Marzouki : le candidat de la révolution tunisienne ?
Ce n’est pas une coïncidence si le 17 décembre, jour du quatrième anniversaire du printemps arabe, Moncef Marzouki était le seul des deux candidats à l’élection présidentielle à visiter le lieu où tout a commencé.
Marzouki, docteur en médecine devenu l’un des militants des droits de l’homme les plus connus de Tunisie, a choisi de tenir l’une de ses dernières étapes de campagne avant l’élection de dimanche à Sidi Bouzid. C’est dans cette ville du sud du pays qu’un pauvre vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi, s’était immolé par le feu.
Sa mort avait été le détonateur de vastes manifestations populaires qui avaient fini par renverser l’homme fort du pays, Zine el-Abidine Ben Ali, et provoqué des ondes de choc au Caire, à Sanaa, à Tripoli et ailleurs.
Marzouki, qui aura 70 ans l’année prochaine, a cherché à faire revivre l’esprit du printemps arabe partout où il s’est rendu pour sa campagne présidentielle, soutenant que l’enjeu électoral du 21 décembre est le choix entre progrès démocratique et retour à l’autoritarisme.
Son opposant, Béji Caïd Essebsi, l’a devancé d’un petit 6% au premier tour. Porte-parole du parlement au début du règne de Ben Ali, il est globalement soutenu par la vieille garde du pays.
Son parti, Nidaa Tounes, a remporté les élections parlementaires en octobre dernier et est prêt à désigner un premier ministre et un nouveau gouvernement dès que les résultats de l’élection présidentielle seront connus.
Dans son discours à Sidi Bouzid, Marzouki a déclaré aux électeurs que sa victoire garantirait que la présidence et le gouvernement ne tombent pas entre les mêmes mains.
"Un équilibre du pouvoir est essentiel pour assurer qu’il n’y aura pas de retour à la dictature, et pour renforcer les fondations de notre démocratie naissante", a-t-il énoncé.
Les efforts de Marzouki pour définir l’élection en ces termes constituent un rejet clair de la tactique d’Essebsi, qui affirme au contraire que le vote de dimanche se joue autour du choix entre laïcité et islamisme.
Ce dernier a tenté de dépeindre Marzouki comme une marionnette d’Ennahda, le parti qui avait remporté les premières élections libres en 2011 mais qui avait par la suite perdu du terrain. Ennahda est souvent désigné comme la branche tunisienne des Frères musulmans. Or, il s’est développé sur la base de préoccupations locales très spécifiques et n’est pas perçu comme dogmatique, se montrant disposé au compromis et au partage du pouvoir.
Bien que Marzouki ait été élu en 2011 président par intérim par l’Assemblée constituante, composée en majorité de membres d’Ennahda, il est en désaccord avec ce parti sur de nombreuses questions. Il est, par exemple, un laïc convaincu qui s’est longtemps opposé à la peine capitale, position qui est rejetée par Ennahda. Cependant, le rôle du président est restreint, et l’influence que Marzouki pouvait exercer restait limitée.
Le soutien et le respect nuancés de Marzouki envers Ennahda découlent en grande partie de son intérêt pour la protection des droits de l’homme et de sa conviction que chaque groupe de la société tunisienne en est un membre légitime.
Son père émigra au Maroc dans les années 1950 face aux pressions politiques qu’il subissait pour s’être opposé au président Habib Bourguiba. Moncef Marzouki n’est revenu au pays qu’en 1979.
Il est le fondateur du Réseau africain pour la prévention des abus et négligences sur les enfants (African Network for Prevention of Child Abuse and Neglect - ANPCAN) et a rejoint la Ligue tunisienne des droits de l’homme. Dès le départ, il s’est confronté publiquement au président Ben Ali, le pressant de respecter la loi comme au moment où le dictateur s’activait à faire disparaître Ennahda en emprisonnant nombre de ses responsables et poussant les autres à l’exil.
En 2001, Marzouki a créé le Congrès pour la République, un petit parti qui a remporté quatre sièges aux élections d’octobre dernier.
Ses préoccupations pour les droits de l’homme ont aussi conduit Marzouki, cette fois en tant que président en 2012, à rompre toutes relations diplomatiques avec la Syrie de Bachar al-Assad. Ses opposants de Nidda Tounes ont laissé entendre qu’ils les rétabliraient si Essebsi l’emportait dimanche.
De même, Marzouki a vivement condamné le coup d’état de l’année dernière en Egypte et la pléthore de violations des droits de l’homme qui l’ont suivi, telle l’interdiction du parti des Frères musulmans.
Le rôle que les partisans d’Ennahda vont jouer dans le vote de dimanche est un élément clé.
Bien que la direction du parti se soit opposée à fournir une consigne de vote, beaucoup de ses membres voteront sans doute pour Marzouki car ils partagent son sentiment qu’une victoire d’Essebsi rendrait un retour à l’autoritarisme plus probable. Marzouki a quant à lui délibérément choisi de ne pas solliciter le soutien d’Ennahda afin de ne pas renforcer l’idée que le choix de dimanche se ferait entre laïcité et islamisme.
La question est de savoir si suffisamment de partisans d’Ennahda se mobiliseront pour permettre à Marzouki de combler les 6% d’écart du premier tour entre lui et Essebsi.
Cela dit, suggérer que Marzouki serait une marionnette d’Ennahda est inexact. Rien ne montre en fait que les responsables du parti souhaitent sa victoire. La direction d’Ennahda prend garde à ne pas soutenir publiquement Marzouki ou attaquer Essebsi, justement parce que beaucoup de cadres du parti aimeraient former un gouvernement de coalition avec Nidaa Tounes.
Certains leaders d’Ennahda, y compris semble-t-il son président Rachid Ghannouchi, voient véritablement cette option comme étant la meilleure. D’autres la considèrent comme une stratégie de survie incontournable dans le cas où Essebsi l’emporterait dimanche. Pour beaucoup à la base d’Ennahda, les deux positions semblent excessivement prudentes et dénotent un abandon de responsabilité de la part du parti.
En outre, certains responsables d’Ennahda ont été fortement contrariés. Hamad Jebali, secrétaire général d’Ennahda ayant brièvement occupé le poste de premier ministre, a démissionné du parti au début du mois, annonçant qu’il souhaitait « servir les objectifs de la révolution ». Ses mots font écho à ceux de Marzouki, qui continue d’insister sur le fait que tout reste à jouer.
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