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Les Koweïtiennes dénoncent le harcèlement sexuel en ligne

Des Koweïtiennes ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux pour réclamer la fin de l’impunité et partager leurs témoignages
Des femmes sensibilisent au harcèlement sexuel au Koweït (capture d’écran/Instagram/Illustration de Mohamad Elasaar)
Des femmes sensibilisent au harcèlement sexuel au Koweït (capture d’écran/Instagram/Illustration de Mohamad Elasaar)

« Je ne me tairai pas. » Voilà le cri de ralliement des femmes au Koweït ces dernières semaines : une campagne en ligne veut mettre en lumière le harcèlement sexuel, une pratique fréquente, dans le pays et mettre un terme à l’impunité des harceleurs. 

Cette campagne a été lancée par la blogueuse mode américano-koweïtienne Ascia al-Faraj, connue sur internet sous son seul prénom, qui compte plus de deux millions d’abonnés sur Instagram. 

La blogueuse s’est adressée à ses abonnés sur Instagram, en les informant qu’elle sensibiliserait désormais à ce problème, selon elle majeur au Koweït. 

Faraj avait publié une vidéo émouvante et enflammée dans laquelle elle exprimait sa colère vis-à-vis du harcèlement sexuel au Koweït.

« Dès que je sors, je suis harcelée », déclare-t-elle dans sa vidéo. « Je me contente de vaquer à mes occupations. N’avez-vous pas honte ? Le problème, c’est que les hommes ici sont sans gêne. »

De nombreuses femmes partagent leurs anecdotes de harcèlement sexuel sur une page Instagram créée pour réclamer une protection des femmes (capture d’écran/Instagram)
De nombreuses femmes partagent leurs anecdotes de harcèlement sexuel sur une page Instagram créée pour réclamer une protection des femmes (capture d’écran/Instagram)

En parallèle, une page Instagram appelée Lan asket (Je ne me tairai pas) a été lancée la semaine dernière, appelant les femmes à partager leurs expériences et témoignages en matière de harcèlement sexuel. 

Depuis sa création, la page rassemble 8 000 abonnés. Le Koweït est un royaume conservateur où évoquer de tels problèmes est généralement tabou.

Cette page Instagram a été créée par Shayma Shamo, médecin de 27 ans ayant étudié à l’étranger avant de revenir au Koweït l’année dernière. Cette tribune sert également à partager des infographies à propos du harcèlement et les moyens de démonter les justifications du harcèlement. 

Des dizaines de témoignages ont été partagés. Une adolescente de 14 ans y raconte par exemple l’accident qu’elle a eu après avoir été poursuivie par un groupe de garçons dans un autre véhicule. Désormais, elle ne sort plus de chez elle seule. 

Parler de ce problème en arabe

D’autres témoignages évoquent des victimes suivies, touchées sans permission et faisant les frais de remarques obscènes.

« Dès que j’ai ouvert ce compte, les messages ont afflué… de femmes et de jeunes filles qui ont subi du harcèlement sexuel, physique et verbal… Nous devons parler, nous unir et nous défendre mutuellement car ce qui se passe est inacceptable », affirme Shamo à l’AFP.

Si le mouvement est encore relativement nouveau, Faraj dit s’attendre à une réaction rapide du gouvernement koweïtien.

« Nous n’avons pas encore eu de réaction officielle du gouvernement à propos de cette campagne, malgré son ampleur actuelle », a écrit Faraj sur Instagram mardi. « Je suis persuadée que cela viendra, mais dans le cas contraire, je serai très déçue qu’après deux semaines de discussions, nos voix ne comptent pas.

« Tant qu’on ne verra pas de changement durable, on ne se taira pas. On ne se taira pas là-dessus », poursuivait-elle. 

Traduction : « Une campagne digne de soutien. Nous pouvons tous faire plus pour prévenir le harcèlement des femmes, que ce soit aux États-Unis ou au Koweït. #Lan_asket. »

La campagne s’étend également à Twitter, où beaucoup utilisent le hashtag « Je ne me tairai pas » pour réclamer des politiques gouvernementales, des lois pour protéger les femmes du harcèlement sexuel, ainsi que pour dissiper les stéréotypes qui existent sur le sujet. 

L’ambassade américaine au Koweït a publié un tweet reconnaissant la pertinence de cette campagne. 

La semaine dernière, Faraj s’est adressée à ses abonnés pour expliquer qu’elle choisissait de parler de ce problème en arabe pour parvenir au changement et faire passer le message à ceux qui ont le plus besoin de l’entendre. 

« Nous sommes dans un pays majoritairement arabophone et ceux qui ont besoin d’entendre ça pour changer et faire évoluer le fonctionnement de leurs foyers ou les lois de ce pays parlent arabe », se justifie-t-elle. 

La campagne sur les réseaux sociaux traite également des abus et du harcèlement dont sont victimes les immigrantes qui vivent et travaillent au Koweït.

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Les travailleurs immigrés constituent deux tiers de la population du Koweït, selon un rapport publié par Human Rights Watch (HRW), et sont particulièrement vulnérables aux mauvais traitements en raison du manque de protection du système de la kafala qui relève de l’exploitation au Moyen-Orient.

« Le mouvement actuel englobe l’ensemble des femmes au Koweït, il ne concerne pas uniquement les Koweïtiennes et n’est pas au seul bénéfice des Koweïtiennes », affirme Faraj dans l’une de ses vidéos publiées sur les réseaux sociaux.

« La communauté des expatriés est extrêmement vulnérable, et elles sont parfois harcelées à un point que les Koweïtiennes ne comprendront jamais parce qu’elles ne peuvent pas compter sur leur nationalité pour peut-être faire peur aux hommes qui les harcèlent. C’est un combat qui concerne absolument toutes les femmes de ce pays, pas uniquement celles qui en ont la nationalité. »

Pas pris au sérieux

La campagne contre le harcèlement a reçu énormément de soutien sur internet, des milliers de personnes ont repris le hashtag. Mais elle a également suscité la controverse parmi ceux qui estiment que parler de ces sujets est honteux. 

Rothna Begum, chercheuse à HRW, a déclaré à l’AFP que la campagne était particulièrement importante dans un pays où le harcèlement sexuel et les abus ne sont souvent pas pris au sérieux. 

« La publication de ces témoignages est d’une importance capitale pour que les Koweïtiens se rendent compte de ce à quoi ressemble le harcèlement et le mal terrible qu’il provoque », indique-t-elle.

Selon HRW, le Koweït ne dispose pas de lois interdisant les violences domestiques, le harcèlement sexuel ou le viol conjugal.

Les femmes ont obtenu le droit de vote et de se présenter aux élections au Koweït il y a quinze ans à peine. Si un nombre record de 29 femmes se sont présentées aux législatives de décembre, aucune n’a été élue – un coup dur pour le statut des femmes qui ont lutté avec acharnement ces dernières années pour une meilleure représentation dans cet émirat riche en pétrole.

La campagne au Koweït emboîte le pas à des mouvements similaires qui sont apparus en Tunisie et en Égypte ces derniers temps.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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