Arabie saoudite : arrêtée puis relâchée, une Américaine voit sa situation s’aggraver
Une citoyenne américaine prise au piège en Arabie saoudite et engagée dans un combat pour la garde de sa fille de 8 ans a été temporairement placée en détention par les autorités cette semaine avant d’être libérée de prison « tard dans la nuit » de mardi à mercredi, selon ses propos à l’AFP.
Carly Morris et sa fille Tala se trouvent dans le royaume du Golfe depuis que son ex-mari de nationalité saoudienne les a persuadées de l’accompagner dans le pays en 2019.
Lundi, la mère de famille avait été placée en détention après avoir été convoquée par la police à Buraydah (Centre), afin de donner des précisions sur des documents, selon le groupe de défense des droits de l’homme basé à Washington The Freedom Initiative.
Un combat pour la garde de sa fille
Le porte-parole du département d’État américain Ned Price a déclaré que Washington était « au courant des informations faisant état du placement en détention de Mme Morris ».
« Chaque fois qu’une personne est placée en détention à l’étranger, nous cherchons à obtenir un accès immédiat pour rendre visite à cette personne, pour lui apporter toute l’assistance consulaire appropriée », a-t-il indiqué mardi lors d’une conférence de presse.
« Notre ambassade à Riyad est très engagée dans cette affaire. Elle suit la situation de très près. »
Morris a rencontré son mari en 2012 alors qu’il se trouvait aux États-Unis dans le cadre de ses études. Le couple a divorcé après cinq ans de mariage en 2018.
Après avoir accepté de passer des vacances en Arabie saoudite à l’été 2019 pour présenter Tala à la famille de son père, l’homme a saisi leurs documents et a refusé de les leur rendre.
Il a ensuite réservé une chambre d’hôtel, où la mère de famille et sa fille vivent depuis plus de trois ans.
Il y a quelques mois, Carly Morris a raconté à Middle East Eye que le 30 mars, son ex-mari était venu chercher Tala et ne l’avait pas rendue.
« Je n’arrive pas à croire qu’ils aient pu prendre une enfant à sa mère. Je ne savais même pas où était ma fille. Je ne savais pas où ils l’avaient emmenée », confiait-elle.
« Je ne savais même pas si elle était en vie. Je suis restée assise dans cet appartement d’hôtel tous les jours pendant deux mois sans savoir où était ma fille. Et ils ignoraient chacun de mes appels téléphoniques et de mes messages. C’était d’une cruauté absolue. »
« La détention de Carly Morris nous montre désormais que trois citoyens américains sont derrière les barreaux en Arabie saoudite »
– Allison McManus, directrice de recherche pour The Freedom Initiative
Trois mois plus tard, la police a finalement rendu Tala à sa mère. Durant cette période, Carly Morris a découvert que son ex-mari préparait un dossier pour récupérer la garde de leur fille. Elle a rédigé une lettre de seize pages à l’intention du tribunal saoudien. Le 23 août, celui-ci lui a accordé la garde exclusive de sa fille.
La citoyenne américaine a fini par récupérer son passeport, mais elle a découvert que son ex-mari avait converti la nationalité américaine de Tala en nationalité saoudienne, expliquait-elle.
Une fois libérée, Carly Morris s’est réjouie d’avoir retrouvé sa fille, mais elle a accusé son mari d’avoir « volé » toutes leurs affaires, pendant son absence. « Nous n’avons pas d’habits, pas de chaussures… Il a tout pris. »
« Mettre un terme aux abus à l’encontre des femmes »
Ainsi, si Carly Morris peut techniquement quitter le pays, sa fille ne peut pas partir sans la permission de son père en raison du système de tutelle légale masculine en vigueur en Arabie saoudite.
Lorsqu’une fille naît, son père est son tuteur légal jusqu’à ce qu’elle soit mariée : son mari devient alors son tuteur légal. Les femmes doivent obtenir l’approbation de leur « tuteur » pour demander un passeport, voyager et occuper un emploi rémunéré. Ces règles s’étendent aux étrangères qui épousent un Saoudien, comme Carly Morris.
Depuis plusieurs mois, la jeune femme s’exprime sur les réseaux sociaux pour demander l’aide des autorités saoudiennes et américaines.
Selon The Freedom Initiative, la mère de famille s’est vu imposer une interdiction de voyager après avoir été convoquée par le procureur général de la province d’al-Qassim (Arabie saoudite) le 15 septembre. Elle a été accusée de « trouble à l’ordre public », un chef d’accusation couramment employé contre les personnes qui s’expriment d’une manière jugée critique à l’égard des autorités.
Le compte Twitter de Carly Morris a été supprimé lundi après son entrée au poste de police de Buraydah.
Cette affaire est intervenue dans un contexte de tensions entre Ryad et Washington, après la décision des pays exportateurs de pétrole, menés par Riyad, de réduire leur production de brut, au moment où la Maison-Blanche cherchait au contraire à faire baisser les prix à la pompe.
« La détention de Carly Morris nous montre désormais que trois citoyens américains sont derrière les barreaux en Arabie saoudite, signe supplémentaire que l’Arabie saoudite ne considère tout simplement pas les États-Unis comme un allié », a déclaré Allison McManus, directrice de recherche de The Freedom Initiative.
« Avant d’entendre parler à nouveau d’un partenariat stratégique avec l’Arabie saoudite, il faut mettre un terme aux abus à l’encontre de citoyens américains. Il faut mettre un terme aux abus à l’encontre de femmes et d’enfants dont le seul crime est d’être de sexe féminin. »
« Ils peuvent faire ce qu’ils veulent, ils ont déjà fait le pire en me mettant en prison, je ne quitterai jamais ce pays sans mon enfant », a affirmé Carly Morris en parlant de la famille de son ex-mari.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation et actualisé.
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