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Avec la loi anti-LGBTQI+ en Irak, une « période sombre » attend la communauté

Les amendements apportés à une loi anti-prostitution de 1988 prévoient des peines allant jusqu’à quinze années d’emprisonnement pour les relations homosexuelles, et jusqu’à trois ans pour les transitions de genre
Ce n’est pas la première fois que la communauté LGBTQI+ se retrouve sous les critiques. En 2023 déjà, quand des exemplaires du Coran étaient brûlés dans plusieurs pays scandinaves, des manifestants en Irak avaient brûlé le drapeau arc-en-ciel (Gabriel Bouys/AFP)
Ce n’est pas la première fois que la communauté LGBTQI+ se retrouve sous les critiques. En 2023 déjà, quand des exemplaires du Coran étaient brûlés dans plusieurs pays scandinaves, des manifestants en Irak avaient brûlé le drapeau arc-en-ciel (Gabriel Bouys/AFP)
Par AFP

Pour fuir une vie d’humiliation et d’abus à cause de son homosexualité, Saif Ali quittait l’Irak en 2023, en espérant pouvoir y revenir un jour.

Avec l’adoption d’une loi criminalisant les relations entre personnes de même sexe, son rêve est parti en fumée.

Adoptés le 27 avril par le Parlement irakien, les amendements apportés à une loi anti-prostitution de 1988 prévoient des peines allant jusqu’à quinze années d’emprisonnement pour les relations homosexuelles, et jusqu’à trois ans pour les transitions de genre.

L’annonce a suscité des condamnations occidentales notamment des États-Unis. Des députés irakiens ont alors fustigé des « ingérences » étrangères et accusé « certaines organisations de la société civile » de vouloir promouvoir l’homosexualité pour « corrompre » la société.

« Avec la loi, impossible de revenir, même pour une visite. C’est ce qui me brise le cœur », résume M. Ali, 26 ans, qui milite pour les droits LGBTQI+.

Partir avait été une des décisions « les plus difficiles » qu’il ait jamais prise, explique-t-il. Mais « je n’avais pas le choix ».

Dans sa ville natale de Nadjaf, sa famille l’a gardé enfermé à la maison pendant deux ans. En cause : son « apparence » et il « n’était pas comme les autres hommes », se souvient-il.

Menacé de mort, il s’est réfugié à l’étranger. « La communauté LGBTQI+ en Irak est exposée à tout type de violence : meurtre, viol, kidnapping et chantage », résume-t-il.

« La période qui s’ouvre va être très sombre », pronostique le militant, fondateur de l’association « Gala for LGBTQ+ ».

Son association a posté plusieurs conseils en ligne aux personnes de la communauté en Irak, les invitant à éviter les applications de rencontre et à « réduire l’expression de leur identité queer ».

Élargir la répression

Dans une société conservatrice et patriarcale, où le rejet de l’homosexualité fait consensus au sein de l’opinion publique, les autorités avaient recours au code pénal de 1969 pour condamner les personnes LGBTQI+ à la prison à perpétuité ou plusieurs années de détention, utilisant des dispositions vagues en lien avec la moralité, la prostitution ou la sodomie.

Les nouveaux amendements interdisent « toute organisation faisant la promotion de l’homosexualité en Irak », avec une peine de prison de sept ans pour « la promotion » des relations homosexuelles.

La législation proscrit « le changement de sexe biologique sur la base de désirs ou de penchants individuels » et prévoit une peine d’un à trois ans d’emprisonnement pour tout patient ou médecin impliqué dans cette transition.

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Une peine similaire est prévue pour tout homme dont le comportement est jugé efféminé.

Sur les réseaux sociaux, des militants ont déploré des formulations vagues, prêtant le flanc à l’interprétation et permettant d’élargir la répression.

Initialement, une première mouture prévoyait la peine de mort avant d’être remaniée.

Le député Moustafa Sanad a d’ailleurs dénoncé sur X les « pressions » d’une dizaine d’ambassades occidentales.

« Quand on vit en Irak il n’y a pas de sécurité », confie une militante s’exprimant sous le couvert de l’anonymat.

Longtemps Internet a été pour elle une parenthèse de liberté, pour raconter les destins de la communauté. Après plusieurs menaces, son blog a été piraté, puis suspendu en 2018. Elle s’est alors lancée dans un podcast.

Avec la nouvelle loi, son entourage veut qu’elle arrête tout. « Je n’y arrive pas », lâche-t-elle.

À 29 ans, elle a toujours refusé l’idée de partir « juste parce que je suis queer ». Aujourd’hui, un départ est peut-être inévitable.

« La communauté vit déjà dans la clandestinité. On est encore plus poussé dans l’ombre ».

« Ce n’est plus juste la famille ou la société que l’on défie en vivant notre véritable identité. C’est l’État » 

- Yazan al-Obeidi, militant irako-norvégien queer

Ce n’est pas la première fois que la communauté LGBTQI+ se retrouve sous les critiques. En 2023 déjà, quand des exemplaires du Coran étaient brûlés dans plusieurs pays scandinaves, des manifestants en Irak avaient brûlé le drapeau arc-en-ciel.

« Nous savons que la société irakienne refuse [l’homosexualité], mais il y a une promotion délibérée de cultures que nous ne reconnaissons pas », avait récemment indiqué à l’AFP le député Raëd al-Maliki, à l’origine des amendements.

« C’est l’avenir qui nous inquiète et la loi est une sorte de prévention pour protéger la société ».

Yazan al-Obeidi, militant irako-norvégien queer, sait qu’il ne reviendra pas dans son Irak natal. Il n’est plus retourné depuis 2018 et s’attend à un accroissement de la « migration queer », après ce vernis de « légalité » apporté à la répression de la communauté.

Désormais « ce n’est plus juste la famille ou la société que l’on défie en vivant notre véritable identité. C’est l’État. » 

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