Retour du Maroc à l’Union africaine : un impact imprévisible
Le retour du Maroc au sein de l’Union africaine (UA), validé lundi 30 janvier par le sommet d’Addis-Abeba, est présenté par chacun des protagonistes comme une petite victoire, mais il s’agit d’abord d’une victoire du bon sens.
Certes, le Maroc peut dire que cette réintégration constitue l’aboutissement d’une offensive soigneusement menée depuis de longs mois. Certes, l’Algérie peut rappeler que le Maroc est revenu par la petite porte, en présentant une demande d’adhésion en bonne et due forme.
La République arabe sahraouie démocratique (RASD) peut, elle aussi, souligner que le Maroc s’est plié formellement aux règles et textes de l’Union africaine, dont celui du respect des frontières héritées à l’indépendance. Brahim Ghali, président de la RASD, peut même pousser le plaisir plus loin encore, en parlant comme chef d’un État fondateur de l’Union et qui, à ce titre, souhaite la bienvenue à un nouvel adhérent.
Cette perspective peut ouvrir une nouvelle fenêtre pour débloquer une situation intenable pour tous, à des degrés divers
Mais si on met de côté le volet communication, terrain sur lequel le Maroc garde une longueur d’avance, le constat est là, implacable : depuis que le Maroc a quitté l’Organisation de l’union africaine (OUA), il y a trois décennies, la question sahraouie a non seulement peu avancé, mais elle a largement participé à bloquer le Maghreb.
Ce qui a amené chaque partie à faire son propre bilan, pour se rendre compte de l’évidence : non seulement chacun peut tirer avantage du retour du Maroc au sein de l’unité africaine, mais cette perspective peut ouvrir une nouvelle fenêtre pour débloquer une situation intenable pour tous, à des degrés divers.
Situation verrouillée
Intenable d’abord pour les Sahraouis. La situation de « ni paix ni guerre » les met dans une impasse. La vie des réfugiés est très dure, de nouvelles générations arrivent aussi bien dans les camps de réfugiés que dans les territoires contrôlés par le Maroc, mais leur cause avance trop lentement. De petites victoires, comme le refus de l’Europe d’inclure les territoires sahraouis dans l’accord de coopération avec le Maroc, ne compensent pas le fait que l’impact sur le terrain est mineur.
De son côté, le Maroc étouffe. La géographie ne l’a pas gâté : il est bordé par l’océan à l’ouest, la mer au nord, le désert au sud, et à l’est, l’Algérie, un voisin peu accommodant, avec une frontière fermée depuis vingt-trois ans. Les trafics organisés autour de cette frontière ne peuvent compenser le manque à gagner qu’elle pourrait générer.
Ce qui a amené le Maroc à mener une campagne, très réussie, sur le « coût du non Maghreb », mettant l’Algérie en accusation sur ce dossier. Dès lors, le roi Mohamed VI peut exprimer un sentiment de satisfaction mêlée de soulagement : « Il est beau, le jour où on rentre chez soi », a-t-il dit dans son premier discours à l’Union africaine.
Quant à l’Algérie, qui pouvait se targuer d’avoir tenu face au terrorisme, avant de connaître une embellie financière qui lui a permis de se renforcer sur le plan militaire, elle n’en restait pas moins ligotée. Elle ne pouvait ni se mouvoir librement dans son espace régional naturel, ni tirer profit des perspectives économiques qu’il pouvait offrir.
Succès individuels, échec collectif
En fait, personne ne voulait l’admettre publiquement, mais tout le monde était dans l’impasse. Depuis quatre décennies, la diplomatie algérienne a inscrit l’indépendance du Sahara Occidental comme un de ses objectifs majeurs. Un soutien tous azimuts au Front Polisario a permis d’obtenir des résultats significatifs : un conflit armé de quinze ans entre le Maroc et le Front Polisario, entre 1975 et 1988, a contraint le Maroc à négocier, alors que la République arabe sahraouie démocratique, proclamée en 1976, admise à l’OUA en 1983, réussissait une percée remarquable au niveau africain, plus timide dans le reste du monde.
L’Algérie avait choisi de porter son action diplomatique sur l’arène africaine. Non sans succès. L’admission de la RASD à l’OUA, ancêtre de l’Union africaine, a contraint le Maroc à en claquer la porte.
Le roi Hassan II avait fait un autre choix : face à la guerre imposée par le Polisario, il a utilisé l’affaire du Sahara Occidental pour cimenter l’unité nationale
Côté marocain, le roi Hassan II avait fait un autre choix : face à la guerre imposée par le Polisario, il a utilisé l’affaire du Sahara Occidental pour cimenter l’unité nationale, tout en offrant à l’armée marocaine un terrain qui lui éviterait de trop se préoccuper de politique interne.
Mais l’impasse était là. Chaque pays était obsédé par la situation à la frontière avec son voisin. La frontière algéro-marocaine était fermée, et toute perspective de solution semblait hors d’atteinte. Il n’y avait pas de victoire militaire en vue. Malgré ses difficultés internes, le Maroc tenait bon.
Petits bonds
Sur le terrain, donc, la situation restait bloquée. Jusqu’au sommet maghrébin de 1988. Les pays du Maghreb décidaient alors de se lancer dans la construction de l’Union du Maghreb arabe (UMA), et de contourner ainsi le conflit sahraoui, espérant qu’une dynamique maghrébine permettrait de débloquer la situation. Chacun avait ses arrière-pensées.
Le Maroc espérait qu’une dynamique maghrébine permettrait de normaliser sa présence au Sahara Occidental, alors que l’Algérie et le Polisario pensaient qu’une détente permettrait de mettre fin aux crispations et d’ouvrir de nouvelles pistes.
L’attitude du roi Hassan II du Maroc semblait leur donner raison, en montrant des dispositions à jouer la carte de la détente : en 1989, il nouait des contacts directs avec le Front Polisario, dont il recevait les dirigeants, une année après l’ouverture de la frontière algéro-marocaine, en 1988.
Cette détente relative permettait de faire avancer le dossier, avec un accord de façade sur le principe d’autodétermination. Le Maroc acceptait, dans la foulée, que les Nations unies prennent en charge le dossier, avec notamment la désignation d’un représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, et l’envoi de troupes sur place, la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental (MINURSO), ce qui marquait un tournant dans le conflit : celui-ci passait sous la coupe de l’ONU. Mais le conflit butait sur le différend concernant les populations appelées à voter.
Crispations
La disparition de Hassan II provoquait de nouvelles crispations, le nouveau souverain ne pouvant rapidement prendre des initiatives, de peur d’être accusé de céder là où son père avait tenu bon.
Le conflit, aggravé par une nouvelle fermeture des frontières algéro-marocaines en 1994, s’est de nouveau enlisé. La question revenait de manière routinière dans les conférences régionales et internationales, et lors des tournées routinières de l’envoyé spécial de l’ONU, mais sans marquer d’évolution majeure.
Le Front Polisario a alors manifesté son irritation. Tout en prenant un virage assez novateur – défense des droits de l’homme, utilisation des réseaux sociaux, mobilisation de militants sahraouis dans les villes du Sahara Occidental, etc. – le front Polisario a laissé entendre qu’il envisageait revenir à la lutte armée si la situation de blocage persistait.
Le Maroc misait sur le temps et la lassitude pour imposer un fait accompli. Mais il perdait au change : la fermeture de la frontière avec l’Algérie lui coûtait au moins un point de croissance, selon des spécialistes, alors que les perspectives de construction du Maghreb s’éloignaient.
Le Maroc qui caressait le rêve de coller à l’Europe ou au Conseil de coopération du Golfe (CCG) a été rattrapé par la géographie : il ne peut avoir pour voisins que l’Algérie et l’Afrique
Dans le même temps, le Maroc constatait son isolement en Afrique, un terrain d’extension économique prometteur. Sans perspective à l’est, le Maroc découvrait aussi que l’Afrique se révélait aussi comme un possible terrain de repli, lui qui avait, un moment, caressé le rêve de coller à l’Europe ou au Conseil de coopération du Golfe (CCG), avant d’être rattrapé par la géographie : il ne peut avoir pour voisins que l’Algérie et l’Afrique.
Ce qui explique le revirement, engagé depuis plusieurs années par le Maroc pour s’investir en Afrique, une option toutefois bloquée par son absence au sein de l’Union africaine.
Corriger une anomalie
De ce point de vue, le retour du Maroc au sein de l’Union africaine constitue d’abord l’effacement d’une anomalie. Quitte à siéger dans une même enceinte que la RASD, Rabat ne pouvait qu’y gagner.
De leur côté, l’Algérie et le Polisario ne pouvaient s’y opposer frontalement. Ils pouvaient se contenter d’exiger un minima, facile à obtenir : que le Maroc revienne en se pliant aux règles de l’UA, y compris en cohabitant avec la RASD.
L’adhésion du Maroc est acceptée, mais dans un cadre verrouillé
Pour bien marquer son territoire, et montrer qu’elle reste maître du jeu au sein de l’Union africaine, l’Algérie imposait ses choix. Les candidats qu’elle soutenait étaient validés : Ismaïl Chergui au Conseil de la paix, et le Tchadien Moussa Faki Mahamat à la commission exécutive.
Le président Abdelaziz Bouteflika, malgré son absence et sa maladie, était élu symboliquement à la vice-présidence de Union africaine. Ce qui montre que l’adhésion du Maroc est acceptée, mais dans un cadre verrouillé.
Lever un tabou
Addis-Abeba n’est cependant qu’une étape. Chacun se prépare pour les prochaines joutes. Pour le Maroc, il s’agira soit de mener une guerre diplomatique pour reconquérir le terrain perdu, ce qui risque d’entrainer l’Union africaine dans de nouvelles et interminables batailles ; soit de s'engager sur un terrain qui permettrait des ouvertures, en utilisant les résolutions de l’Union africaine comme point de départ pour une nouvelle politique.
Sans trop d’illusions, le président de la RASD, Brahim Ghali, a souhaité que cette orientation se concrétise, affirmant que le moment est venu d’organiser un référendum au Sahara Occidental.
Pour les dirigeants sahraouis, la présence de responsables marocains dans les différentes institutions africaines permettra peut-être de multiplier les contacts, de décrisper les relations et de lever un tabou. Est-ce suffisant pour créer une nouvelle dynamique susceptible d’aboutir à une solution définitive ?
C’est le pari, même un peu forcé, que tente l’Algérie, et dans lequel le Maroc pourrait s’engager. Ce qui signifierait que les deux pays seraient prêts à gérer des situations mouvantes, eux qui ont excellé, jusque-là, à gérer le statu-quo.
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