La vente saoudienne d’Aramco est un défi économique majeur
Depuis plus d’un demi-siècle, l’Arabie saoudite et le pétrole brut vont de pair comme le baseball et les hot-dogs. Cependant, les choses pourraient être sur le point de changer.
Un jeune prince veut abandonner la dépendance du pays vis-à-vis des exportations de pétrole, le processus commençant véritablement l’année prochaine avec les projets de vente de la société pétrolière publique Aramco. C’est une initiative risquée, la prospérité future du royaume dépendant du succès de cette initiative.
Peu d’observateurs s’attendent à ce que le processus se fasse sans heurts. Pire encore, le monde surveillera de près pour voir si le royaume est sérieux.
Dépendant à l’argent du pétrole
À l’heure actuelle, le Royaume, qui est l’un des plus grands producteurs de pétrole brut au monde, tire 87 % de ses recettes budgétaires du pétrole, selon le Factbook de la CIA.
Cependant, il est également clair que le pays ne peut continuer encore longtemps à compter sur ces revenus, car la demande en pétrole devrait chuter au cours des prochaines années. Le résultat de cette prise de conscience fut l’élaboration d’un plan pour l’ère post-pétrole nommé « Vision 2030 », qui a été révélé l’année dernière par le vice-prince héritier, Mohammed ben Salmane al-Saoud.
Ben Salmane est le jeune homme qui joue un rôle de premier plan dans l’évolution radicale du royaume et de son économie.
Ce plan lui-même a été décrit comme ayant « un rythme et une ambition vertigineux », selon le Centre pour le Moyen-Orient de l’Institut Baker pour les politiques publiques.
L’ambition est une chose, mais les analystes prévoient de nombreux obstacles potentiels à la réforme.
Tous les regards sont braqués sur Aramco
Le premier obstacle de l’Arabie saoudite est de réussir l’introduction en bourse d’Aramco.
« La pièce maîtresse de la réforme économique est la vente d’Aramco », explique David Roberts, professeur d’études de défense du Moyen-Orient au Kings College de Londres. « Ils espèrent qu’elle sera importante et compensera une partie de la baisse des revenus pétroliers. Ce à quoi elle ressemble est tout aussi important. »
Le problème entourant la somme d’argent que rapportera l’introduction en bourse est qu’elle dépend en grande partie de la santé du marché pétrolier. C’est un marché volatil depuis quelques années. Par exemple, à la mi-2014, un baril de pétrole brut se vendait pour plus de 100 dollars le baril, mais a ensuite sombré à 26 dollars en février 2016. Récemment, le prix est remonté à environ 55 dollars. Ces évolutions inquiètent les analystes.
La pièce maîtresse de la réforme économique est la vente d’Aramco – David Roberts, études de défense du Moyen-Orient, professeur
« Autre élément clé de l’introduction en bourse d’Aramco : la stabilisation des prix du pétrole, et l’Arabie saoudite est peu susceptible de poursuivre jusqu’à ce que la structure à long terme des marchés pétroliers devienne plus claire », indique un récent rapport de l’organisation de conseil politique Eurasia Group. En d’autres termes, la vente d’Aramco devra peut-être attendre jusqu’à ce que les prix du pétrole cessent de faire le yo-yo.
Reste à déterminer à quel moment cela se produira. D’une part, l’économie de l’industrie pétrolière mondiale a radicalement changé récemment, comme l’illustre le succès de la fracturation hydraulique des gisements d’huile de schiste. Les prix les plus bas auxquels l’huile de schiste peut être extraite de manière rentable ont diminué régulièrement aux États-Unis au cours des dernières années, selon des recherches récentes citées par BMO Private Bank. En 2016, les cinq régions américaines disposant d’huile de schiste listées par BMO pouvaient produire de l’huile rentable pour moins de 40 dollars le baril, en baisse en comparaison aux 80 dollars environ trois ans plus tôt.
Autrement dit, cela signifie que tout le brut supplémentaire issu de la fracturation ne contribue pas à la stabilité du marché pétrolier.
Une vente différée signifie une entrée de liquidités différée
« Le Royaume prévoit d’utiliser les bénéfices pour diversifier les énergies », indique le rapport BMO. Ces investissements comprennent le gaz naturel et les produits raffinés tels que l’essence.
Cependant, si l’introduction en bourse d’Aramco est retardée en raison de l’instabilité sur le marché pétrolier (ou d’autres motifs), l’entrée d’argent sera retardée et, par conséquent, l’investissement dans de nouveaux produits non pétroliers à exporter sera également différée.
Un point révélateur soulevé par BMO est que l’Arabie saoudite a déjà investi 3,5 milliards de dollars dans le service controversé Uber, « une entreprise qui représente une menace pour la future demande en pétrole », estime le rapport BMO. En tout cas, c’est une preuve de plus que les dirigeants saoudiens savent que c’est prochainement la fin de l’industrie pétrolière.
Risque de changement au sommet
Un autre obstacle à la vente d’Aramco est le potentiel d’un changement soudain de leadership politique.
« Le plan d’introduction en bourse d’Aramco n’est pas à l’abri des changements de leadership en Arabie saoudite », selon un récent rapport du groupe Eurasia. « La stratégie de réforme actuelle est étroitement associée à [Mohammed ben Salmane] et certains éléments de celle-ci pourraient ne pas demeurer s’il ne parvient pas à devenir roi ou prince héritier ».
Donc, si ben Salmane décède ou si quelqu’un d’autre obtient l’un des principaux emplois, les paris sur les réformes économiques seraient remis en cause.
Le plan d’introduction en bourse d’Aramco n’est pas à l’abri des changements de leadership en Arabie saoudite – Rapport du Groupe Eurasia
En outre, il existe des risques sécuritaires dans le pays. La violence des groupes militants s’est accrue et le pays lui-même n’a pas les infrastructures institutionnelles qu’attendent les investisseurs étrangers, selon Eurasia Group. Rien de tout cela ne pourrait être considéré comme un avantage pour un investisseur potentiel dans le pays.
Tout changement est difficile en Arabie saoudite
Outre les prix volatils du pétrole, les transitions politiques et les préoccupations en matière de sécurité, les analystes estiment que les antécédents du royaume en matière de réforme sont historiquement médiocres.
Les dirigeants saoudiens savent depuis longtemps que leur économie doit changer, mais les progrès ont été lents, selon Roberts.
Il y a une communauté religieuse conservatrice dans le royaume et qui tend à ralentir le rythme des changements, a-t-il estimé.
« Si Mohammed ben Salmane pouvait claquer des doigts pour réaliser les changements, je suis sûr qu’il le ferait », a ajouté Roberts.
Le rapport de l’Institut Baker fait écho à ce que Roberts a dit. « Le rythme et l’ambition vertigineux de “Vision 2030” et les évolutions associées […] ont été inhabituels pour un royaume habitué à des périodes de changement progressif se déployant lentement au fil du temps ».
Le changement est difficile partout, mais peut-être plus dans le royaume saoudien.
Photo : l’économie de l’industrie pétrolière mondiale a radicalement changé (Reuters).
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