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Turquie : trois danses populaires et leur histoire

La danse représente un élément important de la culture turque. Middle East Eye en explore différents styles et leur signification
Un halaybaşı, mouchoir à la main, dirige un halay lors d’une soirée traditionnelle au henné en Turquie (Sara Tor/MEE)
Par Sara Tor à ANTALYA, Turquie

Ce n’est un secret pour personne que les Turcs aiment danser. Si dans la plupart des cultures, les gens se mettent à danser lors de mariages et d’occasions spéciales, pour les Turcs, il est aussi tout à fait normal de danser lors de manifestations, de fêtes nationales et même lors de campagnes électorales.

En mai 2023, le maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, a retroussé ses manches et commencé à danser sur scène, à Trabzon, devant une foule enthousiaste. Danser fait tellement partie de la culture turque que s’y adonner ne semble jamais vraiment incongru.

En revanche, il ne s’agit jamais d’une simple improvisation : vous verrez rarement dans le pays des gens effectuer un simple mouvement de tête ou se balancer sans rythme. En Turquie, la danse a toujours une structure et une forme spécifique.

Alors que les danses varient d’une région à l’autre, la plupart des mouvements ont été transmis de génération en génération et ont une signification historique.

Middle East Eye se penche ici sur les trois principaux styles de danse turcs observables à travers le pays.

1. Le halay

L’une des danses les plus populaires de Turquie, que l’on peut voir dans tout le pays mais plus particulièrement dans l’est et le sud-est, est le halay.

Les danseurs forment une longue ligne qui s’incurve en un demi-cercle ou un cercle complet. Il n’y a pas de limite au nombre de participants. Chaque danseur doit entrelacer ses mains ou ses doigts avec ceux de ses voisins de chaque côté, avant de se déplacer dans le sens inverse des aiguilles d’une montre en effectuant des pas au rythme de la musique.

Hommes et femmes peuvent danser ensemble. Le tempo s’accélère souvent à mesure que les danseurs s’habituent au jeu de jambes.

Si cette danse a des ressemblances frappantes avec le sirtaki grec ou la dabkeh arabe, il n’en est rien pour les Turcs : selon eux, le halay plonge ses racines dans l’ancienne mythologie turque et ses origines chamaniques en Asie centrale.

La danse est mentionnée dans plusieurs légendes, tandis que le fait de danser en cercle ou en demi-cercle autour d’un feu fait partie de certains rituels chamaniques d’Asie centrale.

Aujourd’hui, les Turcs dansent encore le halay autour d’un feu lors de certaines fêtes et occasions, telles les célébrations saisonnières de Norouz ou de Hıdırellez.

Le mot « halay » serait lui-même dérivé de la locution « al-hal » qui signifie « feu » et « société ».

Un village célèbre une fête nationale en dansant un halay autour d’un feu (MEE/Sara Tor)
Un village célèbre une fête nationale en dansant un halay autour d’un feu (Sara Tor/MEE)

Dans le halay, la position la plus importante est celle du meneur, connu sous le nom de halaybaşı.

Le halaybaşı choisi est généralement quelqu’un de respecté qui connaît bien la danse, c’est lui qui est chargé de fixer les pas et le rythme.

Un halaybaşı n’est rien sans son mouchoir. En l’agitant pendant qu’il danse, le meneur aide le reste des danseurs à demeurer à la fois dans le rythme et en ligne.

Le mouchoir n’est pas seulement utile, il aurait également des liens avec des rituels chamaniques durant lesquels des rubans colorés, des boucliers, des drapeaux et des haches étaient brandis pendant la danse pour éliminer les mauvais esprits.

Enfin, il n’y a pas de halay sans musique. Les deux instruments indispensables à cette danse sont le davul (tambour à deux faces) et la zurna (de la famille des hautbois).

Si la zurna est un élément essentiel du halay depuis le XIVe siècle, l’emploi du davul remonte à bien plus loin dans le temps. Des peintures rupestres préhistoriques découvertes en Turquie, en Azerbaïdjan, au Kazakhstan et au Kirghizistan contemporains, par exemple, représentent des personnages en train de danser en formation halay au son d’un tambour. Le davul occupe donc encore de nos jours une place centrale.

Non seulement le halaybaşı fait se mouvoir le groupe au rythme du tambour, mais, souvent, il s’éloigne de la ligne pour danser près du tambour de manière indépendante.

2. Le horon

Le horon est la danse préférée des Turcs de la région de la mer Noire, dans le nord. Cette tradition très appréciée a été ajoutée à la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO en 2021.

Accompagnée soit d’un petit instrument à cordes appelé kemençe, soit d’une sorte de cornemuse connue sous le nom de tulum, la danse est composée de trois sections durant lesquelles les participants ont, là aussi, les mains entrelacées. Pour aider les danseurs à enchaîner facilement chaque phase, le meneur du horon crie des ordres signalant les changements.

La première partie commence lentement, avec des pas en avant et des torsions en arrière, puis le tempo augmente progressivement. Au fur et à mesure que le rythme s’accélère, les danseurs lèvent les mains et redressent leur corps.

Vient ensuite la deuxième phase. Les mains baissées, le buste penché en avant, les danseurs effectuent un jeu de jambes beaucoup plus compliqué sur les côtés, en avant et en arrière et secouent les épaules.

Le horon peut également être dansé par les femmes, qui portent des tenues aux couleurs vives (MEE/Akçaabat Belediyesi)
Le horon peut également être dansé par les femmes, qui portent des tenues aux couleurs vives (Akçaabat Belediyesi/MEE)

Commence enfin le dernier segment, durant lequel le tempo est encore plus rapide, tout comme les mouvements d’épaules et les tapements de pieds des danseurs.

La danse n’est pas sans symbolisme.

Par exemple, lever les mains est considéré comme une démonstration de force et de bravoure, tandis que se pencher ou s’accroupir représente le repos des ouvriers agricoles.

Le mouvement rapide des épaules et le tempo vif, pour leur part, représenteraient les vagues agitées de la mer Noire et les déplacements furtifs des célèbres anchois pêchés dans la région.

Tant les hommes que les femmes peuvent danser le horon, séparément ou ensemble. Ils portent souvent des costumes traditionnels.

La tenue des femmes se compose généralement d’une chemise et d’une veste colorées, d’un foulard et d’une jupe longue aux couleur vives sur un shalwar.

Les hommes, eux, sont tout de noir et blanc vêtus et disposent de nombreux accessoires, comme une ceinture avec de longues bandes de cuir noir auxquelles peuvent être attachés du matériel de chasse ou des armes ; une montre de poche dont les chaînes pendent sur la poitrine ; et une musca – une petite boîte triangulaire accrochée autour du cou qui contient une note écrite, telle qu’une prière, afin de conjurer le mal.

On ignore les origines de cette danse. Certains pensent qu’elle est grecque et affirment que son nom dérive du grec « xoros », qui est un type de danse exécutée en cercle.

D’autres soutiennent qu’elle remonte aux colonies génoises médiévales, affirmant qu’elle a ses racines dans la carole, une danse médiévale française dont le nom peut aussi se prononcer « horol ».

Ceux qui ne sont convaincus par aucun de ces arguments peuvent se référer à l’origine turque du mot : horom, qui signifie moyette de blé. La forme que prennent les danseurs rappellerait cette manière d’attacher les gerbes de blé, dit-on.

Quelles que soient ses origines, cette danse folklorique revêt une grande importance culturelle et est connue aussi bien des jeunes que des moins jeunes.

C’est un horon que le maire d’Istanbul Ekrem İmamoğlu a dancé lors de sa campagne électorale.

3. Le zeybek

Dans l’ouest de la Turquie, c’est le zeybek qui règne. Chorégraphiée de manière à représenter la force et l’héroïsme, cette danse est très différente du halay et du horon : aucun entrelacement des mains, chaque danseur est seul.

Les bras sont écartés du corps puis levés en l’air. Des pas lents et délibérés sont ensuite effectués avant que le danseur ne s’accroupisse, ne touche le sol avec son genou et ne se redresse.

Ces mouvements sont répétés selon un schéma circulaire au rythme d’un lent battement de davul et de zurna.

Bien que l’origine du zeybek soit encore sujette à débat – d’aucuns suggèrent qu’elle pourrait plonger ses racines dans la Grèce antique ou en Europe –, l’idée la plus répandue est que cette danse serait née dans l’Empire ottoman au cours du XVIe siècle.

Un homme en train de danser le zeybek ; il va bientôt se baisser pour mettre un genou au sol (MEE/Sara Tor)
Un homme en train de danser le zeybek ; il va bientôt se baisser pour mettre un genou au sol (Sara Tor/MEE)

À cette époque, la région connaissait de nombreux troubles politiques et sociaux qui poussèrent de petits groupes d’hommes à se soulever et protéger leur village. Ces hommes, sorte de soldats non officiels, étaient connus sous le nom de zeybeks et leur chef était désigné par le terme « efe ». On pense que la danse tire non seulement son nom de ces hommes, mais qu’elle les représente également – d’où ses mouvements forts et nobles.

Dans le passé, le zeybek était principalement réservé aux hommes en raison de ses origines.

Les danseurs portent un pantalon court semblable à un jodhpur qui arrive au genou.

La tenue est également accompagnée d’un fez décoré de fleurs au crochet pour représenter les montagnes, d’une pampille et d’une large ceinture en soie dans laquelle peut être glissé un pistolet, et enfin d’une paire de longues bottes noires.

Les femmes ont commencé à se joindre à la danse en 1916, lorsqu’un professeur d’éducation physique, Selim Sırrı Tarcan, surnommé « Sari Zeybek », a légèrement modifié les mouvements existants afin de symboliser et représenter l’amour entre un homme et une femme.

En 1925, il a exécuté cette danse avec une étudiante lors d’une conférence à laquelle assistait le président turc de l’époque, Mustafa Kemal Atatürk. Ce dernier aurait apprécié la chorégraphie et déclaré que le zeybek devrait être dansé lors de salons de conversation avec des femmes.

Traduit de l’anglais (original).

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