Mimar Sinan : le père fondateur de l’architecture ottomane
Les villes modernes sont souvent reconnaissables à leurs gratte-ciels, comme la Burj Khalifa à Dubaï ou The Shard à Londres. Ce n’est pas le cas d’Istanbul, où ce sont les mosquées qui définissent l’horizon de la ville.
Cela est dû en grande partie aux efforts d’un architecte du XVIe siècle qui construisit certains des bâtiments les plus emblématiques d’Istanbul et qui établit un style architectural ottoman unique.
Au cours de sa longue carrière, Mimar Sinan réalisa plus de 300 bâtiments à travers l’Empire ottoman, qui s’étendait de son vivant d’Alger à l’ouest à la côte caspienne de l’Azerbaïdjan à l’est, de la Hongrie au nord jusqu’à la ville sainte musulmane de La Mecque au sud.
Ses réalisations architecturales ne se limitent pas aux mosquées, même si ce sont ses édifices les plus mémorables. Il édifia également des écoles, des cuisines publiques, des palais et des ponts.
Son héritage architectural ne se limite pas non plus à ses propres œuvres. En tant qu’architecte en chef de l’Empire ottoman, il forma des générations de bâtisseurs et fut dépêché aux quatre coins de l’empire en tant que consultant sur divers projets.
Né vers 1489 dans la région de Kayseri en Anatolie centrale, Sinan serait issu d’une famille chrétienne d’origine arménienne ou grecque et son prénom était probablement Joseph avant qu’il n’adopte le nom de Sinan après sa conversion à l’islam plus tard dans sa vie.
La vie de janissaire
Les détails concernant les premières années de sa vie sont fragmentaires et sujets à spéculations parmi les chercheurs. On estime que le père de Sinan était tailleur de pierre et charpentier, ce qui pourrait expliquer son choix de carrière ultérieur.
Pendant son adolescence, Sinan participa au devchirmé, système de recrutement des armées du sultan qui consistait à réquisitionner des garçons âgés de 8 à 18 ans parmi les populations chrétiennes des Balkans et d’Anatolie et à les former, une fois convertis à l’islam, pour en faire des bureaucrates ou officiers militaires qui intégreraient le corps des janissaires.
C’est dans cette division militaire d’élite, où il officia en tant qu’ingénieur militaire, que les qualités de bâtisseur de Sinan se firent remarquer.
Combattant doué, Sinan mit à profit ses connaissances en architecture en signalant les défauts des structures ennemies et en élaborant des plans d’attaque visant à exploiter ces faiblesses.
Ses prouesses sur le champ de bataille et ses compétences de bâtisseur attirèrent l’attention des hauts gradés ottomans, qui le poussèrent à gravir les échelons et lui confièrent de plus grandes responsabilités.
L’une de ses tâches fut la démolition de bâtiments non autorisés au Caire après la conquête turque de l’Égypte et leur remplacement par de nouvelles structures.
Le titre honorifique « Mimar » signifie simplement architecte en turc.
On compte parmi ses réalisations le pont Mustafa Pacha en Bulgarie et des mosquées à travers les terres ottomanes nouvellement conquises.
Sinan conçut également des navires capables de transporter des marchandises et des soldats à travers un empire alors en pleine expansion.
Au cœur de ses conceptions se trouvaient des équations mathématiques complexes visant à répartir le poids important des matières premières à travers les structures et à garantir la durabilité des bâtiments dans une région sujette aux tremblements de terre.
En 1539, Sinan devint l’architecte en chef de l’Empire ottoman, un développement qui allait changer à jamais l’horizon d’Istanbul et lui donner un caractère nettement islamique après des siècles de domination byzantine.
Splendeur impériale et islamique
L’une des premières mosquées de Mimar Sinan fut la mosquée Şehzade, située dans le quartier de Fatih à Istanbul. Elle fut construite en l’honneur de Mehmet, fils aîné du sultan Soliman Ier, décédé à l’âge de 21 ans. Les sultans ottomans utilisaient l’expression d’origine persane « Şehzade », qui signifie « fils du shah », pour désigner leurs fils.
La mosquée se caractérise par sa grande cour, deux madrassas, une cuisine publique et un dôme central entouré de quatre demi-dômes.
L’intérieur de l’édifice se distingue par un plafond haut décoré de calligraphies islamiques et de carreaux aux motifs complexes.
La mosquée Şehzade, décrite par Sinan comme son « travail d’apprenti », donne un aperçu de sa philosophie architecturale et constitue une ébauche de ses projets futurs.
S’inspirant des premiers dirigeants d’Istanbul, les Byzantins, Sinan créa des espaces ouverts qui encouragent le rassemblement d’un grand nombre de fidèles, conformément à l’accent mis dans l’islam sur la prière communautaire. Ceux-ci transportaient également le son plus facilement afin que l’imam et le muezzin puissent être entendus le plus loin possible de la chaire.
La mosquée dispose en outre de minarets minces et hauts qui, sans nuire à leur fonction première, servaient de déclaration de splendeur impériale et islamique.
L’esthétique était également une préoccupation clé de Sinan et les différents éléments architecturaux – dômes, calligraphie, espaces ouverts et structures annexes tels les minarets – s’assemblent harmonieusement.
Nécessitant le travail de plus d’un millier d’ouvriers, les bâtiments représentaient également une affirmation de la puissance et de la richesse de l’Empire ottoman.
Parmi les autres lieux de culte islamiques conçus par Sinan à Istanbul se trouve la mosquée Süleymaniye, située près de la mosquée Şehzade et qui constitue l’un des plus grands édifices de la ville.
Sinan et son mécène Soliman sont enterrés dans des mausolées du complexe.
Un autre lieu de culte islamique conçu par Sinan est la mosquée Mihrimah Sultan dans le quartier d’Üsküdar à Istanbul, sur la côte asiatique du Bosphore.
Elle fut construite dans les années 1540 en l’honneur de la princesse Mihrimah, la fille de Soliman, décédée en 1578, qui y est inhumée.
En dehors d’Istanbul, Sinan est l’architecte de la mosquée Selimiye dans la ville d’Edirne, côté européen ; elle est considérée comme l’un de ses chefs-d’œuvre.
Héritage
L’œuvre de Sinan est l’archétype des architectes ottomans qui lui succédèrent.
La mosquée bleue d’Istanbul, également connue sous le nom de mosquée du sultan Ahmet, fut construite par l’un des apprentis de Sinan, l’architecte ottoman Sedefhar Mehmet Ağa.
On pense également qu’il influença la conception du Taj Mahal au travers de certains de ses étudiants qui se rendirent en Inde pour participer à sa construction.
L’influence de Sinan ne se limite pas au monde islamique et peut s’observer même en Europe.
L’un des bâtiments les plus célèbres de Londres, la cathédrale Saint-Paul, a été conçue par Sir Christoper Wren, un architecte profondément impressionné par l’architecture ottomane qui cherchait à incorporer des éléments de styles orientaux dans ses propres créations.
La cathédrale, qui comprend un dôme, est flanquée de tours évoquant vaguement les minarets islamiques.
Depuis sa mort en juillet 1588, l’héritage de Sinan ne cesse d’éblouir les visiteurs.
Outre ses réalisations les plus connues, il contribua à la conception de systèmes d’égouts et supervisa la réparation de structures existantes. Sinan participa même à la conception de sa propre tombe.
Aujourd’hui, il prête son nom à l’Université des beaux-arts Mimar Sinan, la première école d’art de Turquie. Située sur la rive européenne du Bosphore à Istanbul, à côté de la mosquée Mihrimah Sultan, elle jouit, au loin, d’une vue sur Süleymaniye.
Traduit de l’anglais (original).
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].