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Tunisie : nouvelles arrestations, l’ONU dénonce « l’aggravation de la répression »

Les services de sécurité tunisiens ont lancé ce week-end un coup de filet au cours duquel des militants politiques, d’anciens magistrats et un influent homme d’affaires ont été interpellé
Le dirigeant d’Ennahdha, Noureddine Bhiri, 64 ans, a été arrêté et « emmené vers un lieu inconnu » lors d’une descente de police à laquelle ont participé une centaine d’agents (AFP/Fethi Belaïd)
Le dirigeant d’Ennahdha, Noureddine Bhiri, 64 ans, a été arrêté et « emmené vers un lieu inconnu » lors d’une descente de police à laquelle ont participé une centaine d’agents (AFP/Fethi Belaïd)

Un chef du parti tunisien islamo-conservateur Ennahdha et le directeur d’une radio privées ont été arrêtés lundi 13 février au soir, selon la formation politique et le média.

Ces arrestations surviennent dans le cadre d’un coup de filet lancé ce week-end par les services de sécurité tunisiens et au cours duquel des militants politiques, d’anciens magistrats et un influent homme d’affaires ont été interpellés.

Le dirigeant d’Ennahdha, Noureddine Bhiri, 64 ans, a été arrêté et « emmené vers un lieu inconnu » lors d’une descente de police à laquelle ont participé une centaine d’agents à son domicile à Tunis, a indiqué à l’AFP un porte-parole d’Ennahdha, Abdelfattah Taghouti.

Cet ancien ministre de la Justice avait déjà été détenu pendant plus de deux mois début 2022, cinq mois après le coup de force du président Kais Saied qui avait suspendu le Parlement contrôlé par Ennahdha, sa bête noire, et s’efforce depuis de le marginaliser.

Il avait cessé de s’alimenter dès son arrestation et cessé de prendre ses médicaments avant d’accepter d’être perfusé dans un hôpital où il avait été transféré en état de détention.

Selon Mosaïque FM, son dossier serait entre les mains du pôle antiterroriste.

Noureddine Boutar « arrêté sans aucun motif »

La police a par ailleurs arrêté lundi soir le directeur général de la radio privée Mosaïque FM, très écoutée en Tunisie, Noureddine Boutar, a annoncé ce média.

Selon son avocate Dalila Ben Mbarek Msadek, les forces de l’ordre sont arrivées au domicile de Noureddine Boutar avec un ordre de perquisition.

« Après des fouilles, les agents sont sortis sans rien avoir perquisitionné », rapporte Mosaïque FM, dont le directeur a été conduit vers la caserne d’El Gorjani. « L’avocate a ajouté qu’elle se rendrait sur place pour essayer de comprendre les motifs de cette arrestation. Pour le moment, Noureddine Boutar est arrêté sans aucun motif, a-t-elle ajouté. »

Traduction : « L’unité de la brigade antiterroriste voulait interroger (et peut-être arrêter) deux autres journalistes de Mosaïque FM dont le rédacteur en chef. Dans un communiqué publié plus tôt dans la journée, le comité de rédaction a déclaré qu’ils étaient ''clairement ciblés'' en raison de "leur lignes éditoriale". »

Samedi, la police tunisienne avait arrêté l’homme d’affaires Kamel Eltaïef, très influent dans les milieux politiques et longtemps l’éminence grise du président déchu Zine el-Abidine Ben Ali, ainsi que deux opposants, Abdelhamid Jelassi, ex dirigeant d’Ennahdha, et un militant politique, Khayam Turki, ainsi que deux anciens magistrats.

Homme de l’ombre, Kamel Eltaïef, 68 ans, est vu par de nombreux Tunisiens comme l’un des symboles de la corruption depuis les années de Ben Ali.

Il a notamment participé au « coup d’État médical » qui a écarté du pouvoir le premier président tunisien Habib Bourguiba pour sénilité en 1987 au profit de Zine el-Abidine Ben Ali.

Homme de l’ombre, Kamel Eltaïef, 68 ans, est vu par de nombreux Tunisiens comme l’un des symboles de la corruption depuis les années de Ben Ali (AFP/Fethi Belaid)
Homme de l’ombre, Kamel Eltaïef, 68 ans, est vu par de nombreux Tunisiens comme l’un des symboles de la corruption depuis les années de Ben Ali (AFP/Fethi Belaid)

Il a été arrêté à son domicile dans la banlieue nord de Tunis, a précisé son avocat Nizar Ayed, sans être en mesure de fournir d’autres détails dans l’immédiat.

Lobbyiste avec de solides connexions diplomatiques, il a fait et défait des carrières dans la police et sur la scène politique.

Après la chute de Ben Ali en 2011, l’homme d’affaires s’était rapproché de l’opposition et avait conservé ses entrées au ministère de l’Intérieur sous le gouvernement du Premier ministre de l’époque Béji Caïd Essebsi.

En 2012, il avait été poursuivi pour « complot contre la sûreté de l’État » mais aucune charge n’avait été retenue à son encontre et le dossier avait été classé en 2014. 

« Complot contre la sûreté de l’État »

Selon des médias locaux, les personnes arrêtées ce week-end sont soupçonnées de « complot contre la sûreté de l’État ».

Depuis le coup de force du président Saied, plusieurs hommes politiques font l’objet de poursuites judiciaires dénoncées par l’opposition comme des règlements de comptes.

L’opposition accuse Kais Saied d’instaurer un régime autoritaire réprimant les libertés et menaçant la démocratie en Tunisie, où la première révolte du Printemps arabe avait renversé en 2011 la dictature de Ben Ali.   

Sept agents de la police ont fouillé la maison de l’ex-dirigeant du mouvement Ennahdha, Abdelhamid Jelassi, et ont confisqué son téléphone portable avant de l’arrêter, a indiqué ce parti à l’AFP sans plus de détails. Selon des médias locaux, l’homme est soupçonné « de complot contre la sûreté de l’État ».

Quelques heures avant, l’activiste politique Khayam Turki, 58 ans, avait aussi été arrêté. « Vers 6 h 00 du matin, [Khayam Turki] a été arrêté par des agents de la police qui ont fouillé sa maison avant de l’emmener vers une destination inconnue », a affirmé à l’AFP son avocat Abdelaziz Essid.

Khayam Turki ne faisait l’objet « d’aucune poursuite judiciaire » susceptible de motiver son arrestation, a ajouté l’avocat.

Dénonçant son arrestation, Ennahdha a réclamé dans un communiqué sa libération « immédiate ».

Sept agents de la police ont fouillé la maison de l’ex-dirigeant du mouvement Ennahdha, Abdelhamid Jelassi et ont confisqué son téléphone portable avant de l’arrêter, selon le parti (AFP/Fethi Belaid)
Sept agents de la police ont fouillé la maison de l’ex-dirigeant du mouvement Ennahdha, Abdelhamid Jelassi et ont confisqué son téléphone portable avant de l’arrêter, selon le parti (AFP/Fethi Belaid)

Le Front de salut national (FSN), principale coalition de l’opposition, a condamné de son côté « une politique répressive », réclamant également la libération de Khayam Turki.

Issu du parti Ettakatol, petite formation social-démocrate qui s’était alliée au mouvement Ennahdha au sein du cabinet dit de « la troïka » entre 2011 et 2014, il avait été évoqué comme possible candidat pour devenir chef du gouvernement après la démission de l’ex-Premier ministre Elyes Fakhfakh en 2020.  

L’avocat Lazjer Akremi a déclaré que l’arrestation de Khayam Turki était survenue à l’issue de la réunion organisée vendredi dernier entre Kais Saied et la ministre de la Justice Leila Jaffel, au cours de laquelle il a évoqué qu’un certain nombre d’affaires étaient restées dans les tiroirs des tribunaux sans jugement, rapportent des médias locaux.

Climat de tensions avec les principaux contre-pouvoirs

Ces arrestations surviennent dans un climat de tensions avec les principaux contre-pouvoirs.

Jeudi 9 février, plus de 65 ONG, partis politiques et personnalités du pays ont exprimé leur « soutien total » à la centrale syndicale UGTT, « ciblée » par le président Saied qui, selon eux, veut mettre la main sur toutes les institutions de l’État dans une dérive autocratique.

« Nous affirmons notre soutien total à l’UGTT, ciblée d’une manière méthodique par le pouvoir qui la considère comme le dernier obstacle l’empêchant d’étendre ses pleins pouvoirs », ont-ils indiqué dans un communiqué commun.

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Les 66 signataires, dont le mouvement citoyen Soumoud, l’Association tunisienne pour les droits et les libertés, le Parti communiste et des dizaines de personnalités comme le penseur Youssef Seddik et la militante Bochra Belhaj Hmida, ont dénoncé une tentative « désespérée de criminaliser le travail syndical » et de « resserrer l’emprise sur tout ce qui concerne les affaires publiques ».

Les tensions politiques sont montées d’un cran la semaine dernière après l’interpellation le 31 janvier d’un responsable de l’UGTT dans la foulée d’un discours du président Saied dénonçant une instrumentalisation du droit de grève « à des fins politiques ».

« Le message est clair que l’UGTT est visée », avait réagi le chef du syndicat Noureddine Taboubi, qui s’était abstenu initialement de critiquer le coup de force de Kais Saied à l’été 2021.

L’objectif est de « préparer le passage à l’étape de la répression, de la tyrannie et de la domination individuelle » et d’achever le projet du président Kais Saied — qui concentre tous les pouvoirs depuis le 25 juillet 2021 — malgré le « déclin de sa popularité » illustré par les récentes législatives, selon le texte.

Ce scrutin a été marqué par une abstention de quasi 90 %, analysée par l’opposition comme un rejet des réformes lancées ces dix-huit derniers mois par Kais Saied, visant à réinstaurer un système ultraprésidentialiste similaire à celui d’avant la révolution de 2011 et la chute de Ben Ali. 

« Nous sommes en outre préoccupés par le fait que certaines des personnes détenues pour avoir critiqué le gouvernement ont été jugées par des tribunaux militaires »

- Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme

Anis Kaabi, responsable de la branche autoroutes de l’UGTT, est en détention provisoire dans l’attente d’un procès fixé au 23 février, pour avoir lancé une grève sur les péages et occasionné des pertes financières à la société publique Tunisie Autoroutes.

La centrale syndicale, qui compte environ 500 000 adhérents selon les médias locaux, a annoncé pour les prochaines semaines des sit-in et rassemblements contre la politique de Kais Saied, qui devraient culminer lors d’une marche à Tunis le 11 mars.

Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a dénoncé mardi « l’aggravation de la répression ».

« Depuis samedi, au moins neuf personnes, dont d’anciens fonctionnaires, auraient été arrêtées et certaines détenues pour des accusations liées à la sécurité ou de corruption », a souligné son porte-parole, Jeremy Laurence, lors d’un point-presse à Genève.

« Nous sommes en outre préoccupés par le fait que certaines des personnes détenues pour avoir critiqué le gouvernement ont été jugées par des tribunaux militaires. Nous appelons les autorités à cesser immédiatement les pratiques consistant à juger des civils devant des tribunaux militaires. »

L’ONU a aussi dénoncé la « série de mesures » prises depuis juillet 2021 par les autorités tunisiennes « qui ont porté atteinte à l’indépendance de la justice, notamment la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature et la révocation sans préavis de 57 juges ».

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