Yémen : des victimes de torture accusent Total d’avoir enfreint la loi française sur le devoir de vigilance des entreprises
Les avocats de deux hommes qui auraient été détenus au secret puis torturés par les forces émiraties dans une usine gazière utilisée comme prison au Yémen ont intenté une action en justice contre le géant français de l’énergie TotalEnergies.
La société française est le principal actionnaire de Yemen LNG, la société qui exploite l’usine de liquéfaction de gaz de Balhaf, dans le gouvernorat méridional de Chabwa, où les deux hommes ont été emmenés en 2018 et 2019, selon leurs déclarations.
« Total doit assumer la responsabilité des violations commises par les forces des Émirats arabes unis à Balhaf »
- Alexis Thiry, MENA Rights Group
Dans la plainte déposée jeudi devant la Cour de justice de Paris, les avocats soutiennent que TotalEnergies a manqué à ses obligations d’identification et de prévention des violations des droits humains comme l’exige une loi française de 2017.
Selon la loi n° 2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses, les grandes entreprises françaises doivent publier un plan annuel visant à établir et atténuer les impacts de leurs activités ou de celles de leurs filiales sur les droits de l’homme et l’environnement.
« Total doit assumer la responsabilité des violations commises par les forces des Émirats arabes unis à Balhaf », a déclaré Alexis Thiry, conseiller juridique du MENA Rights Group, basé à Genève, qui représente les hommes.
Selon lui, il est « décevant » que l’entreprise ait continué d’exclure l’usine de son plan de vigilance « bien qu’elle ait été informée de violations flagrantes des droits de l’homme sur le site à plusieurs reprises ».
Middle East Eye a sollicité un commentaire de TotalEnergies.
Des violations récurrentes des droits de l’homme
La production sur le site gazier s’est arrêtée début 2015, alors que la guerre dans le pays se propageait et que les combats commençaient autour du site.
En mars 2017, le gouvernement yéménite a réquisitionné certaines infrastructures pour les forces de la coalition soutenant le gouvernement, dont ont ensuite pris le contrôle les forces émiraties.
Depuis, des observateurs des droits humains et des journalistes ont signalé des violations récurrentes des droits humains sur le site. En 2019, l’ONU a identifié l’usine comme faisant partie d’un réseau plus large de centres de détention dans le sud du pays où des violations des droits de l’homme étaient commises.
Sur son site internet, TotalEnergies a déclaré en 2019 ne pas détenir de participation majoritaire dans la centrale et ne pas intervenir directement.
« Total ne dispose d’aucune information précise sur la manière dont la coalition utilise les zones réquisitionnées », avait indiqué la société.
Depuis, MENA Rights Group a déclaré avoir envoyé une mise en demeure à l’entreprise détaillant les violations commises. Total, selon les avocats, a répondu ne pas être liée par les obligations de diligence raisonnable dans cette usine car elle ne contrôle pas Yemen LNG.
C’est la deuxième fois que l’entreprise est poursuivie en justice sur la base de la loi sur la diligence raisonnable en rapport avec des accusations relatives aux droits de l’homme.
En 2019, six organisations de la société civile ont intenté une action en justice accusant TotalEnergies de ne pas avoir pris en compte les risques qu’un projet pétrolier en Ouganda faisait courir aux habitants. Total a démenti ces allégations. L’affaire est en cours.
D’après Louis Cofflard, autre avocat représentant les deux hommes, cette dernière affaire « illustre clairement la stratégie de la multinationale consistant à décliner toute responsabilité juridique lorsque de graves violations des droits de l’homme sont révélées en lien avec les activités ou infrastructures de ses filiales ».
Traduit de l’anglais (original).
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