Courageux et indispensables, sept films israéliens explorent la cause palestinienne
Depuis le 7 octobre, pour tenter de situer le contexte de la guerre actuelle, plusieurs articles publiés dans un large éventail de médias ont répertorié des films susceptibles d’aider le spectateur non averti à mieux comprendre les différentes dimensions du conflit israélo-palestinien.
La majorité de ces articles évoquaient des films palestiniens familiers, notamment Couvre-feu (1994), Paradise Now (2005), Cinq Caméras brisées (2011), Farha (2021) ainsi que d’innombrables documentaires réalisés par des cinéastes européens sur Gaza, tels que Né à Gaza (2014), Samouni Road (2018), Tears of Gaza (2010) et Gaza Fights for Freedom (2019).
Aussi admirables et francs soient-ils, ces films ont été, comme on pouvait s’y attendre, accusés de parti pris.
Ces œuvres souvent citées se concentrent principalement sur l’expérience palestinienne que le monde connaît et observe sans rien faire depuis plusieurs décennies maintenant.
Pour les besoins de cet article, et afin d’éviter l’accusation de partialité qu’impliquerait le fait de se concentrer uniquement sur des voix palestiniennes, nous avons choisi de mettre en avant un groupe de films israéliens.
Tous ont été réalisés par des cinéastes israéliens et jettent un éclairage différent sur le conflit, tout en offrant des clés de compréhension plus approfondies de ce qui nous a menés à ce moment dévastateur de l’histoire.
Deux critères principaux ont été retenus pour établir cette liste : d’une part, la minutie et l’ingéniosité cinématographique dans le traitement des sujets abordés, de l’autre, une confiance irréfutable dans la position éthique de ces cinéastes à l’égard de la cause palestinienne.
Chacun de ces films est un fragment d’une grande mosaïque qui révèle un État en faillite morale dont les politiques mises en œuvre depuis des décennies nous ont conduits là où nous en sommes aujourd’hui.
Les efforts de ces cinéastes sont aussi indispensables que ceux de leurs homologues palestiniens.
Les 54 Premières Années : manuel abrégé d’occupation militaire (2021)
Aucun cinéaste israélien n’a été aussi résolument et ouvertement antisioniste que le grand documentariste et satiriste basé à Paris Avi Mograbi.
Le réalisateur aguerri est membre fondateur de la célèbre organisation Breaking the Silence, une initiative fondée par un groupe d’anciens soldats dont le but est de documenter les violations des droits de l’homme commises par l’armée israélienne à l’encontre des civils palestiniens en Cisjordanie occupée, à Jérusalem-Est et à Gaza.
L’humour noir et le ton colérique caractéristiques de Mograbi s’effacent dans ce documentaire sobre, direct et factuel sur la façon dont Israël a réussi à prendre le contrôle total des territoires occupés depuis la guerre de 1967.
Les entretiens avec 38 soldats israéliens sont ponctués des commentaires arides du réalisateur sur les stratégies utilisées par le gouvernement israélien pour annexer les terres arabes.
Mograbi souligne deux faits fondamentaux et souvent oubliés. Le premier est que la résolution 242 de l’ONU (1974), qui exige qu’Israël se retire des territoires palestiniens occupés, a été délibérément ignorée par presque tous les gouvernements israéliens successifs.
Deuxièmement, que les éruptions successives de violence à grande échelle qui ont commencé avec la première Intifada en 1987 sont une conséquence directe de la politique d’annexion continuellement poursuivie par Israël.
Tout aussi révélateur est le fait que l’État sioniste utilise la violence dont il est l’instigateur pour se présenter au monde comme une victime.
À la fin du film, Mograbi montre clairement que tout espoir d’une solution juste à deux États n’a été qu’une illusion fabriquée par Israël – que la restitution des terres volées et l’octroi aux Palestiniens du droit à l’autodétermination n’ont jamais été sur la table.
Ironique, féroce et terriblement précis, Les 54 Premières Années est l’un des documents historiques les plus importants et les plus complets sur le conflit.
La Loi des plus forts (2011) et The Viewing Booth (2019)
Comme Mograbi, le cinéaste Ra’anan Alexandrowicz s’est lui aussi expatrié, il est aujourd’hui basé à Philadelphie. Brillant documentariste, son travail introspectif se distingue par l’attention qu’il porte aux limites du médium.
Alexandrowicz a connu un succès mondial avec son film primé à Sundance La Loi des plus forts, un examen accablant du système juridique israélien dont le but est de faire respecter l’ordre plutôt que la justice, comme le dit l’une des personnes interviewées.
Dans ce documentaire composé d’entretiens avec des juges militaires à la retraite, Alexandrowicz, comme Mograbi, prend la guerre de 1967 comme point de départ pour enquêter sur le cadre juridique responsable de l’assujettissement systématique des Palestiniens et de la légalisation des colonies en dehors de Jérusalem.
Du traitement raciste des Arabes sponsorisé par l’État à l’essor de la « détention administrative », selon laquelle les accusés peuvent être détenus indéfiniment sans inculpation, Alexandrowicz met à nu un système judiciaire sectaire qui n’a cessé de déshumaniser les Palestiniens.
Il mène les interviews devant un grand écran où sont projetées les images de faux procès et des vidéos oppressantes des violences et des humiliations que les Palestiniens subissent depuis des décennies.
Alexandrowicz oblige ses sujets à affronter les répercussions des lois qu’ils ont élaborées. Certains admettent leur culpabilité dans l’oppression et le sang versé depuis plus d’un demi-siècle ; d’autres adoptent une position plus réservée, refusent d’être jugés et se défendent de toute culpabilité tangible.
Le succès de La Loi des plus forts n’a entraîné aucun changement politique en Israël, ce qui a poussé Alexandrowicz à prendre une longue pause et à remettre en question l’efficacité et l’impact du médium cinématographique.
Huit ans plus tard, il a réalisé The Viewing Booth. Tout aussi inquisiteur, le film est fondamentalement une expérience de laboratoire centrée sur la réaction d’une étudiante juive américaine à des images diffusées par B’Tselem – une ONG basée à Jérusalem qui documente les violations des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés – et à des vidéos de propagande diffusées par l’armée israélienne.
La compassion que les étudiants expriment initialement à l’égard des images éprouvantes des violations commises par les Israéliens envers les civils palestiniens est progressivement remplacée par le doute, puis par l’apathie.
L’étudiante filtre les images selon ses convictions, mettant petit à petit un voile sur ses incertitudes et s’empêchant finalement d’envisager une autre vérité que celle en laquelle elle croit depuis longtemps.
« Peut-être que lorsque nous remettons en question ce que nous voyons, cela renforce ce en quoi nous croyons », dit-elle. « Peut-être qu’en fait, B’Tselem m’aide. »
Ce climat de défiance, de foi aveugle en la justice sioniste, est un corollaire de l’État ségrégationniste à la Jim Crow créé par les législateurs de La Loi des plus forts. Dès lors, la possibilité d’un changement réel est de plus en plus lointaine, laisse entendre le film.
Les Colons (2016)
Le long métrage documentaire de Shimon Dotan, réalisateur israélien né en Roumanie, est de loin l’entrée la plus enrageante de cette liste.
Il pose à ses sujets une question simple : qu’est-ce qu’un colon ? La plupart des réponses qu’expriment les sujets au cours du film sont troublantes par leur racisme pur et simple, leur ignorance et le sentiment que tout leur est dû, elles sont désespérantes par leur doctrine malsaine et inébranlable.
Tout comme Alexandrowicz et Mograbi, Dotan prend 1967 comme point de départ de l’expansion des colonies, soulignant le rôle du rabbin Zvi Yehouda Kook dans la légitimation religieuse du mouvement.
Les restrictions à la colonisation brièvement appliquées sous le règne de Yitzhak Rabin dans les années 1990 ont vite été jetées à la poubelle, d’abord par Ariel Sharon, puis par les régimes ultérieurs.
Si Dotan intègre dans son récit chronologique des images d’archives et des entretiens avec des militants de gauche et des universitaires israéliens critiques, le film reste centré sur les entretiens horrifiques avec les colons.
La plupart des sujets interrogés sont des fanatiques religieux qui revendiquent sans vergogne leur droit divin à la terre, tandis d’autres traitent les terres palestiniennes prises de force comme rien de plus que des logements abordables.
Partout, les droits spoliés des Palestiniens sont absents des pensées des colons – rejetés, refusés, ignorés. L’approbation des colonies par le gouvernement confère aux agressions, au sectarisme et à la corruption des colons une protection juridique qu’aucun Palestinien n’est en mesure de contester.
Danton met en lumière une réalité israélienne familière sur laquelle l’Occident a choisi de fermer les yeux.
Tantura (2022)
La Nakba reste un sujet tabou, même pour les artistes israéliens les plus à gauche. Alon Schwarz brise ce long silence avec un documentaire obsédant qui raconte le massacre peu connu qui a eu lieu en 1948 à Tantura, village palestinien en bord de Méditerranée : des centaines de Palestiniens y ont été assassinés puis enterrés dans des fosses communes par la brigade Alexandroni de l’armée israélienne.
L’origine du projet remonte aux recherches menées par un étudiant en master d’histoire, Teddy Katz, à la fin des années 1990, au cours desquelles il a réussi à interroger des soldats témoins ou impliqués dans le massacre.
Lorsque les découvertes de Katz ont été rendues publiques, les soldats sont revenus sur leurs aveux et ont mis fin à la carrière du chercheur.
Mais ce dernier a partagé les enregistrements des soldats avec Alon Schwarz, et ce sont ces entretiens qui constituent la base de ce brûlot.
Le documentariste a en outre interrogé plusieurs soldats survivants : certains ont décrit les meurtres qu’ils ont supervisés, d’autres ont admis avoir participé aux tueries. Aucun n’exprime de remords, aucun ne fait preuve d’humanité envers les hommes assassinés qui restent à ce jour enterrés dans des tombes anonymes.
Tantura n’est pas The Act of Killing, film documentaire sur les massacres de 1965 en Indonésie, dans lequel les meurtriers reconnaissent la gravité de leurs actes. En Israël, la fin justifie les moyens et tous les crimes sont pardonnés dans le but suprême de construire la nation.
L’erreur historique la plus importante que Schwarz rectifie est l’idée selon laquelle les Palestiniens se sont simplement « enfuis », comme il le dit, lorsque l’armée israélienne est venue prendre leur terre.
L’État d’Israël, dénonce le film, s’est édifié sur le sang versé : du sang qui n’a jamais cessé de couler.
Et tant que les atrocités historiques commises par cette nation suffisante ne seront pas reconnues officiellement, ce cycle de violence ne s’arrêtera pas.
Jaffa, la mécanique de l’orange (2009)
Moins immédiat, le film d’essai contemplatif d’Eyal Sivan, cinéaste basé en Europe, sur l’appropriation des emblématiques oranges palestiniennes par l’agriculture israélienne et leur exportation dans le monde entier n’en est pas moins puissant.
Mêlant images d’archives, photographies et entretiens avec des universitaires et des témoins de l’époque, Sivan examine affectueusement les années d’avant 1948, lorsque juifs et Palestiniens vivaient en relative harmonie les uns à côté des autres. La Nakba a tout bouleversé.
Même si les juifs ne possédaient que 7 ou 8 % des terres de Jaffa, les forces israéliennes en ont chassé les Palestiniens, prenant le contrôle total de la ville et s’appropriant leurs récoltes.
Jaffa est devenue un symbole de la propagande sioniste – la pierre angulaire du mythe de la terre désertique palestinienne que les Israéliens ont su cultiver lorsqu’ils ont pris le pouvoir.
Elle est devenue le symbole du « désert que nous avons fait fleurir » dans cette « terre sans peuple pour un peuple sans terre », comme le disent les tristement célèbres slogans sionistes.
Sivan décrit la création de l’État d’Israël en 1948 comme une grande entreprise colonialiste qui a exploité tous les moyens possibles pour se créer une image nationaliste glorifiée saturée de désinformation.
Petit à petit, le film donne à entendre que les tactiques utilisées par l’État israélien pour renforcer son contrôle sur le territoire sont les mêmes que celles sur lesquelles la machine de propagande sioniste continue de s’appuyer aujourd’hui : le détournement de l’image, la déformation de l’histoire et le vol et l’effacement de l’identité palestinienne.
Le rôle joué par les Britanniques dans la promotion des colonies juives en 1938 afin de maintenir leurs importations d’agrumes rappelle à quel point les forces colonialistes occidentales ont contribué à la dépossession des Palestiniens.
Et il y eut un matin (2021)
C’est le film le moins évident de la liste. La dimension politique de la comédie noire surréaliste d’Eran Kolirin n’est pas aussi conflictuelle que les titres précédents ; ses thèmes politiques sont animés par un scénario subversif qui met au jour la dure réalité de l’existence palestinienne en Israël.
Inspirée d’un roman éponyme de l’écrivain palestinien controversé Sayed Kashua, né à Tira, dans la région du Triangle en Israël, l’intrigue du film est centrée sur Sami (Alex Bakri), un cadre informatique de la classe moyenne qui mène une vie confortable à Jérusalem jusqu’au jour où il se retrouve bloqué dans le village arabe de son enfance en raison d’un blocus militaire imposé pour des raisons jamais entièrement expliquées.
Sami, qui s’était éloigné de sa communauté, se rend peu à peu compte que le style de vie prospère qu’il mène ne fait que dissimuler une existence fragile et jetable dans une société où il sera toujours traité comme un citoyen de second ordre.
Le film est à la fois un examen de la ghettoïsation dont font l’objet les citoyens palestiniens d’Israël et une étude incisive du sentiment d’être pris au piège et de la cruauté que l’on ressent quand on est dans l’incapacité de prendre en main son destin.
Et il y eut un matin est sans doute la représentation la plus compatissante, la plus perspicace et la plus pénétrante de la vie des Palestiniens par un cinéaste israélien.
Avec un casting entièrement composé d’artistes palestiniens, Et il y eut un matin souligne que les Palestiniens ne pourront jamais vivre une existence humaine normale tant que la position d’Israël envers sa minorité abhorrée restera inchangée.
Traduit de l’anglais (original).
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