EN IMAGES : Voyage à travers l’histoire de la Grande Mosquée des Omeyyades de Damas
En 1184, le voyageur, géographe et poète andalou Abu al-Husayn Muhammad ibn Ahmad ibn Jubair se rendit à Damas.
En entrant dans la ville, il prononça ces paroles célèbres : « Si le paradis est sur terre, Damas y est, et s’il est dans le Ciel, Damas rivalise avec lui et est à sa hauteur ! »
Le célèbre voyageur relata son périple qui le mena de l’Arabie saoudite jusqu’à l’Égypte et à la région du Levant, en passant par la Sicile, l’Italie et d’autres pays.
Ibn Jubair passa un mois à Damas, où il logea au Dar al-Hadith (maison de la tradition religieuse), juste à l’ouest de la Grande Mosquée des Omeyyades.
Cette institution n’existe plus aujourd’hui : en réalité, une grande partie de la gloire de Damas que le voyageur put admirer fut détruite après la conquête mongole en 1260, puis le siège et la destruction brutale de la ville qui suivirent sa capture par le chef turco-mongol Tamerlan en 1401. (MEE/Ali Zirrar)
Pourtant, la magnifique Grande Mosquée des Omeyyades est toujours debout et livre ses secrets sur l’histoire de la ville et de ses souverains.
Nous nous sommes rendus à Damas pour suivre les traces d’Ibn Jubair et explorer les lieux qu’il évoque.
La majestueuse Grande Mosquée des Omeyyades fut achevée en 715 par le sixième calife omeyyade, Al-Walid Ier.
La mosquée est construite sur un site servant de lieu de culte depuis plusieurs millénaires.
On y trouvait autrefois des temples construits par les Araméens, puis par les Romains. Lorsque la Syrie passa sous domination chrétienne à l’époque byzantine, le vieux temple fut transformé en église.
En 634, Damas devint la première grande ville byzantine conquise par les souverains islamiques, menés par le premier calife Abou Bakr de la dynastie des Rachidoune et ses généraux Abu Ubayda et Khalid ibn-al Walid.
De l’arrivée de l’islam jusqu’en 706, lorsque le calife Al-Walid Ier initia la construction de la nouvelle mosquée, l’ancienne église servit de lieu de prière pour les communautés chrétienne et musulmane de la ville.
On raconte que durant ces huit décennies, les deux communautés accédaient au lieu de culte par la même porte. Les musulmans tournaient ensuite à droite et les chrétiens à gauche.
Cependant, à mesure que la communauté musulmane se développait, la nécessité de proposer davantage d’espace pour prier s’imposait.
Al-Walid Ier fit démolir l’ancienne église et construire ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Grande Mosquée des Omeyyades.
Les travaux de la Grande Mosquée des Omeyyades débutèrent avant même que l’on ait établi une idée précise de ce à quoi devait ressembler un grand lieu de culte musulman.
Les mosquées existantes à Médine, La Mecque et Koufa étaient petites et trop peu ambitieuses par rapport à ce qu’Al-Walid Ier avait en tête : il voulait un lieu à même de proposer un avant-goût de ce que le paradis islamique offrait aux fidèles.
Il ordonna que chaque centimètre disponible au-dessus des panneaux de marbre des murs inférieurs fût couvert de mosaïques, à l’intérieur comme à l’extérieur de la mosquée. L’architecture byzantine faisait régulièrement usage de mosaïques, mais un projet de cette ampleur n’avait jamais été tenté auparavant.
L’ensemble de la mosquée fut recouvert d’images des fantastiques jardins du paradis, ou, comme certains le prétendent, des paysages vastes et divers gouvernés par les Omeyyades, qui s’étendaient à leur apogée de l’Espagne en Europe occidentale au Sind dans l’actuel Pakistan, le tout peint en or et agrémenté de mosaïques de pierre colorées.
Une quarantaine de tonnes de cubes de verre et de pierre – dont douze tonnes étaient de couleur verte – furent disposés de manière à ce que l’ensemble de l’espace brille et scintille tel un jardin fantastique. Chaque cube était méticuleusement incliné de manière à capter la lumière lorsqu’ils étaient observés d’en bas.
Sa conception s’inspirait d’un verset du Coran qui décrit un paradis avec des chambres supérieures et des fleuves.
Dans ses écrits, Ibn Jubair décrivit la perfection de la construction de la mosquée : elle comportait ainsi des décorations merveilleuses, notamment des mosaïques en or et des pierres de couleur remarquables que la lumière faisait scintiller.
On raconte que le coût de la mosquée s’éleva à sept années du revenu total du Trésor de Damas.
Si la question du langage architectural de la mosquée – byzantin, néo-romain, sassanide (persan), syrien ou purement islamique – est sujette à débats, elle contient en réalité des éléments issus de toutes ces traditions.
La mosquée reflétait – comme cela allait devenir une tradition au fur et à mesure de l’expansion de l’islam – la vitalité du paysage local et de la population.
Jamais auparavant le peuple musulman – qui était encore une jeune communauté à cette époque – n’avait vu quelque chose d’aussi grandiose et majestueux.
Selon Al-Idrissi, géographe et cartographe musulman, la mosquée n’avait pas d’égale dans le monde de par sa construction robuste et son architecture impressionnante et variée.
Mais la mosquée n’était pas seulement considérée comme révolutionnaire pour son aspect. Sa construction et son architecture innovantes continuèrent également d’inspirer la création de nombreuses autres mosquées édifiées durant les siècles suivants.
Bien que les Omeyyades n’aient régné sur Damas que pendant neuf décennies, leur mosquée grandiose conserve le même aspect depuis 1 300 ans et les dynasties ultérieures n’y apportèrent que des retouches mineures.
Lorsque le calife omeyyade Al-Walid Ier fit démolir l’église chrétienne, il conserva les murs extérieurs du sanctuaire de l’époque romaine. Mais il choisit de déplacer la salle de prière principale, auparavant située au milieu de la cour principale lorsque le site abritait à la fois une église et un temple romain, pour l’installer contre le mur sud.
Jusqu’à la construction de la Grande Mosquée des Omeyyades, les mosquées avaient pour la plupart un toit plat et étaient soutenues par des colonnes. Cette nouvelle mosquée à Damas changea toutefois la donne en empruntant des dispositions et de magnifiques éléments architecturaux que l’on trouvait dans les basiliques byzantines de Syrie.
La salle de prière fut divisée en trois allées, surmontées d’arches à plusieurs niveaux qui soutenaient le toit.
Le dôme, à l’origine à double coque et construit en bois, était alors unique au monde. (AFP)
Ibn Jubair serait monté pour admirer le dôme de l’intérieur et commenter sa splendide conception. La disposition de base et le langage architectural de la mosquée influencèrent fortement les mosquées construites par la suite en Égypte, en Afrique du Nord et en Andalousie.
Lorsque le mihrab concave fut ajouté à la mosquée d’origine, il était considéré comme un nouveau concept : il n’en existait alors qu’un seul autre, à la mosquée du prophète à Médine, en Arabie saoudite.
Dans ses écrits, Ibn Jubair commenta sa beauté exemplaire, décrivant le mihrab comme « le plus merveilleux de l’islam pour sa beauté et son art rare ».
L’historien persan Ibn al-Faqih commenta la magnificence du marbre et des mosaïques de la mosquée, ainsi que le plafond décoré en ébène et le mihrab, qui était incrusté de pierres précieuses.
Bien que le mihrab d’origine ait été restauré à plusieurs reprises, il conserva sa forme originale jusqu’à sa destruction complète par un incendie dévastateur en 1893. Le mihrab actuel tente de reproduire l’original.
Aujourd’hui, la Grande Mosquée des Omeyyades se dresse fièrement avec ses trois minarets, mais à l’origine, elle n’en avait pas.
Les trois minarets sont le minaret de la Mariée, le premier minaret construit sous la dynastie abbasside, le minaret de Qaitbay, de style égypto-mamelouk, édifié par le grand sultan mamelouk Qaitbay, et le minaret du prophète Issa, le plus haut, construit à l’origine par les Ayyoubides, puis agrandi sous l’ère ottomane.
Historiquement, chaque minaret accueillait trois muezzins, chacun orienté dans une direction différente. Ainsi, à l’heure de l’appel à la prière, neuf muezzins au total se présentaient et faisaient vibrer la vieille ville de Damas.
Cette technique permettait à toute la vieille ville d’entendre l’adhan, l’appel à la prière.
Cette pratique est plus ou moins préservée. De nos jours, six à neuf muezzins effectuent l’annonce en groupe, autour d’un micro placé dans une chambre située à l’intérieur de la salle de prière.
Considérée par certains comme l’un des sites les plus sacrés de l’islam, la mosquée est vénérée en raison d’une parole du prophète Mohammed au sujet de la fin des temps.
La parole du prophète, telle que rapportée par Ibn Taymiyya, fait référence à la mosquée.
« Issa descendra sur son minaret [le minaret d’Issa] et désignera le minaret est de la mosquée des Omeyyades. Il sera blanc ce jour-là. »
La mosquée est également hautement vénérée en raison de la croyance selon laquelle la tête de Saint Jean-Baptiste, ou le prophète Yahya dans l’islam, y serait enterrée.
Après sa découverte par des ouvriers, Al-Walid Ier la fit à nouveau enterrer. L’emplacement où elle était enfouie était indiqué par une colonne en bois appelée Al-Sakassek.
Cependant, lors de l’incendie de 1893, les colonnes de la mosquée furent détruites et l’emplacement exact fut donc perdu.
Le cénotaphe actuel indiquant le tombeau du prophète Yahya fut ajouté plus tard par les Ottomans.
Au fil de ses 1 300 ans d’histoire, la Grande Mosquée des Omeyyades a vu défiler de nombreuses grandes personnalités. Si certaines n’étaient que de passage, d’autres y séjournèrent en tant qu’étudiants ou enseignants.
Ibn Taymiyya, érudit hanbalite du XIVe siècle, donnait des cours à ses étudiants dans la cour de la mosquée, qui attirait des milliers de personnes. Près de deux siècles plus tôt, le grand Abu Hamid al-Ghazali en personne y fut balayeur au cours de sa crise spirituelle.
La pièce dans laquelle il logeait est encore aujourd’hui identifiée par une plaque d’or à l’intérieur du mur ouest, en face du Bayt al-Mal.
Après le départ des Omeyyades, Damas fut gouvernée par plusieurs dynasties, dont les Abbassides, les Seldjoukides, les Ayyoubides, les mamelouks et les Ottomans. Chacune d’entre elles effectua des travaux de restauration indispensables dans la mosquée, parfois même des ajouts.
L’ajout le plus notable, au-delà de l’imposant minaret de Qaitbay, est le Bayt al-Mal (dôme du Trésor). Cette structure octogonale, qui repose sur huit colonnes empruntées au temple romain, était censée avoir été construite sous l’ère abbasside, mais les recherches modernes indiquent que sa construction date probablement de la dynastie des Omeyyades.
L’histoire de la Grande Mosquée des Omeyyades compte également des épisodes plus sombres. Dans une pièce située au niveau du mur est, la famille de l’imam Ali fut retenue prisonnière par Yazid ibn Mu’awiya ibn Abi Sufyan pendant soixante jours après la bataille de Kerbala.
Le mur central de cette pièce présente une cavité, aujourd’hui garnie d’argent, où la tête de l’imam Hussein fut temporairement placée avant d’être enterrée.
Depuis sa construction, achevée en 715, la mosquée a également connu trois incendies majeurs.
Le premier eut lieu en 1069, tandis que le deuxième fut déclenché par Tamerlan en 1401 après sa conquête de Damas. Mais le plus dévastateur se produisit en 1893.
Si certaines des prodigieuses mosaïques survécurent aux deux premiers incendies, la quasi-totalité fut détruite lors de l’incendie de 1893, y compris le dôme (reconstruit ultérieurement dans un style correspondant à la fin de l’ère ottomane), l’ensemble des salles de prière intérieures, le splendide mihrab décrit par Ibn Jubair et le minbar en bois.
La reconstruction par les Ottomans dura neuf ans et peu d’efforts furent fournis pour rendre à la mosquée son lustre d’antan.
Seule une petite partie des mosaïques originales a survécu. L’espace central situé au-dessus du lieu de prière réservé aux femmes en est un exemple. Cependant, compte tenu du faible éclairage des murs et du plafond, il est difficile de les voir scintiller comme autrefois.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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