En Irak, les juifs ne se comptent plus que sur les doigts d’une seule main
Quand le docteur Dhafer Eliyahu est mort le 15 mars, le choc a été grand en Irak. Non seulement parce qu’il soignait gratuitement les plus nécessiteux mais aussi parce qu’avec sa disparition, le pays ne compte plus désormais que quatre juifs, issus pourtant d’une communauté autrefois nombreuse.
Au cimetière juif de Habibiya à Bagdad, coincé entre le monument des Martyrs, érigé par Saddam Hussein, et le bastion chiite de Sadr City, un vieux musulman continue d’entretenir les sépultures mais les visiteurs sont rares.
À l’enterrement du docteur Eliyahu, « c’est moi qui ai prié sur sa tombe », raconte sa sœur à l’AFP. « Il y avait des amis » d’autres confessions qui ont prié chacun à sa manière, poursuit-elle, refusant de divulguer son nom.
Cette prière juive en plein jour est un événement rare car il n’y a plus qu’une seule synagogue qui ouvre de temps en temps à Bagdad et aucun rabbin.
En Irak, ils ont écrit le Talmud de Babylone – sur la terre même où naissait le patriarche Abraham et où le jardin d’Eden trônait, selon la tradition, au cœur des marais mésopotamiens.
Pourtant, les racines des juifs d’Irak remontent à 2 600 ans. Ils sont arrivés, prisonniers, en 586 avant J-C, quand, selon la tradition, le roi babylonien Nabuchodonosor II a détruit le temple de Salomon à Jérusalem.
Près de 2 500 ans plus tard, à Bagdad sous domination ottomane, les juifs sont la deuxième communauté de la capitale et 40 % de ses habitants.
Au début du siècle dernier, le jour chômé est le samedi – jour de shabbat – et non le vendredi des musulmans comme aujourd’hui. Le ministre des Finances s’appelle Sassoun Eskell et il fait grande impression à l’aventurière britannique Gertrude Bell.
Aujourd’hui, « on prie chez soi et on sait que quand on se présente à l’administration avec un nom juif, on est mal reçu », affirme un fin connaisseur des juifs de Bagdad, qui lui aussi préfère rester anonyme.
150 000 juifs en exil
Et surtout, « il ne reste plus que quatre juifs de nationalité irakienne et dont les deux parents sont juifs » dans tout l’Irak fédéral, hors Kurdistan, affirme à l’AFP Edwin Shuker, juif né en Irak en 1955 et exilé depuis ses seize ans en Grande-Bretagne.
Tout a basculé avec les premiers pogroms. En juin 1941, celui de « Farhoud » se conclut par plus de 100 morts à Bagdad.
En 1948, Israël se crée, après une guerre, notamment contre l’Irak. Les 150 000 juifs d’Irak prennent quasiment tous le chemin de l’exil, plus ou moins volontaire.
Leurs papiers d’identité leur sont retirés pour être remplacés par des documents qui font d’eux des cibles partout où ils les montrent. La plupart préfèrent signer des papiers où ils disent « volontairement » partir et renoncer à leur nationalité et à leurs biens.
Jusqu’aujourd’hui, note Edwin Shuker, la loi interdit de revenir sur ces déchéances de nationalité.
En 1951, 96 % de la communauté est partie. Une bonne part suit plus tard après des pendaisons publiques d’« espions israéliens » en 1969 par le parti Baas qui vient de mener son coup d’État. La loi punit alors de mort la « promotion du sionisme », un article toujours pas abrogé.
La guerre Iran-Irak, l’invasion du Koweït, l’embargo international, l’occupation américaine en 2003 et le déferlement de violence qui s’ensuit achèvent d’étioler la communauté qui fin 2009 ne compte plus que huit membres, selon un câble diplomatique américain.
Et l’hémorragie continue : un bijoutier menacé par des miliciens qui convoitaient ses travaux d’orfèvre, s’exile.
Puis, Amer Moussa Nassim, petit-neveu de l’auteur et économiste de renom Mir Basri (1911-2005) part en 2011. À 38 ans, il raconte alors à l’AFP être sorti de Bagdad pour enfin mener « une vie normale » et se marier… car à Bagdad les dernières juives sont alors deux vieilles dames.
Il y a six mois, l’une d’elle décède, Sit Marcelle, défenseuse infatigable de la communauté. Et le 15 mars, le docteur Eliayhu.
En revanche, Israël compte 219 000 juifs d’origine irakienne, soit le plus grand contingent de juifs venus d’Asie.
En Irak, ils ont laissé maisons et synagogues qui, jusqu’à 2003, « étaient en parfait état avec chaque propriétaire identifiable », affirme Edwin Shuker. « Il ne suffisait que d’un vote au Parlement » pour tout rendre aux familles.
Par Sarah Benhaida et Salam Faraj.
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