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Le Maroc est confronté à une impasse politique, mais le palais s’en accommode très bien

Le PJD, parti au pouvoir, a été incapable de former un gouvernement de coalition. Pendant ce temps, le palais royal manœuvre pour obtenir le résultat qui lui convient

RABAT, Maroc – L’alliance entre le palais marocain et le Parti islamiste de la justice et du développement (PJD) est devenue de plus en plus instable ces derniers mois, dans le contexte d’un PJD incapable de former un gouvernement de coalition.

Après avoir remporté les élections législatives d’octobre avec un gouvernement minoritaire –  125 sièges sur 395 au parlement – le chef du PJD, Abdelilah Benkirane a été reconduit par le roi Mohammed VI dans ses fonctions de Premier ministre, et chargé de trouver un moyen de collaborer avec d’autres partis politiques.

Ce politicien populiste, à la tête du gouvernement marocain depuis plus de cinq ans, s’efforce de mettre fin à la crise politique et prévenir la tenue de nouvelles élections, tout en intriguant simultanément afin d’éviter de devoir accorder trop de concessions.

Le PJD affiche officiellement sa détermination à se conformer aux directives du cabinet ministériel du roi, et a rendu publiques plusieurs déclarations confirmant la fidélité totale du parti à la monarchie, dont sa « détermination à réagir positivement et de manière responsable aux instructions royales relatives à la rapide formation d’un gouvernement ».

Voilà qui ressemble à une guerre d’usure contre Benkirane, en vue de le forcer à accepter le maximum de concessions

– Fouad Abdelmoumni, économiste

Au début du mois, les négociations entre Benkirane et Aziz Akhannouch, secrétaire général du Rassemblement national des indépendants (RNI), et Mohand Laenser – secrétaire général du Mouvement populaire (MPE) sont entrées dans une impasse.

Les analystes affirment que cela semble être le résultat des manœuvres politiques engagées par la monarchie pour forcer le PJD à concéder des postes ministériels clés.

« Voilà qui ressemble à une guerre d’usure contre Benkirane, pour le forcer à offrir le maximum de concessions », analyse Fouad Abdelmoumni, économiste et militant emprisonné sous Hassan II, père du roi actuel.

« Cela impliquerait de lui offrir la place de chef d’un gouvernement sans grand pouvoir au sein d’un gouvernement de coalition, tout en concédant des portefeuilles stratégiques ».

Indispensable compromis

Les observateurs disent que la monarchie devra bien, finalement, accepter un compromis et mettre fin à ce bras-de-fer, afin de prévenir de futures tensions et une instabilité politique.

En fait, les manœuvres « contre-productives » du palais risquent de renforcer la popularité du PJD aux yeux de sa base électorale, précise Abdelmoumni.

« S’il y avait de nouvelles électios, le PJD aurait l’avantage d’avoir le rôle de la victime. »

L’ascension du PJD jusqu’au pouvoir a été compliquée. Le parti a frôlé l’interdiction après une série d’attentats meurtriers à Casablanca en 2003. Mais il a de nouveau émergé en 2011 comme véritable force politique suite aux soulèvements qui ont parcouru tout le monde arabe et atteint le Maroc.

Des milliers des gens sont descendus dans la rue, exigeant plus démocratie dans le pays.

À cette époque, le PJD – à la différence de l’autre parti islamiste interdit mais toléré dans le pays : le Parti de la charité et de la justice – ne s’est pas joint aux protestations. Au lieu de cela, il s’est présenté aux élections, qu’il a remportées sur la foi d’un programme électoral anticorruption.

Cette même année, un certain nombre de changements constitutionnels ont garanti que le Premier ministre devait être issu du parti vainqueur des élections.

Alors que le PJD a été applaudi pour avoir appliqué les réformes relatives aux subventions, jugées indispensables, il a également été critiqué pour ne pas avoir réussi à exiger des comptes à la monarchie.

Les négociations se sont bloquées à cause d’un conflit fondamental entre le bloc mené par les islamistes et une coalition de partis centristes discrètement soutenus par la monarchie

– Riccardo Fabiani (Groupe Eurasia)

Les experts croient que la popularité bien établie du PJD – surprenante puisqu’il n’a pas tenu ses promesses contre la corruption – est perçue comme une menace par l’establishment du pays – qui risque de perdre le contrôle si l’un des partis devient trop puissant.

« Les négociations se sont bloquées à cause d’un conflit fondamental entre le bloc mené par les islamistes et une coalition de partis centristes discrètement soutenus par la monarchie », relève Riccardo Fabiani, analyste chevronné du Groupe Eurasia.

L’ancien groupe veut voir advenir un changement progressif au sein du cadre existant. Ils pensent qu’il est possible de parvenir à la démocratisation et au développement économique tout en fonctionnant dans le respect des institutions et des contraintes actuelles », ajoute-t-il.

« La monarchie et ses alliés centristes craignent que permettre aux islamistes de diriger le Maroc sans aucun contrepouvoir, conduise à un scénario à la turque, où Daech finira par obtenir une majorité et menacer les institutions existantes ».

Ce qui est bon pour l’un (est bon pour l’autre)...

Le palais et le PJD opèrent comme des « forces qui se légitiment mutuellement », prétend Vish Sakthivel, membre du programme pour le Moyen-Orient de l’Institut de recherche en politique étrangère et expert en islam politique au Maroc.

« Benkirane est coutumier de cette pratique peu conventionnelle de rendre publiques les tensions avec le palais, peut-être pour attirer discrètement l’attention du public sur les interférences du palais », suppose Sakthivel.

« La dernière chose que souhaite le palais, c’est se retrouver dans une situation de partage de facto du pouvoir, mais il ne veut pas non plus que ses tentatives de saper ou délégitimer les islamistes passent pour trop manifestes ou excessives », ajoute-t-elle.

« Même si une ‘’alliance’’ avec un parti authentiquement populaire favorise le maintien de la stabilité politique du pays, le palais préfèrerait largement trouver un tel arrangement avec un parti qu’il puisse contrôler ».

Personne ne sait combien durera encore cette impasse politique, puisque la constitution du pays n’impose pas un calendrier spécifique pour la formation d’un gouvernement par le Premier ministre.

Quant au fonctionnement du pays privé de gouvernement, les observateurs ont affirmé que le statu quo perdurera.

« Reste le problème du gouvernement ‘’réel’’, proche du palais », déplore Abdelmoumni, faisant allusion aux conseillers du roi. Cette structure persiste indépendamment de l’existence ou de l’inexistence d'un gouvernement officiel ».

Traduction de l’anglais (original) par [email protected].

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