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Liban : le stand-up, thérapie par le rire après une année infernale

De jeunes humoristes libanais s’attaquent par la dérision et l’ironie aux crises multiples que traverse leur pays
Des stand-uppers libanais, le 15 décembre 2020, avant leur passage sur scène à Beyrouth (AFP)
Des stand-uppers libanais, le 15 décembre 2020, avant leur passage sur scène à Beyrouth (AFP)
Par AFP à BEYROUTH, Liban

Un dealer qui veut émigrer au Canada, les aléas de la drague à l’ère du coronavirus. Au Liban en crise, le stand-up brise les tabous et offre un rire thérapeutique après une année cauchemardesque.

Dans une salle de spectacle coincée entre une autoroute et des entrepôts, entre deux quartiers ravagés par l’explosion meurtrière du 4 août au port de Beyrouth, les rires fusent et l’humour met du baume au coeur, malgré l’effondrement économique, malgré le COVID-19 et le confinement, malgré les traumatismes.

« La situation est tellement merdique que même le marché aux puces fait 50 % de réduction sur tout », lance l’humoriste Nicolas Tawk.

En ce soir pluvieux de décembre, une dizaine d’humoristes se succèdent. L’événement est organisé par Awk.word, comedy club ayant contribué à populariser le stand-up underground ces trois dernières années.

Accompagné d’une guitare, un duo chante les désillusions des Libanais sur l’air de « I will survive », quand il ne raconte pas les aléas de la vie nocturne en pleine pandémie.

« Un exutoire »

« Lève-toi qu’on danse, jeune fille, mais attends que je désinfecte mes mains. Ne me fais pas une crise, je vais mettre mon masque », fredonne le duo devant un public ravi qui a reconnu les notes d’une chanson populaire.

Salace, délicieusement irrévérencieux et incisif, le stand-up a le vent en poupe au Liban.

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Dans un pays multiconfessionnel toujours profondément divisé après la guerre civile de 1975-1990, les artistes décortiquent le communautarisme, la société et ses hypocrisies, mais aussi les manquements de la classe politique, inchangée depuis des décennies, accusée de corruption et d’incompétence.

« Même s’il y a un exutoire, on rappelle aux gens […] pourquoi ils sont fâchés », souligne Nour Hajjar, maître de cérémonie.

Sur scène, il raconte avec un rire communicatif l’histoire de son dealer qui veut s’installer au Canada.

« Voila à quel point la situation est merdique : quand celui qui vend de la drogue te dit ‘’Mec, y’a plus de marché’’ », lance le jeune homme de 28 ans aux yeux rieurs, ses cheveux en bataille.

Car l’année écoulée aura été infernale.

D’abord avec les espoirs déçus du soulèvement populaire d’octobre 2019, puis la dépréciation historique de la livre libanaise, les licenciements en masse et les restrictions bancaires sur les retraits.

Mario Moubarak, guichetier de banque, a fini par démissionner. Son expérience et la mauvaise réputation des établissements financiers, accusées de recel, nourrissent désormais ses sketchs, à grand renfort d’humour noir.

Face à une religieuse souhaitant retirer des dollars pour son neveu malade, on ne peut rien faire, sauf lui conseiller une petite prière, raconte-t-il.

« Les gens veulent rire […] Il faut bien avoir un exutoire. On a traversé des peines, des tragédies et ce n’est pas fini », confie à l’AFP le jeune homme de 27 ans.

Jongler avec les lignes rouges

« C’est comme du Xanax », renchérit Shaden, véritable phénomène sur les réseaux sociaux, mettant en avant le nécessaire engagement politique et l’obligation d’ouvrir certains débats épineux.

Généreuse en ironie mordante et en jurons imagés, elle fustige sur scène l’incurie des dirigeants. « Avec le soulèvement du 17 octobre, il fallait casser l’image divine du système », explique-t-elle.

Traiter l’explosion traumatisante du 4 août ? Trop tôt, reconnaissent les stand-uppers

Militante pour les droits des femmes et de la communauté LGBTQ+ dans une société largement conservatrice, elle tourne en dérision le patriarcat et le machisme.

« La société a mis de nombreuses barrières sur le chemin des femmes, nous devons les briser », ajoute-t-elle. « Aujourd’hui, quand on parle de sexe [sur scène], c’est aussi pour dire que la femme a une voix. »

Traiter l’explosion traumatisante du 4 août ? Trop tôt, reconnaissent les stand-uppers, même si certains, au détour d’une phrase, font allusion à la charge émotionnelle, non sans humour.

Pour le reste – sexe, religions ou communautés –, ils jonglent avec les lignes rouges.

« C’est du défoulement pur, ils disent ce qui ne se dit pas normalement », se réjouit dans le public Joëlle Jabbour.

« Ça fait partie de leur quotidien et du nôtre », poursuit cette architecte d’intérieur de 24 ans. « C’est drôle, donc facile à écouter. Mais dur en même temps, car ce sont d’amères vérités au sujet du Liban », ajoute-t-elle, pendant la pause clope de ses amis. « Rire de ce qui rend triste, ça allège un peu. »

Par Tony Gamal-Gabriel.

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