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France : les discriminations favorisent la surmortalité des descendants de l’immigration nord-africaine

Selon l’Institut national d’études démographiques, la probabilité de décès est 1,7 fois plus élevée chez les hommes de la seconde génération d’immigrés maghrébins en France en raison des discriminations et de la précarité. Une étude édifiante restée sans suite
En 2017, la Commission européenne a alerté sur l’ampleur des inégalités, en demandant aux États membres de l’UE de « prendre des mesures contre les pratiques discriminatoires affectant l’embauche d’immigrés nés en Europe de seconde génération » (AFP)

En France, les preuves de discriminations à l’encontre des populations d’origine nord-africaines ne se trouvent pas seulement dans les commissariats et les entreprises. Elles sont également présentes dans les registres de décès.

En 2019, une étude de l’Institut national d’études démographiques (INED) sur la mortalité des descendants d’immigrés de deuxième génération a révélé que les enfants (de sexe masculin) des expatriés originaires d’Algérie, du Maroc et de la Tunisie étaient 1,7 fois plus exposés à la mortalité entre 18 et 65 ans par rapport aux populations non migrantes ou issues du sud de l’Europe.

« Si les inégalités en matière de niveau scolaire, d’emploi et de revenus des descendants d’immigrés de deuxième génération d’origine non européenne sont bien documentées, aucun travail de recherche ne s’est intéressé jusque-là aux disparités dans le domaine de la mortalité », souligne Michel Guillot, directeur de recherche à l’INED, auprès de Middle East Eye.

Un taux de mortalité de 27 %

Selon lui, l’importance démographique des descendants d’immigrés dans la population française (environ 14 %) explique aussi pourquoi l’étude a été menée. « Nous avons plus d’informations sur les parents que sur les enfants », souligne le chercheur.

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Pour les besoins de son enquête, l’INED s’est appuyé sur un échantillon représentatif à l’échelle nationale de 380 000 personnes âgées de 18 ans et plus en 1999 et a exploité un suivi de la mortalité au moyen de registres de décès appariés jusqu’en 2010.

L’équipe de recherche, composée de Michel Guillot, de sa collègue Myrial Khlat et de Matthew Wallace, post-doctorant à l’Université de Stockholm, a ensuite comparé les niveaux de mortalité des descendants d’immigrés de deuxième génération âgés de 18 à 64 ans originaires d’Europe du Sud (Italie, Espagne, Italie) et d’Afrique du Nord avec ceux de leurs homologues immigrés de première génération et ceux de la population de référence (personnes nées en France de deux parents eux-mêmes nés en France).

« Nous avons constaté que la probabilité estimée de décès entre 18 et 65 ans s’élève à 16 % pour les hommes de la population de référence. Elle est 1,7 fois plus élevée pour les hommes nés en France de deux parents immigrés d’Afrique du Nord, soit un taux de 27 %. Cette probabilité est en revanche plus faible pour les hommes de la deuxième génération d’origine sud-européenne, qui se situe autour de 10 », explique Michel Guillot à MEE.

Précarité et discriminations

Fait important, la surmortalité observée chez les descendants masculins de l’immigration nord-africaine demeure importante même lorsque leur niveau d’instruction est élevé.

Cela se justifie, selon l’INED, par un ensemble de désavantages, notamment sur le marché du travail et le niveau des revenus.

La surmortalité observée chez les descendants masculins de l’immigration nord-africaine demeure importante même lorsque leur niveau d’instruction est élevé

« Des études ont montré que la perception de la discrimination sur le marché du travail est plus répandue dans la deuxième génération que dans la première génération d’immigrés de même origine, ce qui peut avoir un impact négatif sur la santé », affirme l’institut.

Michel Guillot et ses deux collègues ont par ailleurs identifié une série de comportements à risque induits par la précarité sociale, comme le tabagisme et la dépendance à l’alcool et à la drogue, ainsi que le stress, pour expliquer les décès prématurés et en surnombre des hommes issus de la seconde génération d’immigration maghrébine.

Leur espérance de vie est d’ailleurs beaucoup plus faible que celles de leurs parents.

« Les immigrés de première génération étaient robustes. Ce sont des personnes qui ont pris la décision, à un moment de leur vie, de quitter leurs pays, afin de trouver un meilleur avenir en France. Et pour entreprendre ce genre de voyage, il fallait être en bonne santé », souligne Michel Guillot.

Un enfant joue dans la cage d’escalier d’un immeuble du quartier du « chêne pointu », à Clichy-sous-bois, le 03 mars 2010 (AFP)
Un enfant joue dans la cage d’escalier d’un immeuble du quartier du Chêne pointu, à Clichy-sous-Bois, le 3 mars 2010 (AFP)

Le chercheur précise en outre que le cadre de référence des parents n’est pas du tout le même que celui de leurs enfants.

« Le succès n’est pas mesuré de la même manière. Les premières générations acceptaient mieux les désavantages socio-économiques en considérant qu’ils faisaient partie du coût de l’immigration. Leurs enfants en revanche n’ont rien demandé. Ils sont nés en France et vivent par conséquence plus mal les discriminations. »

Un problème de santé publique

Le mal-être de certains les conduit jusqu’au suicide. Cette raison figure d’ailleurs dans des études belges et suédoises sur la mortalité des individus issus de l’immigration et qui ont inspiré celle de l’INED.

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Pour Michel Guillot, la surmortalité des descendants masculins des immigrés nord-africains pose un véritable problème de santé publique compte tenu de la taille de la catégorie concernée (environ 5 % de la population française) et des phénomènes de discriminations auxquels elle est confrontée.

Le chercheur observe notamment que les enfants des immigrés sud-européens ne sont pas touchés par les mêmes difficultés d’accès à l’emploi. « À niveau d’éducation égale, ces derniers ont plus de chance de décrocher un poste de travail », fait-il savoir.

En 2017, la Commission européenne avait alerté sur l’ampleur des inégalités, en demandant aux États membres de l’UE de « prendre des mesures contre les pratiques discriminatoires affectant l’embauche d’immigrés nés en Europe de seconde génération ».

En France, le problème reste néanmoins posé. Deux ans après sa publication, l’étude de l’INED n’a pas connu de suites. Michel Guillot regrette à ce sujet l’absence d’une prise de conscience politique et considère que les choses n’ont pas évolué.

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