA), aujourd’hui dissoute.

Comme d’autres membres de l’organisation, al-Qahtani a été condamné à une lourde peine de dix ans de prison en 2013. 

Le 22 novembre, jour où sa peine a pris fin, voyant qu’il n'était pas libéré, les organisations de défense des droits de l’homme et sa famille se sont inquiétées de son sort. 

« La dernière fois que je lui ai parlé, c’était le 23 octobre 2022 », rapporte Maha. « Nous avions l’habitude de nous parler presque tous les jours, et soudain, il a cessé d’appeler. »

Multiples chefs d’inculpation

Avant son arrestation, Mohammad était un éminent professeur d’économie et militant politique. En 2009, il comptait parmi les membres fondateurs de l’ACPRA (HASM en arabe) en 2009.

HASM était une association pionnière dans la société civile saoudienne, connue pour son indépendance vis-à-vis du gouvernement. Son activité se concentrait sur le soutien aux « prisonniers d’opinion » et la dénonciation de la torture dans les prisons saoudiennes, entre autres choses.

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Al-Qahtani, Abdullah al-Hamid (cofondateur de l’organisation) et Waleed Abu al-Khair (un de ses célèbres membres), ont reçu le Right Livelihood Award en 2018, pour « leurs efforts visionnaires et courageux, guidés par les principes universels des droits de l’homme, pour réformer le système politique totalitaire en Arabie saoudite ». 

Cependant, l’impact de HASM fut éphémère. 

En 2012, un tribunal a interdit l’organisation et a condamné ses cofondateurs al-Qahtani et al-Hamid à des peines de dix et onze ans de prison et à des interdictions de voyager respectivement de dix et cinq ans.

Les chefs d’inculpation étaient multiples : ils étaient notamment accusés de « semer des graines de sédition », de « rupture d’allégeance envers le souverain », de « mise en doute de l’intégrité des autorités », de « tentative de perturber la sécurité et d’incitation au désordre » et de « monter des organisations internationales contre le royaume ».

Plusieurs autres membres fondateurs de Hasm sont également derrière les barreaux, notamment Abu al-Khair et Mohammed al-Bajadi.

Abdullah al-Hamid (à gauche), Waleed Abu al-Khair (au centre) et Mohammad al-Qahtani (à droite) après une audience dans le procès contre Hasm à Riyad, en Arabie saoudite, le 24 novembre 2012 (Ahmed al-Osaimi/Wikimedia Commons)
Abdullah al-Hamid (à gauche), Waleed Abu al-Khair (au centre) et Mohammad al-Qahtani (à droite) après une audience dans le procès contre Hasm à Riyad, en Arabie saoudite, le 24 novembre 2012 (Ahmed al-Osaimi/Wikimedia Commons)

Maha confie que cette phrase sonnait comme un « rêve étrange » qu’elle espérait voir se terminer bientôt. Au moment où le tribunal a rendu son verdict, elle avait quitté le pays de peur que le gouvernement ne se serve d’elle contre son mari.

Enceinte, elle a emmené ses deux autres enfants aux États-Unis : la famille y avait déjà vécu alors que Mohammad terminait son doctorat en économie à l’Université de l’Indiana entre 1995 et 2002. 

« Je ne pouvais pas dire à tous mes enfants [ce qui s’était passé]. Quand je l’ai dit aux plus jeunes deux semaines plus tard, ils ont été choqués », raconte Maha à MEE par téléphone.

« Quand le juge a condamné mon mari pour la première fois, mes enfants m’ont demandé “Est-ce qu’il craint Allah ?”. Comment un juge musulman peut-il faire cela, se comporter ainsi et être aussi injuste ? »

Nouveau procès et problèmes de santé

Sans nouvelles de Mohammad, les organisations de défense des droits de l’homme craignent pour sa santé et la possibilité d’un nouveau procès, en particulier compte tenu du sort de certains anciens prisonniers politiques dans le royaume. 

Le collègue de Mohammad, Hamid, qui a été décrit comme un « activiste unique » dans l’histoire moderne de l’Arabie saoudite, est mort en prison en 2020, trois ans avant la date de sa libération. Des groupes de défense des droits de l’homme affirmaient que sa mort était le résultat de la « négligence médicale délibérée » des autorités saoudiennes.

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Mohammad a également été victime de négligence médicale et de menaces pour sa sécurité en prison, selon l’organisation de défense des droits de l’homme ALQST. 

En mai 2022, il a été agressé par un détenu atteint d’une maladie mentale. L’administration pénitentiaire « plaçait délibérément des prisonniers d’opinion » dans une aile pour les détenus souffrant de troubles mentaux, risquant ainsi leur vie, a déclaré l’organisation basé à Londres. 

On a également refusé à Mohammad des examens à l’hôpital et un traitement pour une maladie de peau dont il souffrait. 

Ensuite, la menace d’un nouveau procès pourrait expliquer la « dissimulation » de son sort par les autorités, selon Adel al-Saeed, un militant de l’Organisation européenne saoudienne des droits de l’homme (ESOHR).

Ce ne serait pas la première fois que l’Arabie saoudite rejugerait des militants des droits de l’homme.

L’année dernière, le militant Mohammed al Rabiah, qui avait purgé sa peine initiale de six ans d’emprisonnement, a été rejugé en octobre et condamné à dix-sept ans de prison. 

« Il est clair que le prince héritier Mohammed ben Salmane profite que le monde soit préoccupé par la guerre russo-ukrainienne pour liquider les dissidents dans le pays et alourdir les peines de prison »

- Adel al-Saeed, militant

« Il est clair que le prince héritier Mohammed ben Salmane profite que le monde soit préoccupé par la guerre russo-ukrainienne pour liquider les dissidents dans le pays et alourdir les peines de prison », affirme Adel al-Saeed à MEE, faisant référence à une récente multiplication des peines de prison « exceptionnellement sévères » infligées aux militants dans le royaume.

Le groupe de surveillance Prisoners of Opinion explique à MEE que la disparition forcée de prisonniers politiques saoudiens, même après la fin de leur peine, est « une méthode connue utilisée par les autorités du royaume pour réprimer les détenus, leurs familles et le public ».

« 2023 risque d’être sombre »

L’Arabie saoudite a une longue histoire de répression de la dissidence pacifique et de l’activisme. Mais depuis que Mohammed ben Salmane est devenu prince héritier et dirigeant de facto en 2017, les autorités ont été accusées de mener une politique « sans précédent » de répression « systématique ».

Dans son rapport annuel sur la situation des droits de l’homme en Arabie saoudite l’année dernière, l’ESOHR indiquait que les problèmes mondiaux en 2022, tels que les crises énergétiques et la guerre en Ukraine, ont permis la levée de « l’embargo diplomatique » imposé au prince héritier Mohammed ben Salmane à la suite du meurtre du chroniqueur du Washington Post et de MEE Jamal Khashoggi en 2018. 

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Enhardi par le manque de surveillance internationale, le « niveau d’oppression » de la part des autorités saoudiennes l’année dernière a augmenté, assure l’organisation basée à Berlin, avertissant que l’année « 2023 risque d’être sombre ». 

Selon Joshua Cooper, directeur exécutif adjoint de l’ALQST, la récente « répression intensifiée » montre « le coût de l’impunité » offerte au prince Mohammed ben Salmane en 2022. 

« Les autorités saoudiennes continuent de réprimer effrontément les voix de l’opposition, notamment en leur infligeant des peines d’emprisonnement d’une sévérité sans précédent, en les détenant longtemps après l’expiration de leur peine d’emprisonnement et en les soumettant à des interdictions arbitraires de voyager, de travailler et d’activité sur les réseaux sociaux lorsqu’elles sont libérées », énumère Joshua Cooper à MEE.

« Cela va à l’encontre de leurs revendications de réformes visant la libéralisation », ajoute-t-il. « Il n’y a pas d’explication. »

Les signes de répression civile et politique sous le règne de Mohammed ben Salmane étaient clairs dès le début.

Près de trois mois après son accession au pouvoir en juin 2017, la police saoudienne a arrêté des dizaines de prédicateurs, d’universitaires, de journalistes, d’hommes d’affaires et d’autres personnes dans le cadre d’une vaste répression. 

Décrits comme des « prisonniers d’opinion », beaucoup d’entre eux attendent toujours d’être condamnés tandis que d’autres risquent la peine de mort. Les responsables saoudiens affirment qu’il n’y a pas de prisonniers politiques dans le pays

Décrits comme des « prisonniers d’opinion », beaucoup d’entre eux attendent toujours d’être condamnés tandis que d’autres risquent la peine de mort. Les responsables saoudiens affirment qu’il n’y a pas de prisonniers politiques dans le pays.

Parmi eux figurait Awad al-Qarni, un éminent universitaire qui risque la peine de mort pour avoir notamment utilisé Twitter pour « exprimer ses opinions ».

« Les atteintes du gouvernement du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane ont franchi toutes les lignes rouges », assure à MEE Nasser, le fils d’Awad al-Qarni, qui a fui au Royaume-Uni en 2022. 

Parmi les accusations portées contre al-Qarni figure sa position sur les « jugements injustes contre d’autres détenus politiques », selon Nasser. 

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« Si des personnes comme le docteur al-Qahtani avaient été dans un autre pays, ils auraient occupé une position privilégiée pour leur travail universitaire et leur lutte pacifique pour les droits de l’homme », poursuit-il. 

Pour Maha, « l’injustice » est insupportable. « Il n’y a aucune explication à cela. Je ne sais pas ce qu’il a fait pour mériter dix ans », insiste-t-elle auprès de MEE, rappelant les années difficiles qu’elle et leurs enfants ont dû endurer pendant que Mohammad était derrière les barreaux. 

« Il s’implique avec les enfants. Même s’il est en prison, il essaie d’être proche d’eux », explique-t-elle. 

Son point faible est Leyla, la plus jeune des trois, qu’il n’a pas encore rencontrée.

« Il gâte trop Leyla », pleure Maha. « Si Leyla veut quelque chose, elle sait où aller, et son père ne dit jamais non. C’est le genre d’homme qu’est mon mari. Et maintenant, ils ne peuvent même plus lui parler au téléphone. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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