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Haftar veut instaurer le retour de la dictature militaire en Libye. Il faut l’arrêter

Si Haftar prend Tripoli, les sacrifices consentis par les Libyens depuis la révolution de 2011 auront été vains 

Des manifestants libyens défilent place des Martyrs dans le centre de Tripoli pour réclamer la fin de l’offensive menée par Khalifa Haftar contre la capitale, le 12 avril (Reuters)

Le conflit qui a éclaté en Libye le 4 avril a pris la plupart des Libyens à l’intérieur et à l’extérieur des frontières par surprise.

Le 27 février, quelques semaines plus tôt, Khalifa Haftar et Fayez el-Sarraj étaient reçus par les Émirats arabes unis (EAU) dans le cadre de la dernière phase de négociations visant à résoudre le conflit libyen, engagées par le représentant spécial des Nations unies pour la Libye, Ghassan Salamé.

À la recherche d’un accord

L’objectif de cette rencontre était de parvenir à un accord sur le partage du pouvoir entre les différents camps pour préparer la Conférence nationale avec le soutien des Nations unies qui devait se tenir du 14 au 16 avril en Libye et pour trouver un moyen d’organiser des élections présidentielles et législatives.

L’attaque sur Tripoli a révélé qu’Haftar n’avait aucune intention de parvenir à un accord politique

Mais tous ces efforts sont partis en fumée le 3 avril, lorsqu’Haftar a déclaré la guerre à Tripoli, lors d’un discours télévisé, dans le but de « libérer » la capitale et toute la partie occidentale du pays des « criminels et des terroristes », faisant référence aux forces, dirigées par Fayez el-Sarraj, sous l’égide du Gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par les Nations unies. 

Fayez el-Sarraj et d’autres acteurs ont assimilé ce dernier geste à un coup de couteau dans le dos révélant que Khalifa Haftar n’avait aucune intention de parvenir à un accord politique.

Cela a également démontré que la participation d’Haftar à tous les pourparlers de paix internationaux, notamment les conférences très médiatisées organisées à Paris, à Palerme et plus récemment la rencontre à Abou Dabi, était uniquement une tactique visant à gagner du temps alors qu’il projetait une attaque surprise à l’encontre de ses opposants dans la partie occidentale du pays. 

Pourquoi maintenant ?

L’avancée de Khalifa Haftar sur Tripoli a été rapide. Il a instantanément pris position dans la ville de montagne de Gharyan (à 80 km au sud-ouest de Tripoli) et au sud de la capitale, dans l’espoir de créer un effet de surprise alors que ses troupes gagnaient du terrain.

Depuis lors, les combats font rage sur plusieurs fronts après la mobilisation et le déploiement instantanés des forces du GNA pour contenir l’avancée des troupes d’Haftar sur la capitale.

Un enfant libyen déplacé a fui sa maison en raison des combats entre les forces de l’Est dirigées par Khalifa Haftar et le gouvernement reconnu par la communauté internationale, le 14 avril (Reuters)

À ce stade, il y a plusieurs raisons qui ont conduit Khalifa Haftar à accélérer sa progression sur Tripoli.

En premier lieu, cette offensive lui a permis de mettre un terme à la Conférence nationale tant attendue, organisée par la Mission spéciale des Nations unies pour la Libye (UNSMIL), qui devait avoir lieu dans la ville de Ghadamès, en Libye. 

Cette Conférence nationale devait permettre de sortir de l’impasse politique et d’établir tôt ou tard une nouvelle feuille de route en vue de désamorcer le conflit libyen, ce qui aurait entraîné la tenue de nouvelles élections et la réunification des institutions divisées du pays.

Un arrangement, quel qu’il soit, aurait certainement mis un terme au dernier coup de Khalifa Haftar pour prendre le pouvoir en Libye et rétablir la dictature militaire dans le pays, un objectif que partagent ses principaux alliés dans la région : les EAU, l’Égypte et l’Arabie saoudite. 

Un large soutien 

Haftar n’aurait pas pu poursuivre sa campagne militaire ces cinq dernières années, et n’aurait pas été en mesure de lancer son offensive contre la capitale Tripoli s’il n’avait pas bénéficié d’un large soutien dans la région et à l’étranger.

Le soutien régional est venu principalement de l’Arabie saoudite, des EAU et de l’Égypte, alors que d’importants acteurs internationaux comme la France et la Russie sont également venus au secours de la Libye en lui apportant leur soutien logistique et politique.

Khalifa Haftar n’aurait pas été en mesure de poursuivre sa campagne militaire ces cinq dernières années s’il n’avait pas bénéficié d’un large soutien dans la région et à l’étranger 

Une semaine avant de lancer son offensive surprise sur Tripoli, Khalifa Haftar a effectué une visite très médiatisée en Arabie saoudite où il a rencontré le roi Salmane et le prince héritier Mohammed ben Salmane. Plusieurs témoignages soulignent que le prince héritier avait « promis dix millions de dollars pour aider à financer l’opération, selon les plus proches collaborateurs du gouvernement saoudien ».

D’après certaines dépêches, pendant sa visite, les Saoudiens auraient donné leur feu vert au projet de Khalifa Haftar de prendre le contrôle de Tripoli par la force.

Depuis que ce dernier a lancé son opération « Dignité » en 2014, le soutien que lui apportent les EAU a été largement relayé. Cette aide concerne de nombreux domaines : militaire, politique, médiatique, logistique et les renseignements. 

Le ministre de l’Intérieur du GNA, Fathi Bashagha, a publiquement accusé les EAU d’avoir apporté à Khalifa Haftar un soutien militaire pour qu’il mène sa guerre sur Tripoli, un geste qu’il a qualifié de violation manifeste du droit international. 

Fathi Bashagha a affirmé avoir reçu des informations selon lesquelles un avion en provenance d’Abou Dabi, avec à bord des équipements militaires destinés aux forces de Khalifa Haftar, aurait atterri à l’aéroport de Benina à Benghazi.

Le « modèle Sissi »

À l’instar de l’Arabie saoudite et des EAU, l’Égypte a toujours été un fervent partisan de Khalifa Haftar, présumé capable de reproduire le « modèle Sissi » en Libye, où l’armée prend le pouvoir et contrôle toutes les institutions de l’État.

L’Égypte voit en Khalifa Haftar un allié capable de repousser la menace terroriste qui, selon elle, pèse sur sa frontière occidentale.

Elle espère également qu’Haftar pourra aider à éradiquer les groupes islamistes en Libye, principalement les Frères musulmans, de façon à ce qu’ils cessent toute forme de soutien à leurs partenaires en Égypte, que Sissi a réussi à éliminer à la suite d’un coup d’État militaire. 

L’Égypte a apporté son soutien à la dernière offensive menée par Haftar sur Tripoli en mettant à sa disposition des conseillers en matière de renseignement et de stratégie militaire et elle se réjouirait que ce dernier prenne le contrôle total en Libye.

Rencontre entre le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi (à droite) et l’homme fort de l’armée libyenne Khalifa Haftar, au Caire, en mai 2017 (AFP)

Entre-temps, la France a bloqué un projet de résolution de l’Union européenne qui condamnait l’offensive de Khalifa Haftar sur Tripoli et l’enjoignait de battre en retraite.

Selon des allégations non confirmées largement relayées en Libye, des conseillers militaires français seraient présents dans le pays et apporteraient leur soutien aux forces de Khalifa Haftar dans les centres de commandement à l’ouest de la Libye, depuis son offensive sur Tripoli.

La Russie qui voit Haftar d’un bon œil ne s’opposerait pas à ce qu’il prenne le pouvoir par la force 

La Russie, un autre acteur international majeur, a également apporté son soutien à Khalifa Haftar, qui s’est rendu dans ce pays à plusieurs reprises ces derniers mois.

Selon un média pro-Haftar, ce dernier aurait rencontré des responsables russes quelques jours seulement après avoir lancé son expansion militaire sur Tripoli. Il serait en quête de soutien militaire et de nouvelles armes et munitions.

La Russie a rejeté une déclaration du Conseil de sécurité des Nations unies exhortant les forces de Khalifa Haftar à cesser leur avancée sur Tripoli et à revenir à leur ancienne position avant l’offensive.

Cette prise de position est le signe que la Russie voit Khalifa Haftar d’un bon œil ne s’opposerait pas à ce qu’il prenne le pouvoir par la force et rétablisse un régime militaire dans le pays.

Quel avenir pour la Libye ?

Forte du soutien d’acteurs régionaux et internationaux, la campagne militaire actuellement menée par Khalifa Haftar et sa récente avancée sur Tripoli menacent les institutions politiques et les efforts de réconciliation.

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Le danger d’une nouvelle escalade et de l’intensification des combats pèse sérieusement sur le pays qui risque de s’enfoncer dans une longue et dramatique guerre civile.

Cette situation risque également d’entraîner une recrudescence soudaine des activités terroristes par des groupes comme l’État islamique (EI), et éventuellement accroître les flux migratoires de clandestins en Europe, alors que les combats font rage.

La dernière guerre menée par Haftar pourrait mettre en péril encore davantage une économie libyenne déjà fragilisée, notamment en engendrant un arrêt, voire une réduction sévère de la production et de l’exportation vitale de pétrole et de gaz.

La situation humanitaire connaîtra une nouvelle crise et les citoyens libyens innocents seront les premières victimes.

Mais, cette situation se traduira principalement sur le plan politique par le retour de la dictature militaire en Libye, si Khalifa Haftar mène à terme sa campagne. Une telle issue signifierait que les sacrifices consentis par les Libyens lors de la révolution de 2011 auront été vains et que les aspirations à la liberté, à la démocratie et à un État civil auront totalement été réduites à néant.

Guma El-Gamaty, universitaire et homme politique libyen, est à la tête du parti Taghyeer en Libye et membre du processus de dialogue politique libyen soutenu par l’ONU.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l'anglais (original) par Julie Ghibaudo.

Guma El-Gamaty is a Libyan academic and politician who heads the Taghyeer Party in Libya and a member of the UN-backed Libyan political dialogue process. Follow him on Twitter: @Guma_el_gamaty
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