Abdallah al-Hamid, défenseur saoudien des droits humains et « héros national »
La mort, vendredi 24 avril, du professeur d’arabe Abdallah al-Hamid des suites de la détérioration de sa santé dans une prison saoudienne est à la fois choquante et révélatrice de la brutalité du gouvernement saoudien.
Né à Buraydah, dans la province centrale d’Al Qasim, Abdallah al-Hamid était un activiste dont la trajectoire politique remonte au début des années 1990, quand il est devenu un défenseur des droits de l’homme et un réformateur déterminé et obstiné militant pour un changement constitutionnel.
Hamid a connu la répression sous trois rois saoudiens : Fahd, Abdallah et Salmane
Diplômé du département de langue arabe de l’Université de Riyad en 1971, il a ensuite obtenu un doctorat de l’université Al-Azhar en Égypte dans le domaine de la critique littéraire. En plus d’enseigner la littérature arabe, Abdallah al-Hamid était un poète de renom.
En 1993, il fut l’un des six membres fondateurs du Comité pour la défense des droits légitimes (CDLR) et a été arrêté le 15 juin. Il a ensuite été arrêté puis libéré à trois reprises entre 1993 et 1996.
La prison est devenue sa deuxième maison, car au cours des 27 dernières années, il fut tour à tour arrêté et relâché. Hamid a connu la répression sous trois rois saoudiens : Fahd, Abdallah et Salmane.
En 2009, Hamid a défié les interdictions visant la société civile et, avec d’autres collègues et militants, a annoncé la création de l’Association saoudienne des droits civils et politiques (HASM en arabe).
Après plusieurs années passées à défendre son projet politique devant les tribunaux saoudiens, Hamid a été condamné en 2013 à onze ans de prison, en plus de six autres d’une peine antérieure, suivis d’une interdiction de voyager après sa libération.
Il est décédé avant sa libération.
Dénoncer la torture dans les prisons saoudiennes
Contrairement à d’autres groupes de la société civile saoudienne, son association était une véritable organisation non gouvernementale et, sans surprise, n’avait pas prêté allégeance à la famille royale. Sa mission était de défendre les droits humains et politiques et d’appeler à une réforme politique. Son activisme se concentrait sur les prisonniers d’opinion et il dénonçait la torture dans les prisons saoudiennes.
Mais la contribution la plus appréciée de Hamid à cette lutte politique a été son approche qui consistait à considérer les droits comme centraux dans la tradition islamique. Il appartenait à une longue tradition de réformisme islamique que le gouvernement saoudien était déterminé à réprimer, à criminaliser et à viser de la manière la plus brutale, de peur que ce discours séduise.
Contrairement aux djihadistes salafistes, Hamid et ses camarades ont insisté sur le djihad silmi (une lutte pacifique pour protéger la société des excès de pouvoir) en déployant la résistance civile, les manifestations, les grèves et les sit-in.
Le djihad pacifique repose sur un travail difficile et risqué. Il doit être exécuté dans l’intérêt collectif des musulmans et dépourvu de tout désir personnel de recherche de richesses et de privilèges.
Le djihad d’Abdallah al-Hamid était interprété par l’expression jihad al-kalima. Dans plusieurs fascicules, il a expliqué que le djihad militaire pouvait être nécessaire pour défendre le pays contre les menaces extérieures, mais que seul le djihad pacifique en interne pouvait conduire à fortifier les structures de la justice et le respect des droits.
Il a également défendu le droit des Saoudiens à organiser des manifestations et a prouvé que le concept islamique de rahat, la foule pacifique qui se rassemble dans l’espace public pour revendiquer des droits et dénoncer l’injustice, est un droit central de l’islam.
Cela a bien sûr mis en colère les salafistes officiels de l’establishment, qui ont toujours appelé les gens à « chuchoter à l’oreille du sultan » s’ils voulaient exprimer leur opinion. Ce chuchotement, autrement connu sous le nom de conseil secret, est devenu un label des salafistes officiels.
Hamid a prouvé que les manifestations étaient des actions légitimes de l’islam permettant aux gens de s’engager dans la politique
Mais Hamid a prouvé que les manifestations étaient des actions légitimes de l’islam permettant aux gens de s’engager dans la politique et de corriger les injustices. Il était donc détesté par les érudits religieux officiels, les juges et surtout l’establishment.
Ses compétences en langue arabe et sa connaissance de la tradition islamique, associées à son aspiration d’une société juste, lui ont permis de réinterpréter les textes islamiques et de les combiner à un discours universel sur la démocratie, la société civile et les droits de l’homme. Il était un véritable intellectuel et un avocat islamique.
Exemple durable
L’activisme de Hamid a pris fin en mars 2013 lorsqu’il a été arrêté avec plus d’une douzaine de collègues. Le HASM a été officiellement dissous par une décision de justice et ses fondateurs sont restés en prison sans grâce royale à l’horizon.
Les accusations saoudiennes contre Abdallah al-Hamid étaient un ensemble de déclarations vagues où il lui était reproché de semer les graines de la discorde et des conflits, de remettre en question l’indépendance de la magistrature saoudienne et du Conseil supérieur des oulémas, de décrire le régime saoudien comme un État policier et de monter l’opinion publique contre les services de sécurité et de renseignement et, surtout, contre le dirigeant musulman légitime d’Arabie saoudite.
Quand le frêle Hamid s’est présenté devant le tribunal pendant ses procès et s’est défendu dans une prose éloquente et convaincante, il a émergé comme un ardent défenseur des droits de l’homme.
Sa propre défense s’est faite sur les réseaux sociaux grâce à des partisans qui avaient intégré un nouveau langage lié aux droits, supprimé sous les auspices de la religion officielle de l’État, à savoir la tradition wahhabite salafiste, ses juges et ses universitaires.
Le projet de Hamid restera vivant même après sa mort.
Le langage des droits restera le témoignage de ses approches nuancées et de sa lutte acharnée pour faire passer l’Arabie saoudite d’une monarchie absolue à un État constitutionnel dans lequel les droits des citoyens sont garantis.
Hamid a défini les droits dans une langue religieuse plutôt que dans des concepts importés. Il a fusionné la tradition avec de nouvelles significations qui promettaient le respect des droits de l’homme, de la propriété et du droit de se défendre contre la brutalité du système judiciaire et de la monarchie.
Alors que le gouvernement saoudien a ouvert des centres de réhabilitation et des forums de rééducation à destination de ses combattants violents qui ont perpétré des attaques entre 2003 et 2009, Hamid a été maintenu en prison simplement parce qu’il s’est révélé plus dangereux que leur violence pure et simple.
Sa longue peine de prison reflétait la crainte du gouvernement de l’islam réformiste et du langage de la résistance pacifique. Tandis que les centres de réhabilitation cinq étoiles pour les combattants extrémistes, que le régime a popularisés comme fleuron de ses efforts dans la lutte antiterroriste, servaient la propagande officielle, des réformateurs pacifiques étaient incarcérés dans la tristement célèbre prison d’al-Hayer.
Abdallah al-Hamid tentait de briser les lignes établies entre les groupes idéologiques qui s’étaient rejetés dans le passé (islamistes et libéraux, par exemple). Il rejetait également le clivage sectaire entre sunnites et chiites et s’efforçait de défendre tous les prisonniers d’opinion, en plus des immigrants en Arabie saoudite.
Il rejetait l’inégalité entre les sexes et considérait les femmes comme des citoyennes égales, bien avant que le gouvernement n’approuve officiellement les droits des femmes. Il croyait fermement aux droits pour tous et était un véritable héros national.
Le voyage vers une société juste, un gouvernement transparent et une représentation politique en Arabie saoudite se poursuivra même après sa mort. On se souviendra de lui comme d’un réformateur courageux, déterminé et obstiné.
Alors que beaucoup de ses collègues sont toujours en prison, y compris l’économiste Mohammed al-Qahtani, l’avocat Waleed Abu al-Khair et bien d’autres, la peine de prison dure et cruelle et sa mort rappellent jusqu’où le gouvernement saoudien peut aller pour faire taire les réformateurs pacifiques, en particulier ceux qui suivent la voie difficile et dangereuse d’Abdallah al-Hamid.
Traduit de l’anglais (original).
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