EN IMAGES : La vie au Moyen-Orient avant les frontières coloniales
En 1916, des représentants de la France et de la Grande-Bretagne, puissances impériales, se rencontrèrent en secret pour formuler les accords Sykes-Picot, qui allaient impacter à jamais la réalité politique, sociale et culturelle du Moyen-Orient. Les bureaucrates coloniaux décidèrent qu’au lieu d’accorder aux peuples de la région le droit à l’autodétermination, tel qu’initialement convenu, ils se partageraient le Moyen-Orient et entameraient un processus d’acquisition coloniale sous le couvert du système de mandats soutenu par la Société des nations.
(L’image du haut montre deux hommes arabes à Jérusalem dans les années 1920 ; ci-dessus, une carte du Moyen-Orient divisé selon les accords Sykes-Picot. Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque du Congrès américain)
En divisant ces territoires contre la volonté des peuples autochtones du Moyen-Orient, les autorités coloniales créèrent davantage que de simples barrières physiques entre eux – elles transformèrent également la culture des habitants de la région, de leur sentiment identitaire à leur langue. Du fait de décisions prises par des personnes venues de milliers de kilomètres de là, les habitants du Moyen-Orient se retrouvèrent flanqués de nouvelles identités nationales les séparant de leurs voisins, avec lesquels ils avaient pourtant partagé la région plus vaste et sa culture pendant des siècles.
L’image ci-dessus est une vue de Jaffa depuis la mer Méditerranée, entre 1890 et 1900. Alors qu’une grande partie de la culture palestinienne et levantine tourne autour des villes côtières, des millions de Palestiniens n’ont jamais vu la mer Méditerranée en raison de l’occupation israélienne. (Bibliothèque du Congrès américain)
Les archives historiques nous fournissent des matériaux riches qui offrent la possibilité de réimaginer une histoire que nos contemporains n’ont jamais connue, car exilés dans une diaspora toujours plus nombreuse ou piégés par des frontières artificielles figées qui les divisent physiquement depuis un siècle. Il est difficile d’imaginer que notre réalité d’aujourd’hui puisse ressembler à l’avenir envisagé par les habitants du Moyen-Orient il y a un siècle. Aujourd’hui, les peuples du Moyen-Orient ont moins accès les uns aux autres – une aliénation qui se fait sentir depuis les accords Sykes-Picot. Dans le monde actuel, les lignes tracées sur une carte divisent davantage que les océans et les montagnes.
Sur la photo, un train longe le chemin de fer du Hijaz établi par l’Empire ottoman. Celui-ci devait relier Damas à Médine et prévoyait une ligne secondaire vers Haïfa, sur la côte méditerranéenne. La construction du chemin de fer fut interrompue au début de la Première Guerre mondiale et les voies sont désormais en grande partie hors d’usage. (Bibliothèque du Congrès américain)
Certains aînés de la région se plaisent à raconter comment ils pouvaient se rendre à Haïfa, Beyrouth ou Damas par la route en une seule journée. Les restrictions et le manque d’accès entre les villes aujourd’hui rendent de telles histoires impossibles. Sur la photo, un bus desservant un itinéraire entre Haïfa et Beyrouth dans les années 1920. (National Geographic)
Sur ce cliché, pris dans les années 1930, des passagers attendent de monter à bord d’un autocar voyageant de la capitale irakienne, Bagdad, à la capitale syrienne, Damas. (National Geographic)
Cette carte montre les routes aériennes entre la Palestine, l’Égypte, l’Irak, le Liban, la Turquie, l’Iran, l’Arabie saoudite et au-delà en 1947. Pour beaucoup, réserver un vol auprès d’une compagnie aérienne pour se rendre dans un pays voisin est relativement simple, mais au Moyen-Orient, nombreuses sont les personnes qui ont un accès limité ou inexistant à des pays du voisinage en raison de règles strictes en matière de visas. (Bibliothèque du Congrès américain)
Les communautés du Moyen-Orient étaient conscientes des desseins coloniaux européens et tentèrent activement de contrer la domination impériale de leurs terres et de leur avenir. Le 2 juillet 1919, des représentants élus du Liban, de la Syrie, de la Palestine et de l’Irak se réunirent à Damas pour formuler un mémorandum officialisant leur aspiration à unir les nations de Syrie, de Palestine et du Liban sous un même gouvernement démocratique.
Le mémorandum devait être présenté à la commission internationale nommée par le président américain Woodrow Wilson. Cette dernière passa plus d’un mois dans la région et écouta les requêtes de plus d’un millier d’habitants qui plaidaient pour une Syrie unie. Malgré ces efforts, la commission apporta son soutien au système de mandats, qui divisa la Syrie, la Palestine et le Liban.
Sur la photo ci-dessus, une manifestation se tient à Jaffa pendant le mandat britannique de la Palestine, en 1919. Sur la banderole, on peut lire : « La Palestine fait partie de la Syrie ». (Source : The Arab Woman and the Palestine Problem by Matiel ET Mogannam, 1937)
En 1917, après la défaite de l’Empire ottoman, Ronald Storrs devint le gouverneur militaire de Jérusalem. Pendant l’occupation britannique, une série de mesures très restrictives furent imposées pour contrôler Jérusalem et restructurer la ville en fonction des intérêts impériaux.
L’avis ci-dessus fut envoyé à tous les habitants de Jérusalem pour leur signaler qu’ils n’étaient plus autorisés à communiquer dans des langues non officiellement reconnues par les occupants coloniaux britanniques. Plus de quinze langues étaient parlées dans toute la ville, témoignant de sa culture unique et multiple. Cette proclamation fut l’un des nombreux exemples de la façon dont Jérusalem fut dépouillée de son identité cosmopolite par le colonialisme. (National Geographic)
L’homme représenté sur ce cliché daté de 1926 est le cheikh Yacoub Bukhair, chef du Tekkiye Naqshbandi, un ordre soufi. Basé à Jérusalem, l’ordre était logé au waqf (fondation islamique) Zawiyat al-Afghani, rue Sultan Barkuka.
Construit en 1043, le waqf donnait l’hospitalité aux voyageurs et pèlerins venus d’Afghanistan et d’Ouzbékistan. Selon un recensement réalisé en 1905, environ 94 personnes originaires de ces contrées résidaient à Jérusalem. En plus des Afghans et des Ouzbeks, des ressortissants de nombreuses autres nationalités du monde entier vivaient à Jérusalem. (National Geographic)
La photo ci-dessus publiée dans le National Geographic en 1919 montre des étudiants du Syrian Protestant College de Beyrouth. Elle est intitulée « Une image cosmopolite de Syrie », car les étudiants photographiés sont syriens, égyptiens, turcs, arméniens, grecs et juifs.
L’intellectuel anticolonialiste Frantz Fanon a préconisé d’écrire l’histoire avec l’intention d’ouvrir l’avenir et de nourrir l’espoir. Réexaminer notre passé à travers cette perspective peut, éventuellement, nous permettre d’envisager un avenir sans barrières ni isolement. (National Geographic)
Traduit de l’anglais (original).
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