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En Libye, les tensions couvent : la bataille pour Tripoli serait-elle imminente ?

Les trois forces majeures du pays ont toutes des vues sur la capitale, et chacune est appuyée par des puissances étrangères

Après les affrontements du 26 mai 2017, des nuages de fumée s’élèvent du centre de Tripoli (AFP)

Alors que le chaos règne en Libye, que les autorités concurrentes continuent de rivaliser pour le pouvoir, tout donne à croire que la bataille pour Tripoli repart de zéro.

En début de semaine, à l’est de la capitale, des affrontements ont éclaté entre les forces fidèles au Gouvernement d’union nationale (GNA), soutenu par les Nations unies, et celles fidèles au Gouvernement du salut national.

La capitale représente un enjeu important pour les différents belligérants dans la région, car elle donne accès, entre autres institutions, au contrôle d’actifs stratégiques tels que la Banque centrale libyenne, les aéroports et les ports maritimes de la ville.

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La région de Garabulli, où se sont déroulés les affrontements, est considérée comme un portail stratégique vers la capitale, et les combats dans cette ville pourraient constituer le prélude à une bataille d’encore plus grande envergure.

« Les affrontements à Garabulli sont la démonstration que les forces rassemblées autour du Gouvernement du salut national ne renonceront pas facilement, en dépit des défaites militaires répétées qu’elles ont essuyées », explique Mattia Toaldo, chargé de recherche principal en politique et relations étrangères au Conseil européen.

Les forces fidèles à Khalifa Haftar dans la région d'al-Hut, à Benghazi, le 20 mai (AFP)

Les affrontements ont fait au moins quatre morts et plus de vingt blessés, a déclaré le ministère de la Santé du gouvernement soutenu par les Nations unies, et les forces du Gouvernement du salut national ont été repoussées plus loin à l’extérieur de la ville.

Le Conseil présidentiel, qui préside le GNA et qui est soutenu par les Nations unies, est dirigé par Fayez al-Sarraj, personnage toujours controversé depuis son entrée en Libye, en mars 2016.

Le GNA a rencontré la résistance de nombreux groupes, dont certains impliqués dans ces derniers affrontements.

« Chacune des parties est manipulée par des gouvernements étrangers. Chacune d’elles est soutenue par différents pays, ce n’est donc pas seulement une guerre entre Libyens »

- Analyste politique libyen

Les deux adversaires se sont accusés mutuellement d’avoir commencé les combats : la partie pro-GNA accuse les forces liées au Gouvernement du salut national – positionnées auparavant dans la région de Garabulli – d’avoir tenté de marcher sur la capitale, alors que ces dernières accusent le GNA d’être l’auteur des provocations.

La garde nationale du Gouvernement du salut national reçoit l’essentiel de son soutien des milices de la ville de Misrata, à 200 kilomètres environ à l’est de Tripoli. Il a été accusé de soutenir les Frères musulmans, accusations qu’il a niées en bloc.  

Les principales forces en Libye

La communauté internationale reconnaît le Conseil présidentiel du GNA comme organe représentatif du pays, divisé en trois zones, chacune d’elles ayant son propre soutien.

Le Conseil présidentiel, basé à Tripoli, capitale occidentale du pays, a été approuvé avec grand optimisme par une grande partie de la population, parce que, lorsqu’il a pris le pouvoir, le pays était plongé dans une période de grande crise financière et d'instabilité. 

Cependant, après les seize mois où il a été plus ou moins au pouvoir, la popularité d’al Sarraj et de son gouvernement s'est effondrée aux yeux de l’opinion publique.

Ensuite, on trouve le Gouvernement du salut national – qui préside le Congrès national général élu en 2012 et qui siège aussi à Tripoli.

Enfin, il faut compter avec une troisième force, à l’Est du pays, qui comprend diverses autorités, dont des forces militaires fidèles au maréchal Khalifa Haftar, et la Chambre des députés.

Elles ont toutes les trois échoué dans leurs efforts de pacification. Pendant ce temps, Haftar a, à plusieurs reprise – dont la dernière fois en mai – menacé que ses forces reprendraient bientôt Tripoli.

La bataille pour Tripoli est-elle une guerre par procuration ?

Les trois principales forces du pays ont toutes des vues sur la capitale, et chacune d’elles est appuyée par des puissances étrangères.

Le GNA, soutenu par les Nations unies et les États-Unis, est appuyé par la majorité de la communauté internationale et il est reconnu comme le seul gouvernement représentatif, mais depuis que le GNA a pris possession de la ville l'année dernière, Tripoli est devenu le théâtre d’innombrables affrontements et souffre d’une grande instabilité.

Le gouvernement à l’Est a le soutien des Émirats arabes unis (EAU), de l’Arabie saoudite et de l’Égypte. Les EAU, selon l’ONU, ont rompu un embargo sur les armes en fournissant des moyens militaires aux forces de Haftar.

Selon les observateurs, toutes ces forces veulent prendre le contrôle de la capitale, ainsi que de tous les actifs qui se trouvent à l’intérieur et autour, dont les ports pétroliers. La prise de Tripoli serait le premier pas vers le contrôle du reste du pays.

Le Gouvernement du salut national a également été accusé, par les EAU et d’autres pays, d’être soutenu par le Qatar et la Turquie.  

Un analyste politique libyen, qui préfère rester anonyme, explique à Middle East Eye que « chacune des parties en présence est manipulée par des gouvernements étrangers. Elles sont chacune soutenues par différents pays. Ce n’est pas seulement une guerre entre Libyens. C’est une guerre qui profite à ces entités étrangères ».

Implications

Dans une de ses déclarations, dimanche, le ministère de la Santé a annoncé que tous les hôpitaux publics à l’intérieur et autour de la capitale se trouvaient en état d’urgence, et il prévoit un pic d’affluence après les affrontements des quatre derniers jours.

De plus, la tenue des examens a été perturbée, et Adel Jumoa, vice-ministre de l’Éducation a annoncé la suspension des épreuves dans les établissements scolaires de la région de Garabulli, ajoutant que cette suspension resterait en vigueur jusqu’au retour de la stabilité et de la sécurité dans la région.

Les élèves de troisième et de terminale passent actuellement des examens décisifs, dont les résultats détermineront leur passage au niveau supérieur de leur scolarité – le lycée pour les uns, l’université pour les autres.

Cette perturbation a mis la plupart des élèves dans une situation embarrassante. 

Traduction : « À #Tripoli se succèdent des pannes générales d’électricité. Dernière raison invoquée : les dégâts subis par les lignes à haute tension pendant les combats à Garabulli. La société responsable de la distribution se cherche désespérément des excuses... #Libya »

Voici comment Amirah, un étudiant de la région, décrit le sentiment d’instabilité généré par la violence : « Les épreuves du bac doivent commencer dimanche et je ne suis toujours pas sûr que nous les passerons ce jour-là. J’espère vraiment que tout va se passer comme prévu. Je veux faire médecine et ce sont nos résultats à cet examen qui détermineront notre inscription à l’université ».

Suite à une panne générale de courant touchant  la plus grande partie de la région occidentale du pays la semaine dernière, privant pendant plusieurs jours un grand nombre de foyers d’électricité – et même d’eau, dans certains cas – ces affrontements risquent de provoquer « l’effondrement total du réseau », a prévenu la Compagnie générale électrique de Libye (GECOL). 

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GECOL a déclaré que les affrontements avaient endommagé des lignes à haute tension reliant deux principales centrales électriques, ajoutant que les dégâts avaient provoqué une perte d’énergie électrique dans ces deux centrales.

Les pannes générales d’électricité dans le pays, combinées aux très hautes températures de l’été, sont à l’origine de plusieurs décès. La semaine dernière, le mercure dans la capitale a atteint les 47 degrés. Ces températures ont eu un effet dévastateur sur les personnes âgées et les malades, et causé la destruction de produits alimentaires, contribuant ainsi à l’inflation des prix de la nourriture.

« Finalement, les milices du Gouvernement du salut national ont deux options : soit elles se battent, bataille après bataille, jusqu’à leur élimination totale, soit elles négocient une place à la direction de la capitale », relève Toaldo. Mais, selon lui, c’est plus que le sort de la capitale qui se joue dans cette bataille.

« L’enjeu de ces combats n’est pas seulement Tripoli : il s’agit surtout de la survie des milices du Gouvernement du salut national, exclues par la corporation qui dirige la capitale », souligne-t-il en faisant allusion aux milices soutenues par le GNA.

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabiès.

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