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« Sous la dictature, je n’aurais jamais pu réaliser les films que je fais aujourd’hui » : Kaouther Ben Hania enchante Montpellier

Le nouveau film de la réalisatrice tunisienne, L’Homme qui a vendu sa peau, a été projeté et ovationné en ouverture de Cinemed, le festival du cinéma méditerranéen de Montpellier
Revendiquant un message universaliste, Kaouther Ben Hania fait partie de la jeune génération de cinéastes tunisiens qui ont mis à l’écran des questions sociétales et politiques longtemps bannies sous le régime de Zine el-Abidine Ben Ali (AFP)
Revendiquant un message universaliste, Kaouther Ben Hania fait partie de la jeune génération de cinéastes tunisiens qui ont mis à l’écran des questions sociétales et politiques longtemps bannies sous le régime de Zine el-Abidine Ben Ali (AFP)
Par AFP à MONTPELLIER, France

Pour Kaouther Ben Hania, « chaque film est un nouvel apprentissage »: la réalisatrice franco-tunisienne, dont le dernier long-métrage a ouvert vendredi soir le Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier (Cinemed), dans le sud de la France, parcourt avec audace depuis ses débuts des univers et formes cinématographiques très divers.

« Mon rêve, c’était de rester étudiante toute ma vie mais le cinéma me permet de continuer à apprendre et c’est jouissif », confie à l’AFP la scénariste et réalisatrice âgée de 43 ans. 

Née le 27 août 1977 à Sidi Bouzid (centre de la Tunisie), où il n’y avait pas de cinéma, Kaouther Ben Hania appartient à « la génération VHS » qui a « grandi avec les films indiens de Bollywood ».  

En arrivant à Tunis pour des études commerciales, la jeune femme s’avoue qu’elle veut faire du cinéma grâce à la fédération tunisienne des cinéastes amateurs.  

Installée à Paris, où elle a suivi notamment un atelier d’écriture d’un an à la Fémis (école nationale supérieure des métiers de l’image et du son) avant un master de recherche, la quadragénaire brune au visage volontaire y a trouvé une « tranquillité ». Elle écrit seule et se lance dans chaque nouveau film « comme dans une histoire amoureuse ».

Art contemporain et réfugiés

En 2010, après plusieurs courts-métrages, Kaouther Ben Hania choisit la forme documentaire pour Les imams vont à l’école puis en 2014, le faux documentaire satirique pour Le Challat de Tunis, balafreur réel ou fantasmé de fessiers féminins. 

Deux ans plus tard, dans Zaineb n’aime pas la neige, elle livre une chronique sensible du passage à l’adolescence de l’héroïne, filmée entre 9 et 15 ans, entre la Tunisie et le Québec. 

En 2017, elle franchit une étape décisive avec La Belle et la meute, ovationné à Cannes dans la sélection « Un certain regard ». Constitué de neuf plans séquences, le long métrage suit au plus près Mariam, qui lutte pendant une nuit pour porter plainte après avoir été violée par des policiers.

Revendiquant un message universaliste, Kaouther Ben Hania fait partie de la jeune génération de cinéastes tunisiens qui ont mis à l’écran des questions sociétales et politiques longtemps bannies sous le régime de Zine el-Abidine Ben Ali. Elle se dit « très excitée par ce qui se passe en Tunisie » depuis la révolution populaire de 2011. 

« Sous la dictature, je n’aurais jamais pu réaliser les films que je fais aujourd’hui et qui sont soutenus par la Tunisie », souligne-t-elle. 

« La Tunisie est encore en chantier, bien sûr c’est le chaos, ça angoisse la bourgeoisie que la plèbe se manifeste, mais ces bouleversements sont les moments les plus intéressants de l’histoire », juge-t-elle. 

https://www.facebook.com/watch/?v=737393700391611

Avec L’Homme qui a vendu sa peau, qui sortira en salles le 16 décembre, Kaouther Ben Hania s’éloigne de son pays natal mais frappe à nouveau les esprits en filmant avec brio la violente rencontre entre deux mondes, celui de l’art contemporain et des réfugiés, deux sujets qui la passionnent. 

Le cynisme du monde

Sam Ali, incarné par l’acteur tunisien Yahya Mahayni (prix d’interprétation masculine à la Mostra de Venise) n’est pas « né du bon côté du monde ».

Après une arrestation arbitraire, il doit fuir la Syrie qui sombre dans la guerre et abandonner celle qu’il aime pour se réfugier au Liban.

Afin de pouvoir rejoindre son amour en Belgique, il accepte un pacte faustien avec un artiste sulfureux très côté sur le marché de l’art : se faire tatouer le dos et être exposé puis vendu aux enchères. Au risque de perdre son âme et sa liberté. 

Avec une grande beauté formelle, Kaouther Ben Hamia, qui s’est inspirée du tatouage d’un homme par le plasticien belge Wim Delvoye, scrute le cynisme du monde. 

Et rappelle avec force « que les marchandises peuvent y circuler librement mais pas les hommes », même lorsqu’ils subissent les pires persécutions. 

Par Isabelle Ligner et Fabien Zamora.

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