« Je fulminais » : l’influenceuse musulmane Salma Masrour parle de mode et des discriminations contre les femmes voilées
C’est dans un café yéménite proche de la station de métro Warren Street, dans le centre de Londres, que je rencontre Salma Masrour, influenceuse spécialisée dans la mode pudique.
Quelques mois après une affaire très médiatisée de discrimination présumée liée à son hijab dans un restaurant parisien, les choses ont repris leur cours normal pour la star des réseaux sociaux.
Vêtue d’une tenue de sport noire, l’influenceuse vient de rentrer de Dubaï et explique qu’elle n’a pas beaucoup de temps avant son cours de yoga.
« À cause de mon travail, je passe tellement de temps sur les réseaux sociaux, j’ai vraiment besoin de me couper de mon téléphone, même si ce n’est que pour 45 minutes », explique la Londonienne âgée de 26 ans.
La palette monochrome qu’elle revêt aujourd’hui contraste fortement avec les tenues vives et colorées qu’elle porte habituellement.
« On ne nous observe pas à travers notre talent ou notre travail, nous sommes devenues en quelque sorte des cases à cocher pour pouvoir prôner la diversité »
– Salma Masrour, influenceuse mode
Son look préféré associe des éléments sophistiqués et sur mesure à un style urbain, tout en se conformant aux idéaux de pudeur islamiques.
Après avoir décroché un diplôme en pharmacie, Salma Masrour est tombée dans le monde des influenceuses lifestyle en s’adressant à l’une des catégories démographiques les plus lucratives pour l’industrie de la mode : les femmes musulmanes et celles qui recherchent un style dit « pudique ».
Le secteur s’est développé rapidement au cours des dernières décennies : de H&M à Burberry, de nombreuses enseignes de mode proposent des lignes pudiques et présentent même leurs collections avec des mannequins voilées.
C’est dans cet espace que des personnalités comme Salma Masrour ont pu se faire un nom en faisant de la publicité pour des « looks » que leur public peut imiter ou adapter.
D’origine marocaine, cette influenceuse vivant au Royaume-Uni compte plus de 180 000 abonnés sur Instagram, où elle partage des photos et des vidéos de ses choix vestimentaires, ainsi que des vlogs sur son mode de vie et ses voyages.
« Cela fait sept ans que je fais ça », raconte-t-elle à Middle East Eye.
Les musulmanes et la mode
Son parcours dans la mode a commencé très jeune, lorsqu’elle montrait ses vêtements à ses camarades de classe.
« Quand j’étais petite, j’allais à l’école arabe tous les week-ends et c’était mon moment de gloire », confie-t-elle en riant.
« Je composais soigneusement mes tenues et tout le monde me demandait toujours où je trouvais mes vêtements », ajoute-t-elle.
Selon Salma Masrour, beaucoup de choses ont changé dans l’industrie de la mode depuis ses débuts en tant qu’influenceuse lifestyle, notamment avec l’explosion de la popularité des personnes comme elle.
« Nous n’étions pas beaucoup à l’époque », se souvient-elle.
Toutefois, les grandes maisons de mode ont récemment compris les avantages commerciaux qu’il y avait à répondre spécifiquement aux besoins des femmes musulmanes.
Parmi les 1,8 milliard de musulmans dans le monde, nombreux sont ceux qui choisissent d’adopter des vêtements couvrants et de nombreuses femmes portent le hijab, conformément à l’importance accordée par leur religion aux tenues pudiques.
Si les tenues occidentales ont toujours été populaires, les femmes les portent traditionnellement en les adaptant elles-mêmes afin de se conformer à leurs croyances religieuses, généralement en superposant des vêtements.
Néanmoins, maintenant que les musulmanes sensibles à la mode ont été reconnues comme un marché potentiel évalué à des dizaines de milliards de dollars, de nombreux créateurs ont décidé de proposer des vêtements pudiques.
Salma Masrour, qui collabore elle-même avec de grandes marques, affirme que les influenceuses ont joué un rôle en incitant les grandes entreprises à prendre les femmes musulmanes au sérieux et à allouer des budgets à des collections qui les prennent en compte.
Cependant, en dépit de ces progrès, l’influenceuse explique à MEE que l’industrie de la mode doit encore aller beaucoup plus loin en matière de représentation.
« Nous voyons souvent de grandes campagnes avec une seule femme en hijab », souligne-t-elle.
« On ne nous observe pas à travers notre talent ou notre travail, nous sommes devenues en quelque sorte des cases à cocher pour pouvoir prôner la diversité. Parfois, il y a des événements où je suis la seule en hijab. »
Un incident dans un restaurant parisien
Les droits des femmes voilées lui tiennent à cœur. En novembre dernier, elle s’est elle-même retrouvée au cœur d’une tempête sur les réseaux sociaux après qu’un restaurant parisien l’aurait refusée à cause de son voile.
Dans une série de vidéos qui ont été visionnées plus d’un million de fois, Salma Masrour raconte que le personnel du Gigi, restaurant populaire de la capitale française, lui a indiqué qu’aucune place n’était disponible tandis que son amie blanche – qui ne porte pas le hijab – s’est vu offrir une table sans délai.
« J’ai vérifié sur internet et des tables étaient disponibles, mais la façon dont elle m’a regardée n’était pas normale », explique-t-elle dans une vidéo publiée après la scène.
« Dix minutes plus tard, mon amie, blanche et blonde, est entrée pour demander une table, et on lui a immédiatement répondu qu’il y avait de la place. »
Cet incident a suscité l’indignation sur internet et le restaurant a été contraint de restreindre les commentaires sous ses publications.
@salmamasrour Replying to @Isabella I have no words for what happened. #gigiparis #gigirestaurant #paris #france #fyp #hijabi #fypシ゚viral ♬ original sound - Salma Masrour
Quelques mois après cet incident, Salma Masrour ne décolère pas et estime que la promesse du restaurant de « procéder à des changements » est survenue trop tard et ne va pas assez loin.
« J’étais furieuse », confie-t-elle à propos de cet épisode.
« J’étais en colère. Je suis d’un tempérament calme et il en faut beaucoup pour me mettre en colère mais je fulminais intérieurement.
« Je ne m’attendais pas à une telle réaction à mes vidéos. La note du restaurant sur Google est passée de 4,5 à 1,5 et des milliers de personnes l’interpellaient dans les commentaires. »
« Ce n’était qu’un petit incident et cela m’a fait me sentir très mal, je ne peux même pas imaginer comment se sentent les femmes qui portent le hijab en France »
- Salma Masrour
Pour Salma Masrour, l’incident donne un aperçu des discriminations subies par les femmes qui choisissent de porter le voile islamique en France.
Elle a intenté une action en justice contre le restaurant.
« Ce n’était qu’un petit incident et cela m’a fait me sentir très mal, je ne peux même pas imaginer comment se sentent les femmes qui portent le hijab en France. »
Malgré l’incident, l’amour de la star des réseaux sociaux pour Paris demeure intact. Elle indique avoir visité cinq fois la capitale française et que la ville tient une place spéciale dans son cœur.
« J’aime cette ville et les pâtisseries », dit-elle en haussant les épaules.
Elle a décidé de boycotter ce restaurant mais prévoit quand même de revenir à Paris.
Lutter contre la discrimination
Rendre publique son expérience parisienne n’a pas été agréable, mais Salma Masrour a jugé cela nécessaire pour mettre un terme à la stigmatisation des femmes voilées.
Elle se dit encore plus déterminée à utiliser ses réseaux pour parler des problèmes liés au hijab et des préjugés contre les musulmanes.
« Si je peux éviter que ne serait-ce qu’une personne fasse l’objet de discrimination, j’en serai ravie. »
Néanmoins, si son engagement à lutter contre la discrimination constitue un aspect vital de son travail, son souhait de renforcer le pouvoir d’agir des musulmanes est tout aussi important.
Salma Masrour désire le faire en continuant à élargir son public et en nouant des relations avec de grandes entreprises pour rendre plus visible la mode pudique.
« Être influenceuse demande tellement de travail en coulisses », explique-t-elle en se préparant à partir pour son cours de yoga.
« Les gens ne voient que la photo finale mais il y a les négociations avec les marques, la composition du style, l’édition, la prise des photos, le côté administratif.
« J’aime ce que je fais, mais cela peut être exténuant. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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