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En Tunisie, la normalisation avec Israël « n’est pas à l’ordre du jour »

Kais Saied avait fait de la cause palestinienne un des points forts de sa campagne électorale. Trois jours après l’annonce de la normalisation entre le Maroc et Israël, le chef du gouvernement tunisien a déclaré que cette question n’était pas « à l’ordre du jour »
Un Tunisien brandit des drapeaux palestiniens lors d’une manifestation de solidarité avec le peuple palestinien dans la capitale Tunis, le 17 octobre 2015 (AFP)
Un Tunisien brandit des drapeaux palestiniens lors d’une manifestation de solidarité avec le peuple palestinien dans la capitale Tunis, le 17 octobre 2015 (AFP)

« C’est un choix pour lequel le Maroc a opté librement. Nous respectons le choix du Maroc. Le Maroc est un pays frère. Chaque pays a sa réalité, sa vérité, la diplomatie qu’il considère être la meilleure pour lui et pour son peuple. »

Trois jours après l’annonce de la normalisation entre le Maroc et Israël jeudi dernier, alors que Tunis ne s’était pas encore officiellement exprimé, Hichem Mechichi, le chef du gouvernement tunisien, a souligné qu’en Tunisie, « la question [de la normalisation n’était] pas à l’ordre du jour », dans un entretien accordé à France 24. Il a ajouté qu’à sa connaissance, l’administration Trump n’avait pas incité la Tunisie à suivre la voie du Maroc.

Kais Saied, fervent défenseur de la cause palestinienne, dont il avait fait l’un des points de sa campagne électorale, avait déclaré en janvier au sujet du plan de normalisation qu’il s’agissait de l’« injustice du siècle » et d’une « trahison suprême ».  

Dès vendredi, le très puissant syndicat Union générale tunisienne du travail (UGTT) a, dans un communiqué sur la situation générale du pays, condamné « l’empressement de nombreux régimes arabes à normaliser [leurs relations] avec l’entité sioniste [Israël], sous le parrainage américain, comme récemment le régime marocain. »

Pour la centrale syndicale, cette normalisation est un « coup de poignard dans le droit palestinien, une division fatale des causes arabes, et une planification pour l’application du complot pour l’intégration de l’entité sioniste dans l’environnement régional et international du Moyen-Orient ».

L’ancien président et militant des droits de l’homme Moncef Marzouki a condamné le jour même cette normalisation dans un statut Facebook.

Traduction : « Comme j’ai condamné la politique algérienne envers le Sahara occidental […] je condamne aussi clairement la normalisation du régime marocain avec Israël au moment où Israël accélère sa politique de colonisation et de violation des droits des Palestiniens. »

« La cause palestinienne a été vendue »

Abdou, la soixantaine, explique à Middle East Eye que « la cause palestinienne a été vendue depuis que l’Égypte a installé son ambassade en Israël ». 

« Et voilà que les États-Unis et les Israéliens mettent en place leur plan pour diriger le monde et faire reconnaître Israël en tant qu’État », ajoute-t-il, amer.

« Ils dirigent le monde arabe du bout du doigt alors que les Palestiniens meurent tous les jours sous leurs balles ou sont emprisonnés depuis des années », s’insurge le retraité.

Traduction : « Le roi du Maroc a rejoint le chœur des pays qui normalisent [leurs relations avec Israël], bien qu’en réalité, le Maroc a déjà normalisé depuis bien longtemps avec l’entité criminelle et assassine. Il ne fait qu’enlever le voile de la timidité. […] L’injustice n’est pas éternelle. La Palestine, volée par la force, la ruse et le terrorisme des pays occidentaux qui assassinent des innocents depuis 72 ans, est la plus grande injustice de l’humanité. Les droits reprendront leur place malgré la trahison de certains pays arabes qui font honte aux Arabes. »

« Le Maroc entretenait déjà des relations avec l’entité sioniste en cachette. Disons qu’il ne fait que les officialiser », relève pour MEE Oumayma, étudiante en master d’anglais.

Elle estime que « cet accord ne fait que renforcer Israël. Si chaque pays commence à penser à ses propres intérêts uniquement, cela ne sera qu’au profit d’Israël ».

« D’après mes informations, le plus grave, c’est la normalisation avec l’extrême droite israélienne », ajoute-t-elle. « Il fallait au moins négocier un peu pour l’intérêt des Palestiniens. »

L’ombre de Yasser Arafat

« Historiquement, les Tunisiens ont toujours soutenu la cause palestinienne. Nous avons accueilli les Palestiniens dans les années 1980 », rappelle à MEE Kaouther, gérante d’une société de communication, en évoquant l’installation de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Tunis le 3 septembre 1982 après son exil du Liban. Yasser Arafat allait y rester douze ans jusqu’à son retour en Palestine en juillet 1994.

« Et nous continuons de les soutenir aujourd’hui. Même les jeunes sortent dans la rue pour exprimer leur soutien aux atteintes contre les Palestiniens », poursuit-elle.

Avant de nuancer : « Israël est un État qu’on le veuille ou non, soutenu par des pays puissants, sur le plan économique, politique, etc. Pour moi, chaque État est libre dans sa décision de normaliser ses relations, pourvu qu’il y trouve son compte. »

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Pour Majdi, directeur dans une société agroalimentaire, les bénéfices pour le Maroc sont évidents sur le plan économique et sur le dossier du Sahara Occidental.

« Si les Américains reconnaissent la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, alors elle sera reconnue à l’échelle mondiale », prévient-il.

« Les Palestiniens sont nos frères, oui, il sont victimes depuis des années, mais on ne va pas sauver les Palestiniens par des déclarations d’opposition à de tels accords de paix. Après tout, Israël est reconnu par plusieurs pays et représenté dans les Nations unies. »

Le trentenaire se dit favorable à des négociations entre la Tunisie et les Israéliens, « surtout que d’un point de vue géopolitique, le monde est très instable. Même la Palestine doit reprendre de nouvelles négociations. Israël est fort parce qu’il compte des alliés partout. Son but est d’assurer sa sécurité dans le pays. »

Une semaine après la signature de l’accord de normalisation entre les Émirats arabes unis et Israël, Kais Saied recevait, mercredi 19 août, l’ambassadeur de Palestine en Tunisie, Hael El Fahoum.

Il rappelait à l’occasion « la ferme position de la Tunisie en faveur des droits des Palestiniens », tout en assurant : « Nous n’intervenons pas dans les choix des autres pays. Ce sont leurs propres affaires devant leurs peuples. »

La présidence du Parlement avait aussi dénoncé, dans un communiqué, « la violation des droits du peuple palestinien » et invité les Parlements arabes ainsi que les structures parlementaires internationales à condamner cet accord.

Les députés du bloc démocratique ont annoncé, lors d’une conférence de presse au Parlement, qu’ils comptaient présenter une initiative législative « pour criminaliser la normalisation avec l’entité sioniste ».

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