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Être un homme ou ne pas être : le podcast marocain « Machi rojola » pose la question

Conçu durant le confinement par Sofiane Hennani, membre du collectif Elille, le programme sonore « Machi rojola » soulève un sujet sensible : l’expression de la masculinité au Maroc
Les illustrations du programme sonore ont été réalisées par Zainab Fasiki, elle-même auteure d’une série dessinée intitulée Hshouma, sur les tabous liés au genre, au corps et à la sexualité (Crédit : Jean Baptiste Liotard / Illustration : Zainab Fasiki)
Les illustrations du programme sonore ont été réalisées par Zainab Fasiki, elle-même auteure d’une série dessinée intitulée Hshouma, sur les tabous liés au genre, au corps et à la sexualité (Crédit : Jean Baptiste Liotard / Illustration : Zainab Fasiki)
Par Tiphaine Ruppert-Abbadi à MARRAKECH, Maroc

Au commencement, il y a eu Elille. Un collectif de Marocaines et Marocains né en 2018 du besoin d’ouvrir la discussion sur les questions de genre et de sexualité à travers les arts et les médias alternatifs.

Avec « Machi rojola », créé pendant le confinement, Soufiane Hennani, 28 ans, doctorant en biologie, pose une nouvelle pierre à l’édifice.

Le podcast, qui a réuni quelque 70 000 auditeurs sur les huit premiers épisodes, aborde et interroge les masculinités au Maroc afin d’en comprendre les fondements… et mieux les déconstruire lorsqu’elles apparaissent toxiques.

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Par « toxiques », comprendre : les comportements masculins stéréotypés, de la répression des émotions à la violence sexuelle ou domestique, en passant par la misogynie ou l’homophobie. Bref, tout comportement masculin ayant un impact négatif sur la société et les hommes eux-mêmes.

« C’est quelque chose qui est en moi depuis l’enfance. Qu’est-ce que c’est qu’être un homme ? Comment un homme devrait-il se comporter dans la société pour ne pas qu’elle le juge ? », indique Soufiane Hennani à Middle East Eye.

« Pendant le confinement, avec mes camarades du collectif, nous avons commencé à documenter le sujet. Au début, l’idée était de créer quelque chose d’artistique mais à la fin, nous nous sommes retrouvés avec une documentation qui nous permettait de créer quelque chose de plus grand. Il se trouve que j’écoutais [alors] beaucoup de podcasts et suivais une formation en ligne avec une réalisatrice canadienne sur le podcasting. »

Penser l’humain avant le genre

Littéralement, l’expression Machi rojola, le titre de ce nouveau programme donc, signifie « Tu n’es pas un homme » en dialecte marocain. Soufiane Hennani explique : « Quand nous sommes très jeunes, nos parents nous disent d’être des hommes, de ne pas nous laisser avoir par les femmes, [au risque] d’être machi rojola. Juste après, tu as tes amis qui te disent d’être un homme et de séduire les femmes. Si tu ne le fais pas, [là aussi] tu es machi rojola. »

Pour le jeune homme, que le magazine Tel Quel classe parmi les Marocains de moins de 40 ans qui pourront changer le visage du pays, l’idée était de se réapproprier le sens d’une phrase qui n’en n’a plus vraiment. « Que machi rojola soit synonyme de pluralité des masculinités ? Pourquoi pas ! »

Comme dans beaucoup d’autres pays, la doctrine patriarcale a forgé la société et les mentalités marocaines. Une situation qui perdure en dépit des efforts mais ne demande qu’à évoluer. En témoigne par exemple le récent rapport de la Commission spéciale sur le nouveau modèle de développement.

Dans la première saison, Soufiane Hennani et ses invités ont évoqué la mentalité des hommes du Sud, le pro-féminisme ou encore la santé mentale des hommes (avec l’aimable autorisation de Soufiane Hennani)
Dans la première saison, Soufiane Hennani et ses invités ont évoqué la mentalité des hommes du Sud, le pro-féminisme et la santé mentale des hommes (avec l’aimable autorisation de Soufiane Hennani)

Le texte fixe notamment comme objectif, à l’horizon 2035, une meilleure inclusion des femmes dans la vie du pays et pointe l’aspiration de la population à plus de libertés individuelles.

Soufiane Hennani constate que les Marocains continuent, eux aussi, de subir des injonctions qu’il juge obsolètes. Il tempère : « La bonne nouvelle, c’est qu’il y en a de plus en plus qui, justement, ne rentrent pas dans ces cases et qui assument pleinement le fait de sortir de [cette] normativité sociale. »

Certains commentaires d’auditeurs du podcast laissent à penser que cette première saison a ouvert une brèche, un espace d’échange, y compris au sein des familles.

Soufiane Hennani y croit, tant il pressent au sein de la jeunesse le besoin de discuter de ces sujets, mais souligne néanmoins qu’avec les parents, un débat horizontal et apaisé reste encore délicat.

« Pour sortir du patriarcat, il faut certainement repenser le genre, sortir de la binarité et penser l’humain d’abord »

- Soufiane Hennani

Pour la nouvelle voix de la masculinité positive, l’évolution viendra de la capacité à dépasser l’opposition homme/femme car, au final, chacun entretient bien un peu le système.

« Il ne faut pas croire que la masculinité toxique a un genre. Pour sortir du patriarcat, il faut certainement repenser le genre, sortir de la binarité et penser l’humain d’abord », analyse-t-il.

D’ailleurs, « Machi rojola », disponible sur les principales plateformes d’écoute, n’est pas un programme réservé aux hommes. « J’ai toujours pensé que le féminisme n’est pas une question féminine et que les masculinités ne concernent pas seulement les hommes. »

En préparation, la deuxième saison poursuivra sur sa lancée : amour, sexualité, radicalisation, prisons et rapports de celles-ci aux masculinités.

En parallèle, dans les prochaines semaines, le collectif mettra en ligne une plateforme où les jeunes pourront déposer textes, photos et vidéos avec toujours comme objectif celui d’interroger et repenser les masculinités au Maroc.

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