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Qu’implique la coopération russo-américaine pour la guerre en Syrie ?

La rencontre entre Barack Obama et Vladimir Poutine a fait naître la possibilité d’une coopération entre les États-Unis et la Russie dans la lutte contre le groupe EI en Syrie

Maintenant que Vladimir Poutine et Barack Obama se sont rencontrés officiellement pour la première fois depuis deux ans, quelle tournure va prendre la guerre syrienne ?

La vague conversation des deux hommes à propos d’une coordination fera-t-elle une différence pour les lignes de front entre l’armée syrienne et les forces du groupe État islamique (EI) ?

Les Kurdes syriens, soutenus par les États-Unis, veulent repousser le groupe EI du dernier point de passage vers la Turquie, bloquant ainsi le flux de volontaires du groupe EI. Ce projet peut-il réussir ?

Pour le moment, ces questions restent ouvertes. En revanche, il est évident que Poutine a eu une semaine productive. Si le bon timing est la marque d’un grand tacticien, alors sa décision de prendre l’initiative en ce qui concerne la Syrie était un coup de maître.

Au moins quatre facteurs avaient préparé le terrain pour faire de la Syrie le thème dominant à l’Assemblée générale des Nations unies et donner la chance à Poutine de se démarquer de la foule des dirigeants, Obama inclus.

Tout d’abord, le fait qu’un petit nombre de musulmans de presque tous les pays européens sont partis rejoindre les rangs du groupe EI a fait la une des tabloïdes au cours des derniers mois, accentuant les craintes des conséquences néfastes en cas de retour.

Ensuite, comme jamais ces quatre dernières années, la vague soudaine de réfugiés syriens risquant leur vie pour atteindre l’Europe a sensibilisé les responsables politiques européens à la nécessité d’aller à la source du désespoir dans le pays et d’aider à mettre fin à la guerre civile.

Puis, il a été révélé que le programme américain visant à former une force rebelle laïque pour affronter l’armée de Bachar al-Assad n’était parvenu à générer que quelques combattants.

Enfin, les think tanks et de nombreux gouvernements occidentaux ont commencé à réaliser deux choses : aucune solution politique ne pourrait être négociée pour la Syrie si la démission d’Assad est un prérequis ; les institutions de l’État syrien et son armée doivent être préservées d’une manière ou d’une autre, indépendamment de ce qui arrive à Assad, si on veut éviter un chaos semblable à ce qui s’est passé après la chute des dictatures en Irak et en Libye.

Bien que ces problèmes ne soient pas nouveaux, ils se sont combinés cet été et ont atteint un seuil critique. Les gens ont senti que Washington et sa coalition contre le groupe EI pataugeaient et qu’il fallait revoir la façon de penser.

Entre alors en scène Poutine.

Le président russe avait laissé entendre il y a quelques mois qu’il assisterait à l’Assemblée générale des Nations unies cette année. Son objectif était de détourner l’attention de l’Occident sur l’implication militaire russe en Ukraine et de montrer qu’il n’était pas intimidé par les sanctions et les autres efforts visant à l’isoler.

Cependant, il a décidé que la meilleure façon d’y parvenir dans le cadre d’une réunion internationale serait de ne pas se concentrer sur l’explication de sa façon de penser en ce qui concerne l’Ukraine pour ne pas avoir l’air d’être sur la défensive.

L’approche plus dynamique consistait à changer l’ordre du jour de la réunion de l’ONU, de proposer des solutions inattendues et de prendre des initiatives sensationnelles qui pourraient les provoquer. Malgré tout le bruit que l’OTAN fait au sujet de la crise en Ukraine, le nombre de victimes civiles causées par celle-ci en un an et demi équivaut à peu près au nombre de tués en Syrie en moyenne chaque mois.

La Syrie est clairement la crise la plus importante et, afin d’attirer l’attention sur celle-ci et sur la capacité de la Russie à l’influencer, Poutine s’est tourné vers son instrument de prédilection : le hard power (puissance de coercition).

En envoyant des chars, des avions et des armes sophistiquées russes en Syrie et en y augmentant le nombre de conseillers russes, il a réussi à ce que tout le monde en parle. À la différence de l’intervention en Ukraine, ce n’était pas une intervention déguisée, mais un étalage délibéré de matériel et de troupes que Poutine tenait à montrer au monde.

Il a pris soin de dire que la Russie n’engagerait pas ses forces terrestres dans la bataille, mais il a été moins clair sur l’implication éventuelle de l’aviation russe [le parlement russe a finalement autorisé l’usage de la force aérienne en Syrie mercredi 30 septembre]. En outre, la Russie fournirait certainement de meilleures armes aux forces aériennes et terrestres syriennes.

Bien que les médias aient fait grand cas du supposé soutien inconditionnel de Poutine à Bachar al-Assad, les commentaires du dirigeant russe ont été soigneusement formulés de manière à suggérer qu’il désirait un changement radical. Il a évoqué la nécessité de réformes et de transformations en Syrie, notamment dans une interview sur CBS avant de partir pour New York.

« Il n’y a pas d’autre solution à la crise syrienne que de renforcer les structures gouvernementales efficaces et de les aider dans la lutte contre le terrorisme, tout en les exhortant à engager un dialogue positif avec l’opposition rationnelle et à conduire des réformes », a-t-il dit.

Quant à l’aide russe au gouvernement et à l’armée syriens, « nous le faisons dans l’espoir que la Syrie entreprendra la transformation politique nécessaire pour le peuple syrien ».

Alors, quelle tournure va prendre la guerre maintenant ?

Depuis son lancement il y a un an, la campagne de bombardement américaine n’a pas émoussé la capacité de combat du groupe EI. L’automne dernier, ce dernier a été bloqué et n’a pas été en mesure d’avancer de Mossoul à Erbil, la capitale du gouvernement régional du Kurdistan irakien, toutefois il a compensé en prenant Ramadi en Irak et Palmyre en Syrie cette année.

Succès kurdes dans le nord de la Syrie

Là où le front contre le groupe EI s’en sort le mieux, c’est dans les régions kurdes du nord de la Syrie où les « Unités de protection du peuple » (YPG) ont repoussé le groupe EI hors de Kobané après quatre mois de combats, la plus longue bataille de la guerre contre le groupe EI, puis hors de Tal Abyad.

Ces deux villes étaient des points de passage importants pour les volontaires du groupe EI et le transfert d’armes, et l’argent qui y était récolté servait à payer les combattants. Dans les deux cas, les bombardements américains ont joué un rôle majeur.

À Kobané, le groupe EI a résisté farouchement. La ville était devenue un symbole et l’EI a envoyé des centaines d’hommes pour la défendre.

Tal Abyad, en revanche, a été abandonnée sans grand combat lorsque le groupe EI a réalisé que ses lignes de communication étaient sur le point d’être coupées au sud de la ville, laissant ses forces encerclées.

Comme l’a rapporté à MEE Misro Munzir, un soldat de 21 ans qui se remettait d’une blessure à la jambe à l’hôpital militaire de Kobané après des combats à Tal Abyad la semaine dernière : « Daech [le groupe EI] n’a pas opposé une grande résistance à Tal Abyad. Les combattants expérimentés se sont retiré et seuls 25 autres sont restés. Ils ont été désorientés par les frappes aériennes. »

Le secteur de la frontière syro-turque qui relie Jarablus avec Azaz, à l’ouest de l’Euphrate, semble être l’endroit désigné pour devenir le prochain front. Selon Fuad Hussein, chef de cabinet du président kurde Massoud Barzani, les YPG ont obtenu le soutien des États-Unis pour une campagne coordonnée des forces terrestres, appuyée par les frappes aériennes, en vue de libérer la région.

« Je sais que les États-Unis se concentrent sur Jarablus afin d’entraver les mouvements des terroristes », a-t-il déclaré à MEE à Erbil. « Les États-Unis envisagent de couper toutes les routes qui mènent aux principales villes sous le contrôle du groupe EI. Les combattre dans les villes est difficile. Il est plus facile d’isoler les villes, et cet isolement peut commencer en coupant les routes. »

Interrogé pour savoir si le soutien militaire américain pour la prise du dernier point de passage entre la Turquie et la Syrie, contrôlé par le groupe EI, montrait un manque de confiance quant à la capacité de la Turquie à fermer elle-même la frontière aux militants du groupe EI, Hussein a répondu : « Ce n’est pas ce que je dis. Une bonne coopération règne entre la Turquie et les États-Unis. »

Il a laissé entendre que la Turquie avait garanti à Washington qu’elle ne bombarderait pas les forces des YPG lorsqu’elles attaqueraient la région de Jarablus-Azaz.

Si le front de Jarablus constitue une bataille imminente, les alentours de Palmyre en sont peut-être un autre. Les médias publics syriens ont affirmé la semaine dernière avoir pris deux villages à l’ouest de Palmyre qui étaient tombés aux mains du groupe EI.

Coordination avec l’armée syrienne ?

Il serait logique que l’armée syrienne poursuive son avancée. Des avions syriens ont bombardé la ville de Palmyre à plusieurs reprises au cours des dernières semaines.

Un test clé de la coordination américano-russe serait alors que les Russes alertent le Pentagone d’une avance planifiée par l’armée syrienne afin que les aviations syrienne et américaine prévoient les cibles de leurs bombardements.

Des avions syriens et des avions américains ont survolé simultanément différentes parties d’Hassaké, une ville du nord de la Syrie divisée en une zone contrôlée par le gouvernement et une plus grande zone contrôlée par les YPG, lorsqu’elle a été attaquée par le groupe EI en juillet, selon des témoins qui se sont confiés à MEE la semaine dernière.

La géographie de la ville n’impliquait pas de coordination particulière entre les deux armées de l’air. En revanche, cette coordination serait nécessaire en cas d’opération pour libérer Palmyre.

La campagne de bombardement américain a contraint le groupe EI à revoir sa tactique. Au lieu de faire avancer des centaines de combattants dans des véhicules, il recourt de plus en plus à des tactiques utilisées pendant la guerre en Irak il y a dix ans : attentats-suicides au moyen de voitures piégées et d’individus à pied.

La région kurde du nord de la Syrie a été secouée par de nombreuses explosions ces dernières semaines, trois en une semaine rien qu’à Hassaké. En juin à Kobané, le groupe EI a infiltré des dizaines de combattants portant l’uniforme des YPG qui ont massacré plus de 200 civils à la fois pour se venger de leur défaite plus tôt et montrer qu’ils sont encore puissants.

En Irak, le groupe EI a perdu du terrain à l’ouest de Kirkouk au cours des derniers mois. Cependant, Fuad Hussein, le chef de cabinet du président kurde, ne se fait aucune illusion sur le danger que continue de représenter le groupe EI. Il s’entretient régulièrement avec les diplomates et les généraux américains.

« La présence de Daech à Mossoul constitue une menace pour nous. Ils peuvent facilement se réorganiser et se déplacer d’un endroit à l’autre. S’ils arrivent à obtenir plus d’armes et à augmenter leurs effectifs, ils quitteront Mossoul. Ils sont devenus plus faibles. Ils perdent du terrain et beaucoup de matériel, mais ils peuvent encore se déplacer dans la moitié de la Syrie », a-t-il affirmé.

Reste à voir si une coordination américano-russe peut affaiblir le groupe EI.


Photo : rencontre du président américain Barack Obama et du président russe Vladimir Poutine lors d’une conférence du G8 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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