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La France condamnée pour les mauvaises conditions de vie des harkis dans les camps d’accueil

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France jeudi 4 avril à verser plus de 19 500 euros à quatre requérants au prorata de leur temps passé dans un camp d’accueil pour harkis dans le Lot-et-Garonne
De jeunes musulmans français, enfants de harkis, manifestent devant le camp des harkis de Saint-Maurice l’Ardoise, près de Saint-Laurent-des-Arbres, dans le Gard, pour attirer l’attention sur les conditions des harkis, le 2 juin 1975 (AFP)
De jeunes musulmans français, enfants de harkis, manifestent devant le camp des harkis de Saint-Maurice l’Ardoise, près de Saint-Laurent-des-Arbres, dans le Gard, pour attirer l’attention sur les conditions des harkis, le 2 juin 1975 (AFP)

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné jeudi 4 avril la France pour les conditions de vie « pas compatibles avec le respect de la dignité humaine » des harkis dans les camps d’accueil où ils ont passé des années après leur retour d’Algérie dans les années 1960 et 1970.

Les cinq requérants sont des ressortissants français nés entre 1957 et 1969, enfants de harkis, les auxiliaires d’origine algérienne ayant combattu aux côtés de l’armée française durant la guerre d’Algérie (1954-1962).

Quatre d’entre eux sont arrivés en France au moment de l’indépendance de l’Algérie en 1962 ou sont nés en France dans les années suivantes. Ils ont vécu dans des camps d’accueil pour harkis, principalement celui de Bias, dans le Lot-et-Garonne, jusqu’en 1975.

Pendant la guerre, l’armée française avait recruté localement jusqu’à 250 000 de ces Algériens qui tiraient leur nom du mot harka (groupe mobile en arabe). Mais après les accords d’Évian, le 18 mars 1962, consacrant la défaite française en Algérie, le gouvernement français avait refusé leur rapatriement massif.

Seuls 42 000 harkis sont alors évacués en France par l’armée. D’autres y parviennent clandestinement et au total environ 90 000 personnes arrivent dans l’Hexagone entre 1962 et 1965, dont la moitié atterrit dans des camps aux conditions de vie déplorables, où certains enfants perdront la vie faute de soins.

Les requérants ont intenté différents recours concernant leurs conditions de vie dans ce camp, pointant notamment leur enfermement, l’ouverture de leur courrier par l’administration du camp, la réaffectation des prestations sociales dues à leur famille aux dépenses du camp et de leur scolarisation dans une école interne à la structure, en dehors du système éducatif de droit commun.

Des sommes « modiques »

Les juridictions administratives françaises ont déjà estimé que la responsabilité pour faute de l’État était engagée et la France leur a déjà versé 15 000 euros en réparation des préjudices matériel et moral subis.

Cependant, la CEDH, bien que « consciente de la difficulté de chiffrer les préjudices subis par les requérants », « considère que les montants accordés par les juridictions internes en l’espèce ne constituent pas une réparation adéquate et suffisante pour redresser les violations constatées ».

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S’agissant de traitements inhumains et dégradants, « les sommes allouées aux requérants sont modiques par comparaison avec ce que la Cour octroie généralement dans les affaires relatives à des conditions de détention indignes ».

« Elle en déduit que ces sommes n’ont pas couvert les préjudices liés aux autres violations de la Convention », estime la Cour européenne.

Celle-ci condamne ainsi la France à verser plus de 19 500 euros aux quatre requérants, issus de la même famille, au prorata de leur temps passé dans le camp de Bias.

Le cinquième requérant, dont le père avait été exécuté en 1957 par le Front de libération national (FLN) algérien, et qui avait rejoint la France en 1980, n’a en revanche pas obtenu gain de cause.

Les Algériens recrutés dans l’armée française qui sont restés au pays, considérés comme des traîtres par le nouveau pouvoir algérien, sont victimes de dures représailles, qui font dans leurs rangs 10 000 à 25 000 morts selon l’historien Benjamin Stora, 150 000 selon certaines de leurs associations, qui ont porté plainte sans succès en 2001 pour crime contre l’humanité.

Les harkis et leurs descendants formeraient aujourd’hui une communauté de plusieurs centaines de milliers de personnes en France.

Depuis 1974, plusieurs de leurs enfants ont mené des grèves de la faim, tandis que des associations manifestaient régulièrement pour la reconnaissance de leur drame. Leurs parents ont connu une intégration difficile en France, à la fois assimilés à des immigrés et rejetés par les immigrés eux-mêmes. 

Fouilles dans le Gard et Pyrénées-Orientales

En 2000, le président algérien Abdelaziz Bouteflika les avait qualifiés de « collaborateurs », excluant leur retour en Algérie.  « Les conditions pour des visites de harkis en Algérie ne sont pas encore venues. C’est exactement comme si on demandait à un Français de la résistance de toucher la main d’un collabo », avait-il déclaré.

Le 25 septembre 2001, Jacques Chirac célèbre la première journée d’hommage national aux harkis, officialisée par un décret de 2003. En 2005, une loi prévoit une allocation de reconnaissance pour les harkis ou leurs orphelins.

François Hollande reconnaît en 2016 les « responsabilités des gouvernements français dans l’abandon des harkis, les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d’accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France ». 

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En 2018, un « plan harkis » débloque 40 millions d’euros sur quatre ans pour revaloriser notamment les pensions des anciens combattants. Une somme jugée bien insuffisante par les associations. 

La même année, le Conseil d’État condamne l’État à indemniser un fils de harki ayant subi des « séquelles » liées à sa vie dans un camp.

Le 20 septembre 2022, Emmanuel Macron demande « pardon » aux harkis au nom de la France et promet une « réparation » actée dans la loi le 15 février 2022. Cinquante millions d’euros doivent abonder le fonds d’indemnisation. 

En 2023, le gouvernement annonce que des milliers de harkis ou descendants vont être éligibles à de nouvelles indemnisations. 

En 2022 et 2023 des fouilles sont en outre entreprises par l’État dans des anciens camps du sud de la France, Saint-Maurice l’Ardoise (Gard) et de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), où des tombes de fortune seront mises au jour.  

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