La guerre par procuration entre les EAU et la Turquie se joue dans le ciel libyen
Dès le moment où Khalifa Haftar a lancé son offensive sur Tripoli, en avril, le commandant libyen a demandé à la force aérienne de soutenir ses combattants sur le terrain.
Pour compléter son Armée nationale libyenne (ANL, autoproclamée) – un groupe de milices gravitant autour d’un noyau de l’armée régulière d’environ 25 000 hommes – Haftar se sert d’une quinzaine d’avions et de quelques hélicoptères de transport et de combat.
Dans la capitale libyenne, le Gouvernement d’union nationale (GNA) soutenu par l’ONU s’appuie sur un nombre similaire d’avions de combat et les premières semaines de l’offensive de Haftar ont été marquées par des frappes aériennes intensives des deux côtés.
Les forces aériennes commandées par les belligérants peuvent sembler impressionnantes, mais elles sont en réalité aussi désordonnées que les forces terrestres qu’elles soutiennent.
La vétusté de l’aviation n’a pas tardé à transparaître lorsque l’ANL a perdu un MiG-21MF de fabrication russe et que le GNA a perdu quant à lui deux Mirage F1AD/ED français.
En l’absence de nouveaux appareils, les mécaniciens se sont efforcés des deux côtés de tenter de garder ces flottes vieillissantes opérationnelles.
Ne voulant pas rester sans force aérienne, Haftar et le GNA semblent s’être tournés vers un autre type d’engin : les drones.
Les drones entrent en action
Deux semaines après les premiers combats, des rumeurs de bombardements nocturnes perpétrés par des drones ont été signalés par des civils et des milices affiliées au GNA.
Fin avril, les premières preuves tangibles de l’utilisation de drones ont commencé à apparaître. Des images de fragments de missiles Blue Arrow 7 ont commencé à circuler après les raids sur Wadi Rabe, al-Hira, al-Azizia et Ain Zara.
Aussi connu sous le nom de LJ-7, le Blue Arrow 7 est un missile guidé antichar de fabrication chinoise destiné au marché de l’exportation.
Le missile Blue Arrow 7 peut être utilisé sur les drones de combat Wing Loong 2 et il a déjà été utilisé dans l’est de la Libye par les Émirats arabes unis, l’un des principaux mécènes de Haftar.
Depuis juin 2016, les Émirats arabes unis entretiennent une flotte de drones Wing Loong de fabrication chinoise dans la base aérienne d’al-Khadim, dans l’est de la province d’al-Marj, aux côtés d’autres avions d’attaque.
La petite flotte émiratie a été engagée dans des frappes aériennes et des missions de reconnaissance en soutien à l’ANL alors que les forces de Haftar combattaient des militants à Benghazi en 2016 et à Derna en 2018.
Aujourd’hui, les avions des EAU sont utilisés pour soutenir son allié Haftar dans sa campagne contre Tripoli.
Approvisionnement turc
En réponse au soutien apporté par les EAU aux drones des forces terrestres de l’ANL, le GNA a commandé quatre Bayraktar TB2 au gouvernement turc.
Des sources ont indiqué à Middle East Eye que les drones turcs ont probablement été livrés au port de Tripoli le 18 mai, à bord du cargo Amazon, et auraient été répartis entre les bases aériennes de Misrata et de Mitiga.
Des sources ont indiqué à Middle East Eye que les drones turcs ont probablement été livrés au port de Tripoli le 18 mai
Comme les forces du GNA ne disposaient ni de l’expérience ni du savoir-faire technique nécessaires à l’exploitation des drones, des opérateurs turcs avaient donc été déployés en Libye pour les piloter.
Cette décision a mis les citoyens turcs en danger. Quand un raid pro-ANL, probablement mené par les EAU, a frappé la base aérienne de Mitiga le 6 juin, deux opérateurs turcs auraient été blessés, tandis qu’un avion utilitaire Beechcraft King Air et deux Bayraktar TB2 auraient été détruits.
Au lieu de de s’avérer dissuasif, le raid de Mitiga n’a suscité que de nouveaux investissements turcs et le GNA a commandé huit autres drones armés à la Turquie, dont la plupart sont désormais stockés à Misrata.
Guerre par procuration dans le ciel
Le premier mois de l’offensive sur Tripoli a vu l’utilisation intensive d’avions de guerre par les deux camps. Cependant, l’âge des avions de combat les a rattrapés et l’essentiel de la flotte est maintenant immobilisée pour maintenance.
Les drones de combat ont depuis remplacé les avions de combat : le ciel libyen a été témoin de ce qui ressemble à une guerre par drones indirects entre les Émirats arabes unis et la Turquie.
C’est un conflit qui est parfois devenu direct, les drones ayant détruit les actifs émiratis et turcs. Trois avions cargo Iliouchine II-76TD ont été détruits lors des frappes aériennes turques par drone sur al-Djoufrah et Misrata.
Pendant ce temps, un Wing Loong émirati s’est écrasé en essayant d’atteindre Misrata, probablement après avoir été bloqué par un système turc antidrone.
Les bases aériennes sont devenues la principale cible des drones armés et les frappes de représailles se sont intensifiées entre les deux parties au cours des dernières semaines. Les drones ont touché des bases éloignées des combats dans l’ouest de la Libye.
Les drones Bayraktar turcs n’ont pas la portée suffisante pour frapper Benina, la base aérienne la plus importante de l’ANL.
Cependant, ils pourraient atteindre les terminaux pétroliers détenus par Haftar si la Turquie utilisait la base aérienne de Ghardabiya dans le sud de Syrte.
De l’autre côté, les Wing Loong des EAU peuvent facilement atteindre n’importe quelle infrastructure turque/du GNA en Libye, et leurs capacités ne pourraient qu’augmenter que si les EAU établissaient une nouvelle base militaire au Niger, près de la frontière avec la Libye.
Les affrontements sur le front de Tripoli autour de la fête de l’Aïd plus tôt ce mois-ci ont permis à Haftar de se concentrer sur le sud de la Libye et la région de Mourzouq, où des frappes de drones ont tué au moins 45 personnes le 4 août.
L’acquisition de drones armés a permis aux deux protagonistes de surmonter leur manque de puissance aérienne et de frappes de précision dans les zones urbaines.
La Libye semble être devenue un laboratoire où les pays étrangers peuvent tester de nouveaux types de force aérienne sans pratiquement aucune intervention d’avions pilotés par les deux belligérants.
La prolifération de ce type d’appareils – Wing Loong de fabrication chinoise, Bayraktar TB2s turcs, drones tactiques Orbiter-3 de fabrication israélienne – engagés dans des opérations de reconnaissance, de guidage et de frappe à Tripoli et dans les environs le confirme.
Les drones étrangers sont particulièrement utiles pour les belligérants libyens. Ils nécessitent beaucoup moins d’entretien que les avions de guerre des deux côtés et peuvent donc effectuer des sorties beaucoup plus régulièrement.
Mais ils permettent également à l’ANL et au GNA d’éviter un problème latent : les pilotes ont toujours été réticents à mener des frappes sur leurs concitoyens libyens.
Depuis 2011, lorsque le conflit libyen a débuté par un soulèvement contre l’autocrate Mouammar Kadhafi, il y a eu plusieurs cas de pilotes de chasse ayant fait défection ou refusant des missions.
Plusieurs indices donnent à penser que l’atterrissage surprise d’un pilote de l’ANL en Tunisie le mois dernier était en fait une désertion
Des sources ont récemment indiqué à MEE que certains pilotes du GNA basés à Misrata avaient hésité à mener les dernières attaques.
Plusieurs indices donnent à penser que l’atterrissage surprise d’un pilote de l’ANL en Tunisie le mois dernier était en fait une désertion. Avant d’atterrir, il aurait confié aux autorités tunisiennes qu’il était en train de fuir la guerre et qu’en tant que pilote expérimenté, il aurait probablement pu surmonter les difficultés techniques évoquées par la suite.
Le GNA a tenté ces dernières années de résoudre ce problème en recrutant des mercenaires dans ses forces aériennes. Cependant, les drones fournis par l’étranger pourraient les avoir remplacés.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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