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Culte musulman : « la France se trompe de cible en prohibant les imams détachés »

Selon des responsables du culte musulman, la fin annoncée du recours à des imams étrangers est une fausse solution contre le « séparatisme », d’autant que l’État français n’a pas mis les moyens pour assurer la formation de prédicateurs « républicains »
Selon le délégué général du Conseil français du culte musulman Abdallah Zekri, les imams détachés « ne sont pas des séparatistes et ne représentent que 8 % du nombre des imams déployés dans les 2 600 lieux de culte musulmans existant en France » (Thomas Samson/AFP)

Le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a envoyé, vendredi 29 décembre, une lettre aux États algérien, marocain et turc les informant que la France n’accepterait plus, à partir du 1er janvier 2024, la venue d’« imams détachés » (envoyés et rémunérés par leurs pays d’origine pour officier en France) et que ceux déjà présents sur le territoire français devaient soit changer de statut, soit retourner dans leurs pays respectifs.

« Le but n’est pas d’empêcher des imams étrangers de prêcher en France, mais de s’assurer qu’aucun n’est payé par un État étranger dont il serait fonctionnaire ou agent public, a–t-il précisé dans le courrier.

Gérald Darmanin a fait savoir par ailleurs qu’un « cadre spécifique » serait mis en place à partir du 1er avril prochain pour permettre aux associations gestionnaires de lieux de culte de recruter elles-mêmes des imams, qu’elles salarieraient directement.

La suspension du recours aux imams étrangers détachés est l’une des promesses électorales du président Emmanuel Macron. Au cours de sa campagne pour un second mandat en 2020 et au nom de sa lutte contre le « séparatisme islamiste », il avait estimé nécessaire « de libérer l’islam de France des influences étrangères » en mettant fin « au système des imams détachés ».

Une mesure jugée inadaptée pour lutter contre l’extrémisme

« C’est vraiment une bonne mesure […] et un pas vers l’islam de France », a réagi Nathalie Goulet, sénatrice centriste et corapporteuse d’un rapport du Sénat qui plaidait en 2016 pour la formation des imams officiant en France.  

En 2021, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner avait été le premier à annoncer que le système des imams détachés serait aboli en 2024. Ce qui a laissé, selon son successeur, un « préavis suffisant » aux mosquées pour s’organiser en procédant à des recrutements.

Les premières statistiques concernant les imams détachés ont été rendues publiques dans le rapport sénatorial de 2016, qui avait estimé leur nombre à 300.

« Ce sont des imams détachés qui respectent les valeurs et les lois de la république. Aucun imam détaché n’a été arrêté, mis en prison, fiché S ou a tenu des discours antirépublicains »

- Abdallah Zekri, délégué général du Conseil français du culte musulman et président de l’Observatoire de lutte contre l’islamophobie

Selon ce rapport, l’arrivée des imams était encadrée par des accords bilatéraux datant des années 1990 qui visaient à combler le manque de personnel cultuel dans les mosquées hexagonales.  

Une source du ministère de l’Intérieur citée dans le document précisait par ailleurs que les recrues présentaient un avantage dans la mesure où elles étaient contrôlées par leur État d’origine et ne présentaient aucun risque de radicalisation.

« Ce sont des imams détachés qui respectent les valeurs et les lois de la république. Aucun imam détaché n’a été arrêté, mis en prison, fiché S [pour "sûreté de l’État"] ou a tenu des discours antirépublicains », abonde Abdallah Zekri, délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM) et président de l’Observatoire de lutte contre l’islamophobie, interrogé par Middle East Eye.

À ses yeux, « la France se trompe de cible en prohibant les imams détachés » pour lutter contre le radicalisme. « Ceux qui sont là ne sont pas des séparatistes et ne représentent que 8 % du nombre des imams déployés dans les 2 600 lieux de culte musulmans existant en France », insiste le responsable du CFCM.

Il trouve d’ailleurs paradoxal et même « hypocrite » que l’État français mette fin au système des imams détachés alors qu’il ne remet pas en cause la venue de récitateurs et de psalmodieurs pendant le mois de Ramadan pour conduire les tarawih (prières nocturnes facultatives).

Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux, remarque aussi que l’annonce de Gérald Darmanin n’empêche pas la venue d’imams saisonniers pour le Ramadan.

Plus globalement, il considère que la fin des imams détachés n’est pas une solution suffisante contre le séparatisme. « Le problème, c’est qu’aujourd’hui, le séparatisme, l’intégrisme, l’extrémisme se développe plus sur les réseaux sociaux que dans les mosquées », a-t-il observé sur France Info, ajoutant : « Il y a beaucoup d’imams qui sont français et qui portent un discours qui n’est pas forcément extrémiste mais qui peut inspirer le séparatisme. »

L’État français doit « mettre la main à la poche »

Dans le rapport du Sénat, il est indiqué que la plupart des imams étrangers sont originaires de Turquie (150) et d’Algérie (120). Selon Mohammed Moussaoui, président de l’Union des mosquées de France (UMF), 27 imams marocains détachés ont été embauchés par des associations de l’UMF en 2021 et ne touchent plus de financements de Rabat.

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De son côté, la Turquie, qui a diminué au fil des années le nombre de ses fonctionnaires cultuels en France, envisagerait selon Abdallah Zekri de rapatrier une soixantaine d’entre eux encore présents sur le sol français.

S’agissant des Algériens, ce dernier affirme que certains imams pourraient être tentés de rester en France mais seraient confrontés à des difficultés lors du changement de statut, qui implique le renoncement à leur titre de fonctionnaires d’un État étranger.

« Il faudra qu’ils parlent français et qu’ils s’inscrivent à l’université pour obtenir un diplôme sur la laïcité », explique à MEE  le délégué général du CFCM, qui pointe par ailleurs le problème de la rémunération des imams.

« Beaucoup de mosquées n’ont pas les moyens de payer des imams car elles-mêmes sont dépendantes des dons des fidèles. Si l’État veut avoir des imams français républicains, il faut qu’il mette la main à la poche et assure plus sérieusement leur formation », estime-t-il.  

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