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Arabie saoudite : « Vision 2030 » à l’épreuve du COVID-19

L’épidémie de coronavirus ayant entraîné une baisse de la demande de brut, l’Arabie saoudite a été contrainte de réexaminer ses prévisions, adoptant des mesures de rigueur inédites face à une contestation croissante
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane donne une conférence de presse sur son plan de réforme économique, connu sous le nom de Vision 2030, à Riyad, le 25 avril 2016 (AFP)

Neom, pour Neo Mostaqbal (nouveau futur). Il s’agit du nom du projet pharaonique de mégalopole futuriste qui devrait voir le jour au nord-ouest de l’Arabie saoudite, dans la province de Tabuk, sur la côte de la mer Rouge.

Amorcé par le prince héritier Mohamed ben Salmane (MBS) dans le cadre de Vision 2030, son plan de développement et de modernisation de l’économie visant à affranchir le royaume de la rente pétrolière, Neom était supposée concurrencer Dubaï au titre de Honk Kong du Moyen-Orient.

Avec une superficie de 26 500 km², soit vingt fois Los Angeles, ce projet avait pour objectif de stimuler l’investissement dans le pays via le divertissement et le tourisme, en augmentant la part du secteur privé et en réduisant considérablement celle du secteur public.

Or, la pandémie de COVID-19 a causé des répercussions conséquentes sur l’économie du pétro-État, à tel point que ce dernier a été contraint de réexaminer ses prévisions économiques et financières.

Une économie fortement affectée par la pandémie

Si le royaume a effectivement su juguler sur le plan sanitaire la pandémie de COVID-19, notant environ 105 000 cas et près de 800 morts, l’économie du pays, considérablement dépendante du pétrole, a été sensiblement affectée, notamment du fait de la baisse de la demande chinoise, qui absorbe d’ordinaire près d’un cinquième de la production régionale.

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Ce faisant, les craintes liées à la pandémie de COVID-19 ont eu des effets importants sur l’économie du premier exportateur mondial de pétrole. En effet, les événements ont généré un effondrement spectaculaire de la demande mondiale et des prix du brut, en plus de fermer les portes de La Mecque à quelques semaines du traditionnel hadj.

Après une bataille des prix du pétrole, l’Arabie saoudite a conclu un accord avec l’OPEP, la Russie et d’autres pays producteurs de pétrole prévoyant une réduction de la production mondiale à 9,7 millions de barils par jour.

Cependant, la propagation du coronavirus avait d’ores et déjà fortement freiné la croissance économique dans le monde. Le gouvernement saoudien a aussitôt adopté un ensemble de mesures, représentant un endettement supplémentaire de près de 60 milliards de dollars alors que le déficit budgétaire ne cesse de croître depuis 2014.

L’Arabie saoudite n’a de surcroît pas été épargnée par le ralentissement général de l’activité relatif aux mesures de confinement, ainsi que par les dépenses publiques supplémentaires dans le secteur de la santé.

Faisant état d’un déficit de 9,07 milliards de dollars au premier trimestre de l’année, le royaume a annoncé un plan de soutien à l’économie comportant un certain nombre de mesures visant à limiter les répercussions économiques et sociales au moment où un grand nombre de jeunes Saoudiens s’apprêtent à entrer sur le marché du travail.  

Compte tenu des récents événements et des dépenses militaires significatives, les vastes réserves financières du royaume ne seront pas reconstituées de sitôt

À cet égard, le gouvernement saoudien prévoit d’accélérer son plan de diversification de l’économie et ses mesures d’austérité d’ores et déjà engagées. Le ministre des Finances, Mohamed al-Jadaan, a ainsi dévoilé le triplement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), de 5 à 15 %,  à compter du 1er juillet, et l’arrêt du versement des allocations mensuelles aux citoyens.

Alors que cette campagne d’austérité pourrait selon le ministère des Finances gonfler les coffres de l’État saoudien de 100 milliards de riyals (26,6 milliards de dollars), elle pourrait également être néfaste pour la consommation intérieure à un moment où certains États ont au contraire opté pour des versements directs aux populations afin de soutenir leur pouvoir d’achat et éviter l’effondrement de la consommation.

Vision 2030 à l’épreuve de la récession

D’une ampleur inédite pour le pays, la crise apparaît comme une véritable épreuve pour le jeune prince héritier, apparu comme le successeur potentiel du roi Salmane en 2017 avec une pléthore de promesses de réformes économiques et sociales, mais dont le mandat a été teinté d’une tendance autoritaire lors notamment de l’intense vague d’arrestations de 2017 et 2020 et de l’opération contre le journaliste Jamal Kashoggi.

En outre, le ralentissement de l’activité en Arabie saoudite induit une réduction des dépenses pour les projets initiés dans le cadre du programme Vision 2030, dès à présent amputé de 8 milliards de dollars.

Ainsi, le gouvernement saoudien « annule, étale ou reporte » certaines dépenses liées aux grands projets de développement, notamment Neom, qui pourrait ne pas voir le jour d’ici à 2025.

La méga-cité futuriste, animée par des équipes de McKinsey, Boston Consulting et Oliver Wyman pour un budget de 500 milliards de dollars, était pourtant le joyau du portefeuille post-pétrolier avec un objectif d’un million d’habitants d’ici 2030.            

Chantier de construction d’une section du métro financé dans le cadre du programme Vision 2030, dans la capitale saoudienne Riyad en mai 2016 (AFP)
Chantier de construction d’une section du métro financé dans le cadre du programme Vision 2030, dans la capitale saoudienne Riyad en mai 2016 (AFP)

Malgré les difficultés associées au déploiement de Vision 2030, l’Arabie saoudite conserve sa place de « producteur mondial », un avantage de marché dont elle a fait preuve lors de sa guerre des prix avec la Russie en mars dernier.

Les réserves financières du royaume demeurent importantes et sa capacité à emprunter sur les marchés internationaux pourra éventuellement lui permettre de couvrir les besoins budgétaires pendant un certain temps.

Toutefois, compte tenu des récents événements et des dépenses militaires significatives, les vastes réserves financières du royaume, constituées lors du boom pétrolier de 2003-2014, ne seront pas reconstituées de sitôt.

Le risque de contestation tribale

Le gouvernement pourrait en outre être dans l’obligation de repenser les généreux programmes de protection sociale et les importantes subventions accordées aux chefs tribaux qui ont su se montrer fidèles en soutenant la famille dirigeante depuis son accession au pouvoir.

La dynastie a en effet fourni un soutien financier et accordé une légitimité politique aux dirigeants des communautés tribales dans le cadre d’un accord de longue date visant à maintenir un contrôle sur les étendues peu peuplées du pays.

Une érosion du contrat social entre les dirigeants politiques et les gouvernés entraînerait des conséquences politiques et sécuritaires tangibles

Une érosion du contrat social entre les dirigeants politiques et les gouvernés entraînerait des conséquences politiques et sécuritaires tangibles.

Dans la province côtière de Tabuk, où Neom émergera du désert, la contestation tribale s’est intensifiée ces derniers temps. Présentée comme une ville respectueuse de l’environnement et axée sur la technologie, Neom a déclenché une vague de réactions négatives à la suite de l’expulsion forcée de tribus qui vivaient dans la région depuis plus de 800 ans, notamment les Howaitat.

La ville a fait la une des journaux en avril lorsqu’un citoyen saoudien, Abdul-Rahim al-Howaiti, a refusé son expropriation pour faire place à la construction du projet. Il a été abattu, quelques jours plus tard, par les forces de l’ordre, qui l’ont accusé de « terrorisme ».

Témoignant d’une contestation tribale croissante, cet incident fait écho à l’arrestation de plusieurs membres de la célèbre tribu des Ikhwan, fidèle aux préceptes du cheikh Abdelwahhab, prédicateur revivaliste du Nejd à l’origine de la doctrine wahhabite adoptée par le royaume.

Ainsi en octobre dernier, Faisal ben Sultan ben Jahjah ben Humaid, cheikh des Utaybah (tribu des Ikhwan), a été arrêté à la suite de la publication d’une série de tweets dénonçant les dépenses de Turki al-Sheikh par le biais de l’Autorité du divertissement, à hauteur de centaines de millions de fonds publiques, alors que de nombreux habitants du pays vivent endettés.

De même, le cheikh Abdulrahmane al-Mahmoud, ancien membre du corps professoral de l’Université islamique Imam Muhammad Ibn Saoud, a été détenu à son tour en octobre dernier en raison de critiques émises sur twitter à l’égard de l’Autorité, considérant que les événements organisés portaient atteinte à la foi islamique.

Mohammed ben Salmane joue sa survie ?

Si le pouvoir politique saoudien tente de « moderniser » le pays sur le plan des mœurs sans manifestement prendre en considération les risques de rejet populaire et clérical, cela pourrait générer des divisions nationales susceptibles de se refléter dans une opposition plus vive entre les différents clans.

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Mohammed ben Salmane doit en effet s’attirer les faveurs de deux franges de la population afin de consolider sa capacité à gouverner l’Arabie saoudite, à savoir les confédérations tribales et les moins de 30 ans. Or, les tribus sont désormais contraintes de participer au développement privé des terres qu’elles occupent, sans quoi elles seront en contentieux avec l’État.

Le prince héritier se dresse au sommet d’une structure politico-administrative relativement fragile dont les programmes de protection sociale et les accords avec les tribus seront certainement difficiles à maintenir si les prix du pétrole ne sont pas de nouveau en faveur du pétro-État.

L’objectif de modernisation et d’évolution contemporaine des mœurs ne saurait en outre être atteint sans un modèle économique et social efficient et juste, et un épanouissement social généralisé.

Néanmoins, la crise économique n’a pas pour autant menacé la place de MBS à la succession au trône. Tant que son père demeure en vie, sa position de favori à la succession semble soutenue.

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