La jeune « reine des couleurs » syrienne
AMMAN – Maria ne se souvient de son pays qu’en guerre ; elle n’avait que 3 ans lorsque la guerre a éclaté. Lorsqu’on lui demande si elle connaît la signification de « guerre », Maria ne trouve pas immédiatement de réponse. Après quelques instants, elle déclare : « C’est ce qui se passe lorsque des personnes ne s’aiment pas. »
Maria Barghouthy est une talentueuse artiste syrienne âgée de « 8 ans et demi », annonce-t-elle fièrement avec un grand sourire pendant un appel via Skype avec Middle East Eye.
Tandis qu’ailleurs en Syrie, les bombes déciment des quartiers résidentiels, ensevelissant des enfants sous les décombres, la jeune artiste est un peu plus en sécurité. Elle est assise dans sa chambre, un pinceau à la main, au milieu de ses aquarelles, qui sont incapables d’éteindre les flammes qui brûlent à Alep, à moins de cinq heures de la capitale Damas, où elle vit.
Son art suscite l’émotion en dépeignant ce qu’est la vie d’un enfant dans un pays ravagé par la guerre. Ses légers coups de pinceau sont lourds de sens pour ceux qui comprennent le monde qui l’entoure.
Les utilisateurs de Facebook commentent la photo d’une œuvre de Maria Barghouthy publiée sur sa page Facebook. Ils tentent de décrypter ce que Maria essayait de capter. « Je pense qu’elle raccommode notre pays blessé après qu’il a été déchiré. Ils ont détruit sa beauté et son héritage, tué ses fils et déplacé ses familles. » Certains commentateurs supposent que l’art de la fillette serait un effort visant à panser leurs cœurs brisés.
Maria s’est mise à la peinture avec détermination alors qu’elle n’avait que 6 ans, encouragée par l’observation de son propre père en train de peindre.
« Je regardais mon père dessiner tout le temps et j’ai décidé de l’imiter. Un jour, il est revenu du travail et je l’ai surpris avec un dessin sur lequel j’avais travaillé et qu’il aimait », a-t-elle raconté, les yeux brillants. « Baba fait parfois des remarques afin que j’apprenne de mes erreurs et que je ne les répète pas dans mes autres œuvres. »
Son père, Bassem al-Barghouthy, professeur d’architecture à l’Université de Damas, préfère tenir sa fille éloignée des journaux télévisés. Il indique qu’ils vivent dans un endroit relativement sûr par rapport à d’autres membres de leur famille, alors Maria n’entend que ce qu’elle appelle les « bruits distants » des frappes aériennes.
Bassem estime qu’ils sont chanceux d’être encore en mesure de lui trouver des fournitures d’art compte tenu des circonstances.
Il s’est toutefois avéré difficile de différer la conversation sur la guerre. Les professeurs et les camarades de classe de Maria abordent souvent le sujet « de manière superficielle », selon son père.
Contrairement à de nombreux enfants de son âge dans les villes voisines et à ceux qui ont dû fuir les combats, Maria peut encore aller à l’école. Elle aime étudier et voir ses amis, et elle adore ses cours de sciences et d’art. Interrogée sur ce qu’elle préfère dans les sciences, elle répond effrontément : « L’enseignante me désigne toujours et me demande de dessiner les organes du corps humain pour préparer ses cours au lieu de le faire elle-même. C’est pour cela que j’aime ça ! »
Sur Internet, Maria reçoit sa part d’éloges. La surnommant « la reine des couleurs » aux « mains magiques », qui a « de l’or au bout des doigts », de nombreux admirateurs lui envoient de l’affection, des encouragements et des remarques constructives à chaque fois qu’elle poste une peinture. « À la talentueuse jeune Maria, je suis ton travail avec passion, un bel avenir t’attend », a écrit un de ses fans sur Facebook. « Nous continuons à être éblouis et inspirés par cet immense talent », a ajouté un autre, « il n’y a pas de mots pour décrire ton art. »
Inspirée par les anciens maîtres
Parmi ses œuvres figurent des paysages, des natures mortes et des portraits. La fillette aux grands yeux bruns expérimente les couleurs et les styles et passe élégamment d’une école à l’autre. Maria a commencé récemment à travailler à l’aquarelle, ce qu’elle préfère. Sa technique consiste à esquisser ce qu’elle a envie de dessiner avant de le colorer.
« J’aime dessiner des paysages autant que des personnes et des formes, mais j’aime plus particulièrement peindre la mer, même si cela fait longtemps que je ne suis pas allée à la plage – je ne m’en souviens même plus », a-t-elle déclaré.
Elle se sert souvent de ses oncles, de ses tantes et des amis de sa famille comme sujets, représentant chacun dans un style différent. « Parfois, ses peintures ressemblent presque à des caricatures, parfois dans le style abstrait, avec une touche du style de Picasso », a indiqué Bassem.
Dans le cadre de ses études, elle a entre autres reproduit une œuvre de Hans Purmann, « La paysanne » et le « Portrait d’Armand Roulin » de Van Gogh, le « Portrait de Jeanne Hébuterne au chapeau et au collier » d’Amedeo Modigliani et « Le cireur de chaussures » de Louay Kayyali.
Selon sa mère, Maria ne suit pas le travail des artistes en raison de leur nom, mais effectue plutôt des recherches sur Internet avec l’aide de ses parents et décide des œuvres qu’elle souhaite reproduire – et il s’avère simplement qu’il s’agit généralement de Van Gogh et Picasso.
Son père la guide parfois, l’exhortant à explorer de nouveaux thèmes et de nouvelles techniques, et lui fait découvrir les œuvres d’artistes pionniers syriens et palestiniens.
« J’aime dessiner les œuvres de Louay Kayyali, Ismail Shammout et Mamdouh Kashlan », a-t-elle ajouté. « J’aime reproduire leurs œuvres. »
Toutefois, Maria n’aime pas reproduire des copies exactes des œuvres d’autres artistes. Elle interprète les œuvres avec son propre style et préfère souvent ajouter ses propres éléments aux peintures, changeant les couleurs et les techniques. Parfois, elle dessine selon son inspiration d’après les sujets célèbres d’autres artistes, comme les tournesols de Van Gogh.
Cela ne l’empêche pas d’explorer les recoins de sa propre imagination et de puiser l’inspiration dans les sujets inéluctables de sa vie en Syrie. Son visage rayonnant d’innocence, elle montre l’une de ses dernières œuvres à la webcam sur Skype. « C’est une femme avec son enfant dans un camp de réfugiés. Elle est triste parce qu’elle a dû quitter sa maison. »
Les expressions faciales de ses personnages sont vivantes, symboles des 6,5 millions de déplacés syriens et des 4,8 millions de réfugiés qui ont fui le pays depuis que la guerre a éclaté en 2011.
En avance sur son âge
Dans un échange d’emails, le Dr Saad al-Kassem, un artiste plasticien et critique d’art vivant en Syrie, a eu la certitude que Maria est une enfant talentueuse dont les compétences sont en avance sur son âge après avoir vu son travail sur Facebook.
« Il ne fait aucun doute que Maria est en avance sur le plan technique et artistique, surtout pour une fillette de son âge », a-t-il estimé. « Il est évident qu’elle a développé un sens aigu de la couleur et de sa bonne application. »
Al-Kassem, président de l’Association syrienne des chercheurs et critiques et ancien directeur de la Syrian Satellite Channel, une chaîne satellitaire syrienne, a ajouté : « Bien qu’il soit bon d’apprendre les techniques de dessin, je l’encourage à s’éloigner de la copie d’autres artistes et à commencer à définir son propre caractère et son propre style – qu’elle trouvera bientôt j’en suis sûr. »
Le talent de Maria est reconnu dans des cercles plus larges, et son travail a été montré dans diverses expositions ces deux dernières années. Ses œuvres ont notamment été exposées en Italie, à Milan, dans le cadre d’une campagne de levée de fonds organisée par l’association al-Qassam et visant à développer des initiatives éducatives pour les enfants de Gaza.
Selon ses parents, le doyen de la faculté d’architecture de l’Université de Damas l’a encouragée à participer à une vente aux enchères à la faculté afin de récolter des fonds pour les enfants dont les parents ont été tués pendant la guerre plus tôt cette année. Elle a également participé à un concours d’art en ligne pour les enfants et en a remporté le premier prix.
Maria mène une vie plutôt normale pour une enfant qui vit dans un pays en guerre. Lorsqu’elle ne peint pas, elle regarde la chaîne arabe de dessins animés Spacetoon, aide sa mère à la cuisine ou joue avec ses amis sur un terrain de jeu du coin.
Maria est timide et éprouve des difficultés à s’exprimer avec des mots, ce dont elle n’a pas besoin lorsqu’elle peint. Bien qu’elle ne sache pas encore vraiment ce qu’elle veut faire lorsqu’elle sera plus grande, elle a encore « beaucoup de temps pour y réfléchir et se décider ; c’est encore trop tôt » pour reprendre ses propos.
En attendant, ses futurs choix de carrière sont de devenir scientifique, architecte « comme papa » ou artiste célèbre. Les rêves de Maria n’ont pas de limites, quelles que soient les circonstances qui l’entourent.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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