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France : une proposition de résolution sur l’« apartheid » israélien provoque des accusations d’antisémitisme

L’amalgame entre antisémitisme et critique de l’occupation et des agressions israéliennes s’est exacerbé ces dernières semaines en France à la suite d’une proposition de loi visant à condamner « le régime d’apartheid institutionnalisé » par Israël contre les Palestiniens
Des députés de la NUPES quittent la séance du Parlement après les accusations d’« antisémitisme » formulées par le ministre de la Justice (AFP/Alain Jocard)
Des députés de la NUPES quittent la séance du Parlement après les accusations d’« antisémitisme » formulées par le ministre de la Justice (AFP/Alain Jocard)
Par MEE

Le 2 août dernier, l’Assemblée nationale française a connu un rare moment de tension sur fond d’accusation d’antisémitisme contre les députés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES).

Le feu aux poudres a été mis par le député centriste de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) Habib Meyer, élu d’une circonscription des Français de l’étranger comprenant Israël, qui n’a pas hésité, tout en désignant les bancs de la NUPES dans l’Hémicycle, à dénoncer un « nouvel antisémitisme, toujours présent en France, notamment avec les islamogauchistes à la gauche de cet hémicycle ».

Le député franco-israélien, qui assume sa proximité avec le Likoud et l’ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou, interpellait le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti sur le sort de trois des responsables de l’attentat de la rue des Rosiers – qui marque son quarantième anniversaire – réfugiés en Palestine ou en Jordanie.

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Meyer Habib a profité de son temps de parole pour critiquer la proposition de résolution signée par 37 députés de gauche, majoritairement communistes, le 22 juillet, qui demande à la France de condamner « le régime d’apartheid institutionnalisé » par Israël contre les Palestiniens.

Ce geste politique a été qualifié par Meyer Habib d’« antisémite ». « Au moins, les députés NUPES sont clairs dans la haine des juifs et d’Israël […] Par clientélisme, [les signataires de la résolution] ont troqué le bleu ouvrier contre le vert islamiste ! », a-t-il raillé.

Dans sa réponse à Meyer Habib qui l’interpellait au Parlement, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a voulu adresser « un petit mot à l’extrême gauche », citant notamment la proximité de certains élus de gauche avec le leader travailliste britannique Jeremy Corbyn, en allusion aux accusations d’antisémitisme contre ce dernier.

Révoltés, plusieurs députés de la NUPES ont quitté l’Hémicycle pour protester contre les attaques du ministre.

Amalgame

Cette proposition de résolution au Parlement a de fait suscité un tollé parmi une partie de la classe politico-médiatique, entraînant de nombreuses accusations d’antisémitisme envers ses signataires.

Yonathan Arfi, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), puissant lobby pro-israélien, y a notamment réagi en écrivant : « En dépassant la critique ordinaire de la politique de l’État d’Israël, [ces élus] ont révélé, malgré leur dénégation, un fantasme conscient ou non : celui de la délégitimation puis en toute logique de la disparition de l’État d’Israël, ou du moins d’Israël comme État juif. »

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Invité sur un plateau de télévision, le 8 août, le grand rabbin de France, Haïm Korsia, a pour sa part déclaré : « Lorsque l’antisémitisme règne dans une société, même à bas bruit, et qu’il est affirmé et revendiqué au sein même de l’Assemblée nationale, alors il y a un problème de toute la société […]  On est revenus 120, 130 ans avant, on est dans la France du [journaliste et homme politique d’extrême droite du XIXe siècle Édouard] Drumont, portée par une autre violence antisémite avec les mêmes effets, la même haine et malheureusement, les mêmes risques pour la société ».

Ces passes d’armes interviennent dans un climat politique en France où la question de l’antisémitisme présumé de la gauche – ou de l’extrême gauche – est exacerbée de manière récurrente.

Le 30 juillet, le philosophe Michel Onfray a signé, dans le Journal du Dimanche, une tribune en réponse à la résolution, accusant une partie de la gauche d’« antisémitisme » et d’« antisionisme ».   

Cette tribune a suscité la colère des élus et cades de la NUPES, à commencer par le député de La France insoumise (LFI) Manuel Bompard, qui a déclaré sur Cnews que le texte d’Onfray était « extrêmement choquant » et « à côté de la plaque [du point de vue historique] ».

« Pour le reste, il n’y a aucun antisémitisme à la France insoumise [...] Il peut y avoir bien évidemment une contestation de la politique de l’État d’Israël, c’est autorisé, c’est nécessaire et je pense que c’est légitime. Mais bien évidemment, nous luttons contre la propagation et la diffusion des idées antisémites, qui sont insupportables », a ajouté l’élu LFI.

« L’anticommunisme d’Onfray n’est au fond qu’une des facettes de son ralliement aux théories d’extrême droite. Son discours est même caractéristique d’un populisme d’extrême droite fait d’outrance et de théories du complot », écrivent sur Médiapart des élus communistes.

Un « procédé classique »

Pour sa part, l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) a regretté que « tout le réseau des soutiens inconditionnels à l’État d’Israël se [soit] déchaîné, dans une incroyable démesure », contre cette proposition de résolution.

« Cette accusation d’antisémitisme est un procédé classique de tous ceux qui veulent faire taire les voix qui critiquent la politique de l’État d’Israël et interviennent dans le sens du respect du droit », ajoute l’ONG.

Commentant les accusations du ministre de la Justice à l’Assemblée, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, a déclaré à France Inter que jouer avec l’antisémitisme était « un crime ». « Ce qui est effrayant avec ce nouveau gouvernement, c’est cette volonté en permanence de dédiaboliser l’extrême droite pour venir diaboliser la gauche. »

La polémique a été rattrapée par la dernière offensive israélienne sur la bande de Gaza, qui a fait 45 victimes palestiniennes, dont 16 enfants.

Réagissant aux frappes israéliennes contre bande côtière sous blocus, le député NUPES et ex-chroniqueur télé Aymerci Caron a twitté : « Israël a une nouvelle fois bombardé un quartier résidentiel de Gaza et a tué plusieurs civils, dont une enfant de 5 ans. C’est inacceptable. Il faut rester mobilisés pour les droits du peuple palestinien ».

Cette prise de position a déclenché la colère de centaine d’internautes.

D’autres personnalités, comme le psychanalyste et éditorialiste Gérard Miller, ont condamné aussi bien les dérives du député Meyer Habib que le manque de compassion envers les souffrances des Palestiniens.

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