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Libye : les Émirats arabes unis impliqués dans la frappe contre l’école militaire à Tripoli

Un seul avion, opérant au-dessus de Tripoli en janvier 2020, était capable de tirer le missile qui a frappé l’académie militaire, le drone chinois Wing Loong II, exploité par les Émirats arabes unis
Quelques secondes après la frappe aérienne contre des cadets de l’école militaire à Tripoli, le 4 janvier 2020 (capture d’écran/BBC)
Quelques secondes après la frappe aérienne contre des cadets de l’école militaire à Tripoli, le 4 janvier 2020 (capture d’écran/BBC)
Par MEE

Le 4 janvier 2020, un raid aérien mené contre une école militaire à Tripoli, en Libye, tuait au moins 26 personnes et en blessait des dizaines. Au moment de la frappe, les cadets effectuaient leur dernier rassemblement de la journée dans la cour principale avant de regagner leurs dortoirs.

Le Gouvernement d’union nationale (GNA) avait alors accusé les forces pro-Haftar d’avoir mené cette frappe, publiant des photos des blessés et des victimes. Les forces pro-Haftar avaient ensuite démenti ces accusations.

Mais jeudi 28 août, la BBC a diffusé de nouvelles preuves indiquant que c’est un drone exploité par les Émirats arabes unis (EAU) qui a tué les 26 cadets non armés dans l’académie militaire de Tripoli.

Selon la BBC, ces preuves indiquent que les cadets ont été touchés par un missile chinois Blue Arrow 7, tiré par un drone, le Wing Loong II.

L’analyse des éclats d’obus démontrent qu’ils correspondaient aux composants d’un missile appelé Blue Arrow 7 (capture d’écran/BBC)
L’analyse des éclats d’obus démontrent qu’ils correspondaient aux composants d’un missile appelé Blue Arrow 7 (capture d’écran/BBC)

L’enquête menée par BBC Africa Eye et BBC Arabic Documentaries a révélé qu’au moment de la frappe, les drones Wing Loong II n’opéraient qu’à partir d’une seule base aérienne libyenne, al-Khadim, et que les EAU avaient fourni et exploité les drones qui y étaient stationnés.

Les Émirats arabes unis ont précédemment nié toute implication militaire en Libye et affirment qu’ils soutiennent le processus de paix de l’ONU. Ils n’ont pas répondu à la demande de commentaires de la BBC.

« Un crime horrible »

En août 2019, Middle East Eyerévélé que depuis juin 2016, les Émirats arabes unis entretiennent une flotte de drones Wing Loong II de fabrication chinoise sur la base aérienne d’al-Khadim, dans l’est de la province d’al-Marj, aux côtés d’autres avions d’attaque. 

La petite flotte émiratie a été engagée dans des frappes aériennes et des missions de reconnaissance en soutien à l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) alors que les forces de Haftar combattaient des groupes islamistes armés à Benghazi en 2016 et à Derna en 2018.

« Nous avons assisté à la mort de nos collègues, à leur dernier souffle, et nous ne pouvions rien faire... »

- Un survivant à la BBC

La BBC retrace les événements de cette nuit du 4 janvier 2020 : « Juste après 21 h, alors qu’une cinquantaine de cadets effectuaient des exercices de routine dans l’académie militaire du sud de Tripoli, une explosion a soudain frappé le cœur du groupe. Beaucoup étaient encore adolescents. Aucun d’eux n’était armé. »

Les journalistes d’investigation ont retrouvé un des survivants, Abdul Moyen, 20 ans : « Nous avons assisté à la mort de nos collègues, à leur dernier souffle, et nous ne pouvions rien faire… Il y avait des gars dont le torse était séparé du corps. C’était un crime horrible, un crime qui n’a rien à voir avec l’humanité. »

En analysant les images des éclats d’obus laissés sur le terrain de parade après l’attaque, la BBC a conclu qu’ils correspondaient aux composants d’un missile appelé Blue Arrow 7.

Selon cette analyse, un seul avion opérant au-dessus de Tripoli en janvier 2020 était capable de tirer ce missile, le drone chinois  Wing Loong II.

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À peine trois semaines avant cette frappe, l’ONU notait que le Blue Arrow 7 « est couplé de manière balistique pour être livré par le Wing Loong II et par aucun autre appareil aéronautique identifié en Libye à ce jour ».

« La BBC a également examiné d’où pouvait provenir ce drone et a trouvé des preuves qu’au moment de l’attaque, les drones Wing Loong II n’opéraient qu’à partir d’une seule base aérienne libyenne : al-Khadim, dans l’est de la Libye contrôlée par l’ANL », affirment les enquêteurs journalistes. « La BBC et l’ONU ont trouvé des preuves que les drones opérant à partir de cette base aérienne appartiennent aux Émirats arabes unis. »

En 2019, rappelle la BBC, l’ONU a constaté qu’en envoyant des drones Wing Loong II et des missiles Blue Arrow 7 en Libye, les EAU avaient violé l’embargo sur les armes de l’ONU en vigueur depuis 2011 pour la Libye.

« La BBC a également trouvé un registre des armes montrant qu’en 2017, les EAU avaient acheté quinze drones Wing Loong II et 350 missiles Blue Arrow 7. »

Par ailleurs, la BBC a trouvé de nouvelles preuves que l’Égypte autorise les Émirats arabes unis à utiliser les bases aériennes militaires égyptiennes proches de la frontière libyenne.

« En février 2020, les drones Wing Loong II stationnés en Libye semblent avoir été déplacés au-dessus de la frontière égyptienne, vers une base aérienne près de Siwa, dans le désert égyptien occidental ».

Le soutien égyptien

Les images satellite examinées par les journalistes montrent également qu’une deuxième base aérienne militaire égyptienne, Sidi Barrani, a été utilisée comme base opérationnelle pour les avions de combat Mirage 2000 peints dans des couleurs qui ne sont pas utilisées par l’armée de l’air égyptienne, mais qui correspondent exactement aux avions de chasse pilotés par les Émirats arabes unis.

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« Il s’agit du même modèle d’avion impliqué, selon l’ONU, dans une frappe aérienne sur un centre de migrants à l’est de Tripoli en juillet 2019, dans lequel 53 personnes ont été tuées. »

Sidi Barrani est également la destination de plusieurs avions-cargos qui ont décollé des Émirats arabes unis, suggérant un pont aérien pour l’équipement ou les fournitures entre les Émirats arabes unis et une base militaire à seulement 80 km  de la frontière libyenne.

Ghassan Salamé, l’ancien chef de la mission des Nations unies en Libye, a décrit la Libye comme « peut-être le plus grand théâtre de guerre de drones actuellement dans le monde ».

Les EAU ne sont pas la seule puissance étrangère impliquée dans ce conflit, rappelle la BBC.

« Plus tôt cette année, BBC Africa Eye a révélé que la Turquie enfreignait également l’embargo sur les armes de l’ONU par des envois secrets d’armes au gouvernement reconnu par l’ONU à Tripoli. »

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