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France : la menace de Darmanin contre la Ligue des droits de l’homme déclenche polémique... et dons

La société civile et l’opposition de gauche dénoncent les propos du ministre de l’Intérieur sur le bienfondé des subventions attribuées à l’association, contre-pouvoir historique en France
« Je ne connais pas les subventions données par l’État mais je pense que ça mérite d’être regardé dans le cadre des actions qu’ils [les militants de la LDH] ont pu mener et je rappelle que beaucoup de collectivités locales les financent », a déclaré Gérald Darmanin (AFP/Christophe Archambault)
« Je ne connais pas les subventions données par l’État mais je pense que ça mérite d’être regardé dans le cadre des actions qu’ils [les militants de la LDH] ont pu mener et je rappelle que beaucoup de collectivités locales les financent », a déclaré Gérald Darmanin (AFP/Christophe Archambault)
Par MEE

« Une attaque contre la démocratie ». « Une alarmante dérive vers l’extrême droite ». « La France a basculé dans un régime autoritaire ». Les propos du ministre de l’Intérieur français au sujet de la Ligue des droits de l’homme (LDH) n’en finissent pas de susciter des réactions.

Mardi 5 avril, Gérald Darmanin a été auditionné devant le Sénat par la commission des loi sur le maintien de l’ordre au sujet des affrontements à Sainte-Soline entre les forces de l’ordre et les manifestants qui protestent contre l’installation de méga-réserves d’eau.

Alors que les rapports de la préfecture et de la gendarmerie ont défendu une riposte ciblée et proportionnée face à 800 à 1 000 manifestants « radicaux », la Ligue des droits de l’homme, qui avait déployé ces dernières semaines des observateurs citoyens lors de manifestations pour, entre autres, documenter le dispositif de maintien de l’ordre, a dénoncé au contraire « un usage immodéré » de la force contre l’ensemble des manifestants.

Lors de son audition, le ministre de l’Intérieur s’est interrogé sur les « actions » menées par la LDH dans ce cadre et sur les subventions qui lui étaient accordées par l’État.

« Je ne connais pas les subventions données par l’État mais je pense que ça mérite d’être regardé dans le cadre des actions qu’ils [les militants de la LDH] ont pu mener et je rappelle que beaucoup de collectivités locales les financent », a-t-il souligné.

Gérald Darmanin a également fait valoir que « le tribunal de Poitiers lui-même n’[avait] pas reconnu le statut d’observateur à la LDH » à Sainte-Soline, que l’association avait « attaqué l’arrêté de la préfète qui empêchait le transport d’armes » (plus précisément, l’interdiction « d’armes par destination » qui selon l’ONG méconnaît la jurisprudence du Conseil constitutionnel refusant l’extension a priori de la notion d’arme à tout objet pouvant être utilisé comme projectile), et avait « appelé à manifester malgré l’interdiction ».

« L’État voudrait contrôler nos actions »

La société civile et l’opposition de gauche ont aussitôt condamné cette déclaration.

La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), qui rassemble 188 ONG de défense des droits de l’homme dans le monde, a aussi exprimé son soutien à la LDH en accusant le ministre de vouloir s’attaquer « au fonctionnement démocratique ».

À l’antenne de BFM TV, Patrick Baudoin, président de la LDH, s’est défendu : « Les finances sont contrôlées, elles sont publiques […], et on est contrôlés, c’est tout à fait normal puisqu’on reçoit des subventions. »

Il estime en revanche que la remise en question des actions menées par la LH « pose problème ».

« L’État voudrait contrôler nos actions alors que nous sommes une association de la société civile qui est un contre-pouvoir. Qui dit contre-pouvoir dit que nous pouvons contester les dérives en matière de violation des droits de la part des gouvernants. Est-ce qu’il [Gérald Darmanin] veut nous bâillonner ? », a-t-il commenté.

« Cette attaque est intolérable de la part du ministre d’un gouvernement aussi peu préoccupé des droits humains », a dénoncé l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) dans un communiqué.

« Elle est d’autant plus insupportable qu’elle survient dans un contexte délétère d’atteinte à la liberté d’expression que l’AFPS a récemment dénoncé, avec dix-huit autres organisations, au travers d’une lettre ouverte adressée à la Première ministre le 13 mars. Cette lettre ouverte est toujours sans réponse à ce jour. »

30 000 euros de dons en 24 heures

Le député Les Républicains (droite) Aurélien Pradié a parlé ce mardi sur France Info de « double responsabilité ».

« Je pense que la Ligue des droits de l’homme, depuis quelques années, s’est totalement perdue. Ils [les militants] ont mené des combats qui ne sont pas des combats à la hauteur de leurs valeurs », a-t-il commenté, en faisant allusion à son positionnement en faveur du droit au port du voile intégral ou en soutien au Collectif contre l’islamophobie en France, dissous.

Mais il s’est aussi insurgé contre la volonté de contrôler les subventions de la LDH : « On est dans un État de droit et, dans un État de droit, les subventions ne sont pas attribuées selon le bon vouloir de l’un ou de l’autre […] Les subventions dont bénéficie la LDH respectent un certain nombre de règles, si ces règles ne sont plus aujourd’hui à la hauteur de ce que nous souhaitons, alors il faut les remettre totalement en question mais ce n’est pas au ministre de l’Intérieur, comme ça, sur un coin de table, de prendre cette décision. »

Dans une lettre ouverte, plusieurs centaines de personnalités du monde intellectuel ont aussi demandé au président Emmanuel Macron de condamner publiquement les propos de Gérald Darmanin.

« Nous ne vous ferons pas l’affront de vous reprocher d’ignorer l’origine de cette association, tout entière dédiée à la défense du capitaine Dreyfus contre les mensonges de l’Action française. Nous ne vous ferons pas l’affront de vous rappeler tout ce que la République doit à cette association et à ceux qui lui ont consacré leur engagement. Nous ne vous ferons pas l’affront de vous reprocher d’ignorer que ces mêmes militants furent parmi les cibles prioritaires de la répression du régime de Vichy. S’attaquer ainsi à la Ligue des droits de l’homme, c’est s’attaquer à la démocratie et à la République. Tolérer cette attaque, c’est donner le signal d’une bascule de notre Nation dans une dynamique ouvertement illibérale », résume le texte.

Autre conséquences des propos du ministre de l’Intérieur : une vague de solidarité avec la LDH, qui a récolté plus de 30 000 euros de dons en 24 heures, une preuve, pour Patrick Baudouin, que la ligue est « indispensable dans notre paysage démocratique ».

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