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La Tunisie sous le choc après l’attaque de Djerba

Un gendarme a tué un de ses collègues avant de se rendre à la synagogue où il a ouvert le feu sur les forces de l’ordre. Un Tunisien et un Français ont aussi été abattus. Bilan : cinq morts dont l’assaillant
Des policiers prennent position près de la synagogue de la Ghriba lors d’une fusillade sur l’île balnéaire de Djerba, le 9 mai 2023 (AFP/Yassine Mahjoub)
Des policiers prennent position près de la synagogue de la Ghriba lors d’une fusillade sur l’île balnéaire de Djerba, le 9 mai 2023 (AFP/Yassine Mahjoub)

Deux fidèles qui participaient à un pèlerinage juif dans la synagogue de la Ghriba, sur l’île tunisienne de Djerba (est), ont été tués mardi 9 mai dans la soirée, dans une attaque menée par un gendarme qui a également tué deux collègues avant d’être abattu, a annoncé le ministère de l’Intérieur.

Il y aurait aussi des dizaines de blessés.

Cette synagogue, la plus ancienne d’Afrique, avait déjà été visée en 2002 par un attentat-suicide au camion piégé qui avait fait 21 morts.

L’attaque a eu lieu en deux temps, a indiqué le ministère dans un communiqué. Le gendarme auteur des tirs a d’abord tué l’un des ses collègues par balle et s’est emparé de ses munitions. Puis il s’est rendu aux abords de la synagogue où il a ouvert le feu sur les forces de l’ordre assurant la sécurité du lieu avant d’être abattu.

Deux « visiteurs » de la synagogue ont été tués par les tirs de l’assaillant avant qu’il ne soit abattu, et quatre autres ont été blessés et évacués vers un hôpital, a ajouté le ministère.

Le ministère tunisien des Affaires étrangères a précisé dans un communiqué que les deux morts étaient « un Tunisien âgé de 30 ans et un Français de 42 ans ».

Un autre gendarme a également été tué et cinq autres blessés par les tirs de l’assaillant, selon le ministère de l’Intérieur.

Selon l’ancien ministre tunisien du Tourisme, René Trabelsi, une figure de la communauté juive tunisienne présent dans la synagogue au moment de l’attaque, les fidèles tués sont deux cousins : Aviel Haddad, un juif tunisien de 30 ans, et Benjamin Haddad, 42 ans, qui résidait en France et se trouvait à Djerba pour participer au pèlerinage.

Dans une interview à la radio Mosaïque FM, il a indiqué que « sans l’intervention rapide des forces de sécurité, un carnage aurait eu lieu car des centaines de visiteurs se trouvaient sur les lieux ».

Toujours selon René Trabelsi, l’assaillant portait son uniforme de gendarme et un gilet pare-balles.

À la suite de l’attaque, l’ambassade de France à Tunis a annoncé avoir ouvert « une cellule de crise » et mis en place un numéro d’urgence.

Dans un communiqué, la France a condamné « avec la plus grande fermeté cet acte odieux ».

Le Consistoire central de France a aussi, dans un communiqué, « fustigé cet acte aussi lâche qu’odieux, venu profaner ce moment unique de prières et d’union que partageaient des centaines de pèlerins rassemblés au sein de la synagogue ». 

Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, et le président du Consistoire central, Elie Korchia, « sont en lien avec le ministère des Affaires étrangères pour garantir le rapatriement des corps de leurs proches au plus vite en France », a précisé le Consistoire.

« Les États-Unis déplorent l’attaque perpétrée en Tunisie, qui coïncide avec le pèlerinage juif annuel attirant à la synagogue de la Ghriba des fidèles du monde entier. Nous exprimons nos condoléances au peuple tunisien et saluons l’action rapide des forces de sécurité tunisiennes », a réagi sur Twitter Matthew Miller, le porte-parole du département d’État.

Plus de 5 000 pèlerins juifs

L’attaque s’est produite alors que des centaines de fidèles participaient au pèlerinage juif annuel de la Ghriba qui touchait à sa fin mardi soir dans cette synagogue.

Les forces de sécurité « ont encerclé la synagogue et sécurisé tous ceux qui se trouvaient à l’intérieur et aux abords », selon le ministère de l’Intérieur.

« Une enquête criminelle préliminaire a été ouverte », a déclaré à l’AFP Fethi Bakkouche, porte-parole du tribunal de Médenine (sud-est), dont dépend l’île de Djerba.

Les médias tunisiens avaient dans un premier temps fait état de tirs près de la synagogue de la Ghriba après le meurtre d’un policier dans des circonstances confuses.

Les tirs ont été entendus depuis la synagogue, provoquant un mouvement de panique parmi les centaines de fidèles participant au pèlerinage, selon les médias.

Selon les organisateurs, plus de 5 000 fidèles juifs, essentiellement venus de l’étranger, ont participé cette année au pèlerinage de la Ghriba qui a repris l’année dernière après deux ans d’interruption en raison de la pandémie de covid-19.

Organisé au 33e jour de la Pâque juive, le pèlerinage de la Ghriba, le plus grand rassemblement juif du continent africain, est au cœur des traditions des Tunisiens de confession juive, qui ne sont plus que 1 500, majoritairement installés à Djerba, contre 100 000 avant l’indépendance en 1956.

Des pèlerins viennent aussi traditionnellement de pays européens, des États-Unis ou encore d’Israël, mais leur nombre a considérablement diminué après l’attentat de 2002.

Cette attaque survient au moment où le tourisme enregistre une forte reprise en Tunisie après un net ralentissement pendant la pandémie. 

Après plusieurs années de dégradation en raison de l’instabilité qui a suivi la révolution en 2011, ce secteur clef de l’économie tunisienne avait été gravement affecté après les attentats de 2015 contre le musée du Bardo à Tunis et un hôtel de Sousse, dont le bilan s’était élevé à 60 morts dont 59 touristes étrangers.

Après la révolte populaire de 2011 ayant renversé le dictateur Ben Ali, la Tunisie a connu un essor des groupes islamistes armés mais les autorités affirment avoir obtenu ces dernières années des progrès significatifs dans la « lutte contre le terrorisme ».

L’attaque survient alors que la Tunisie traverse une grave crise financière qui a empiré depuis que le président Kais Saied s’est emparé des pleins pouvoirs en juillet 2021, faisant vaciller la démocratie née de la première révolte du Printemps arabe en 2011.

En présidant mercredi une réunion du Conseil de sécurité nationale, selon une vidéo diffusée par la présidence, le président tunisien Kais Saied a affirmé mercredi que son pays, une importante destination touristique, restait « sûr ».

Le chef de l’État a dénoncé une attaque « criminelle et lâche ». « Je tiens à rassurer le peuple tunisien et le monde entier que la Tunisie restera sûre en dépit de ce genre de tentatives destinées à troubler sa stabilité » a-t-il ajouté.

Il a estimé que le but de cette attaque était de « semer la discorde, de saboter la saison touristique et de porter atteinte à l’État ». 

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