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Tunisie : des députés rejettent le « coup d’État », Kais Saied dissout le Parlement

Alors que les députés venaient de braver la suspension du Parlement, en organisant une séance virtuelle pour voter l’annulation des mesures exceptionnelles décidées par le président, ce dernier a annoncé dans la soirée la dissolution du Parlement
Les forces de sécurité tunisiennes gardent l’entrée du Parlement, le 1er octobre 2021 (AFP)
Les forces de sécurité tunisiennes gardent l’entrée du Parlement, le 1er octobre 2021 (AFP)
Par MEE

Le président tunisien Kais Saied a annoncé mercredi la dissolution du Parlement huit mois après l’avoir suspendu pour s’arroger les pleins pouvoirs en juillet 2021, faisant vaciller l’expérience démocratique dans le pays berceau du Printemps arabe.

Le chef de l’État a fait cette annonce lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale qu’il a présidée, quelques heures après que des députés ont bravé la suspension du Parlement en organisant une séance virtuelle, au cours de laquelle ils ont voté pour annuler les mesures exceptionnelles décidées depuis par le président.

« J’annonce aujourd’hui en ce moment historique la dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple [ARP] pour préserver l’État et ses institution et pour préserver le peuple tunisien », a-t-il déclaré dans une vidéo diffusée par la présidence.

Alors que les députés tenaient leur première session en ligne au mépris de la suspension du Parlement, les applications de visioconférence Zoom et Teams ont cessé de fonctionner en Tunisie mercredi après-midi.

Des journalistes tunisiens et des sources de Middle East Eye sur le terrain ont confirmé que les deux plateformes étaient inaccessibles à partir de 14 h mercredi, lorsque l’assemblée parlementaire devait commencer sur Zoom. Le site officiel du Parlement a également été bloqué, selon les mêmes sources.

Après le blocage des deux plateformes, les députés ont déplacé leur réunion sur GoToMeeting, a indiqué à MEE une source du service de presse du parti islamo-conservateur Ennahdha

« Un message à M. Saied »

Quelque 123 députés ont pris part à la session, convoquée pour voter les mesures controversées prises par le président Saied en juillet 2021, notamment la suspension du Parlement et le limogeage du Premier ministre, ainsi que la confiscation de vastes pouvoirs judiciaires et législatifs.

Cette initiative avait été dénoncée comme un coup d’État par la plupart des partis politiques. 

Vers la fin de la session, 116 députés ont voté en faveur de la loi qui invalide la prise de pouvoir de Saied. Il faut 109 voix au Parlement pour adopter une loi. Maintenant que la loi a été approuvée, « légalement, Saied ne peut rien faire », affirme Mohamed-Dhia Hammami, un analyste politique tunisien.

https://twitter.com/NassBen_/status/1508399546858094597

« C’est un grand jour pour la Tunisie », estime Maher Madhioub, député d’Ennahdha. « Ces 116 voix sont un message à M. Saied, lui indiquant qu’il s’est écarté de la Constitution et a engagé le pays sur une voie difficile. »

Madhioub, qui a assisté à la session de mercredi et a voté en faveur de la loi, rapporte que les députés réclament également des élections présidentielles et législatives anticipées, ainsi qu’un dialogue national visant à restaurer la voie démocratique du pays et à « sauver l’État de la faillite ».

Le Parlement doit se réunir à nouveau samedi pour discuter de la situation économique en Tunisie, selon un communiqué du bureau du Parlement lundi. Saied qualifie ces réunions d’« illégales ».

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« La Tunisie dispose de la souveraineté de l’État à l’étranger, et la souveraineté du peuple au sein de ses frontières », a-t-il déclaré, selon la page Facebook de la présidence tunisienne. « Des forces et des institutions dissuaderont quiconque veut y toucher ou se lancer dans des combats internes », a-t-il ajouté.

Le 25 juillet dernier, le président Saied a annoncé une série de mesures controversées, révélées par Middle East Eye deux mois plus tôt, notamment la suspension du Parlement et le limogeage du Premier ministre. 

Saied a également fermé l’Instance nationale indépendante de lutte contre la corruption du pays et écarté l’Instance supérieure indépendante pour les élections.

Début février, il a dissous le Conseil supérieur de la magistrature – l’organe qui garantit l’indépendance de la justice – et s’est octroyé le contrôle de la sélection et de la promotion des juges.

Saied a cité le taux de chômage record, la corruption endémique et la pandémie de coronavirus comme les motifs de sa prise de pouvoir.

Les mesures qu’il a prises ont été suivies par une répression de l’opposition et de ses manifestations. Beaucoup ont été jugés par des tribunaux militaires et civils et condamnés à des peines de prison pour des accusations dénoncées par des groupes de défense des droits de l’homme comme étant politiques.

Traduit de l’anglais (original) et actualisé par VECTranslation.

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