EN IMAGES : Khaled Dawwa, sculpteur de la Syrie détruite
C’est un quartier de Syrie ravagé par les bombardements du régime où gisent des corps sous les gravats, des jouets cassés, au pied d’immeubles soufflés, reconstitué en une œuvre monumentale qui nous précipite dans le chaos de la guerre.
Dans cette œuvre de l’exil intitulée « Voici mon cœur ! », comme dans toutes les autres depuis qu’il s’est réfugié en France, l’artiste syrien Khaled Dawwa poursuit la lutte contre l’oppression et exhorte inlassablement « à ne pas oublier la révolution du peuple syrien et tous ses sacrifices ». (Photos : Joël Saget)
« Quand je travaille sur cette pièce dans mon atelier, je suis à Damas. Je fais tout ce que je peux ici, tout en n’étant pas là-bas… », confie à l’AFP l’artiste de 36 ans, rescapé des prisons de son pays.
Khaled Dawwa est un survivant, marqué à vie par la brutalité de la répression et les fantômes de ses amis tués, disparus, toujours emprisonnés.
Entre révolte et mémoire, son œuvre provoque pour dénoncer « l’inaction de la communauté internationale face aux régimes dictatoriaux » en Syrie et ailleurs.
« Face à la catastrophe qui se passe en Syrie, je me sens responsable, parce que j’ai les outils pour m’exprimer », dit-il.
Avec « Voici mon cœur ! », l’artiste dit avoir voulu raconter « tout ce qui n’est plus là : des familles, des souvenirs » et qui lui a laissé « une cicatrice au cœur ».
Après des expositions en France et en Europe, son travail éclate depuis quelques mois dans de grandes installations, exposées pour la première fois. Montrée à la Cité internationale des Arts à Paris « Voici mon cœur ! » doit bientôt être confiée à un grand musée national français.
Khaled Dawwa a entamé ce travail singulier et colossal en 2018. Il assiste alors, exilé et déchiré, au martyre de la Ghouta, en périphérie de Damas, un des premiers quartiers à se rallier à la révolution et qui s’écroule sous les bombardements et les attaques chimiques.
Dans « Voici mon cœur ! », il semble ne rester que destruction : sur près de six mètres de long, plus de deux mètres de haut, avec du polystyrène et des matériaux fragiles (terre, colle, bois) recouverts d’argile, le sculpteur a reconstitué l’intérieur et l’extérieur d’immeubles aux portes fracassées, aux balcons emportés, dont on distingue jusqu’aux chaises renversées.
Mais sous les gravats, des traces d’existence humaine, des vélos disloqués, un bus renversé. Le corps d’un enfant près d’un ballon, le cadavre d’une vieille femme…
Comme si le public était pris à témoin, dans l’instant, de l’anéantissement.
Diplômé de l’École des beaux-arts de Damas, Khaled Dawwa travaille sur des thèmes opposant le « peuple à l’autorité ».
Dès le début de révolution en 2011, il a participé aux manifestations avant de rejoindre l’aventure d’artistes et activistes pour la création d’un centre culturel indépendant à Damas, l’atelier al-Boustan, lancé par le comédien Farès Helou.
Malgré les pressions de la police, Khaled continuera pendant trois ans à participer aux manifestations et à travailler dans ce lieu. Il s’y retrouvera presque seul, courant 2013. « Ma bataille, c’était de ne pas abandonner le projet, sinon c’était comme si on abandonnait l’espoir ».
C’est à cette période qu’il comprend l’impact que peuvent avoir ses sculptures. Sur sa page Facebook, il poste une photo de son œuvre et « ça explose partout », des « centaines de share ».
Malgré le danger, il continue de créer, de poster des photos, puis de casser ses sculptures, « pour ne laisser aucune trace ».
Grièvement blessé un matin de mai 2013 dans son atelier par des éclats de balles provenant d’un hélicoptère de Damas, il est emprisonné à sa sortie de l’hôpital. Pendant deux mois, il subit un système de terreur dans différentes prisons, au milieu de l’agonie de prisonniers torturés.
« C’était une période terrible, c’était l’été. Il y avait des milliers de gens, chaque jour, au moins dix personnes mourraient », décrit-il. « Leurs corps restaient deux jours à côté de nous, personne ne les retirait de la cellule… c’était fait exprès. »
Il reste abasourdi par cette traversée de l’innommable qui habite ses cauchemars. « Ils ont cassé les souvenirs dans ma tête », lance-t-il.
À sa sortie, il est incorporé de force dans l’armée, dont il réussira à s’échapper avant, la mort dans l’âme, de fuir son pays par le Liban en septembre 2013 et de s’exiler l’année suivante en France où il obtient le statut de réfugié.
Le conflit en Syrie a fait près de 500 000 morts et poussé à l’exil 6,6 millions de personnes.
Par Lucie Peytermann
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