Aller au contenu principal

Garde à vue d’Ariane Lavrilleux : inquiétudes face à l’« escalade » dans les atteintes à la liberté d’informer en France

Des médias et des défenseurs des droits se mobilisent pour soutenir la journaliste, en garde à vue depuis 30 heures pour avoir publié une enquête sur la base de « documents confidentiel défense »
« Retenue depuis 30 heures en garde à vue, notre journaliste fait l’objet d’une procédure d’exception. Une atteinte inédite à la liberté de la presse », a dénoncé ce mercredi Disclose (Twitter/AriaLavrilleux)
« Retenue depuis 30 heures en garde à vue, notre journaliste fait l’objet d’une procédure d’exception. Une atteinte inédite à la liberté de la presse », a dénoncé ce mercredi Disclose (Twitter/AriaLavrilleux)

« Inadmissible » : c’est sans doute l’adjectif qui revient le plus sur les réseaux sociaux, ce mercredi 20 septembre, après la mise en garde à vue d’Ariane Lavrilleux.

La journaliste française, à l’origine de révélations fin 2021 sur un possible détournement, par l’Égypte, d’une opération de renseignement française dans le pays, a été perquisitionnée et placée en garde à vue hier.

C’est le média dans lequel son enquête a été publiée à l’époque, Disclose, qui l’a annoncé.

« Je suis effarée et inquiète de l’escalade dans les atteintes à la liberté d’informer, et des mesures coercitives prises contre la journaliste de Disclose », a réagi Virginie Marquet, avocate d’Ariane Lavrilleux et du média d’investigation.

« Cette perquisition risque de porter gravement atteinte au secret des sources de journalistes, dont je peux légitimement craindre qu’il a été totalement bafoué depuis ce matin. Disclose protègera sa journaliste qui n’a fait que révéler des informations d’intérêt public », a-t-elle ajouté.

En conférence de presse ce mercredi, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a éludé la question posée par Mediapart : « Est-il normal qu’une journaliste passe une nuit en cellule dans une démocratie ? »

Le SNJ-CGT (Syndicat national des journalistes CGT) rappelle dans un communiqué qu’un autre journaliste, le photo-reporter Yoan Sthul-Jäger, a, lui aussi, « eu affaire à l’anti-terrorisme, placé en garde à vue pendant quatre jours, pour avoir couvert une action de militants écologistes dans une cimenterie ». Il a raconté avoir découvert qu’il était suivi depuis six mois, photographié, son téléphone infecté par un logiciel espion.

Le SNJ-CGT énumère encore le cas des journalistes de Disclose et de Radio France qui ont été convoqués à la DGSI (renseignements intérieurs) après avoir publié des informations sur des contrats entre l’armée et des entreprises privées, et celui des huit journalistes également convoqués à la DGSI après des révélations sur des ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite et sur l’affaire Benalla.

« Déni de démocratie »

Cette arrestation est « une nouvelle atteinte inadmissible au secret des sources », a dénoncé Disclose sur X, suivi par de nombreux journalistes et défenseurs des droits qui ont exprimé leur soutien à la journaliste, évoquant une « entrave inacceptable à la liberté d’informer » et un « déni de démocratie » à quelques semaines des États généraux de l’information promis par l’Élysée.

Disclose et Reporters sans frontières appellent à un rassemblement ce mercredi à 18 h 30 place de la République à Paris.

« Violation du secret de la défense nationale »

Aux journalistes, se sont joints aussi des politiques de l’opposition. Le groupe écologiste du Sénat a publié un communiqué soulignant que « cette nouvelle atteinte à la liberté de la presse intervient dans un contexte politique de plus en plus délétère alors que, dans le cadre des négociations de la nouvelle législation européenne sur la liberté des médias [EMFA], le gouvernement français pousse activement à affaiblir le principe général d’interdiction de déployer des logiciels espions contre les journalistes sous prétexte de sécurité nationale ».

Disclose avait affirmé dans un article publié en novembre 2021 que la mission de renseignement française Sirli, débutée en février 2016 au profit de l’Égypte au nom de la lutte antiterroriste, avait été détournée par l’État égyptien qui se servait des informations collectées pour effectuer des frappes aériennes sur des véhicules de contrebandiers présumés, à la frontière égypto-libyenne.

Nouvelles révélations sur la « responsabilité » de la France dans les « crimes de la dictature » de Sissi
Lire

Selon les documents obtenus par Disclose, « les forces françaises auraient été impliquées dans au moins dix-neuf bombardements contre des civils entre 2016 et 2018 » dans cette zone.

Malgré les inquiétudes et alertes de certains responsables sur les dérives de l’opération, les autorités françaises n’auraient pas remis en cause la mission, d’après Disclose citant des documents secrets.

À la suite de cette publication, le ministère français des Armées avait porté plainte pour « violation du secret de la défense nationale ».

Une information judiciaire est en cours depuis juillet 2022, ouverte par le parquet de Paris pour compromission du secret de la Défense nationale et divulgations d’identité de militaires, et confiée à la DGSI.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].