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« Personne ne peut parler » : dix ans après, le mouvement pro-démocratie bahreïni a été écrasé

Le sentiment d’optimisme qui animait les manifestants pro-démocratie il y a dix ans a été anéanti, et les gouvernements étrangers continuent de fermer les yeux sur une décennie de répression
Selon certaines estimations, jusqu’à 100 000 personnes s’étaient rassemblées au rond-point de la Perle le 23 février, soit environ un sixième de l’ensemble des ressortissants du pays, ce qui en fait la plus grande manifestation par habitant du Printemps arabe (AFP)

Dans son livre Une Terre promise, l’ancien président américain Barack Obama revient sur ses années en tant que leader du monde libre, au moment où le Maghreb et le Moyen-Orient s’enflammaient et connaissaient une vague de manifestations qui allaient être baptisées « Printemps arabe ».

Il y évoque comment il a tenté d’obtenir le retrait de l’ancien dirigeant égyptien Hosni Moubarak quand le soulèvement de 2011 semblait prêt à renverser son régime, malgré la relation solide du président avec les États-Unis. Après son éviction, il note qu’il était « prudemment optimiste » quant à l’avenir du pays.

Quand le Printemps arabe a submergé deux autres nations (la Libye et la Syrie), il a lancé ou menacé de lancer plus franchement des interventions militaires pour éliminer les autocrates de longue date. Au Yémen, il a contribué à superviser une transition pour destituer une autre administration mal en point.

Mais en ce qui concerne Bahreïn, le petit royaume du Golfe qui, malgré sa taille, avait réussi à faire la une avec des manifestations de masse contre la dynastie des Khalifa, Obama est clair sur la position des États-Unis.

« De concert avec les Saoudiens et les Émiratis, le régime de Bahreïn allait nous forcer à faire un choix, et tous étaient conscients que, le moment venu, nous ne pouvions nous permettre de mettre en péril notre position stratégique au Moyen-Orient en rompant nos relations avec trois pays du Golfe », écrit-il.

Des milliers de manifestants anti-gouvernementaux se rassemblent sur le rond-point de la Perle dans la capitale bahreïnie Manama, le 15 février 2011 (AFP)
Des milliers de manifestants anti-gouvernementaux se rassemblent sur le rond-point de la Perle dans la capitale bahreïnie Manama, le 15 février 2011 (AFP)

Au cours des dix années qui se sont écoulées depuis que des manifestations en faveur de la démocratie ont éclaté à Bahreïn, pays d’à peine plus de 600 000 habitants coincé entre deux voisins beaucoup plus puissants (l’Arabie saoudite et le Qatar), le gouvernement a brutalement écrasé toute dissidence tandis que les puissances mondiales ont largement regardé sans rien faire.

La « Journée de la colère » du 14 février 2011 qui a marqué le début des grandes manifestations à l’échelle du pays a vu des dizaines de milliers de personnes affluer dans les rues pour réclamer des réformes démocratiques, la fin de la discrimination à l’encontre de la majorité chiite et, enfin, la fin des 245 années de règne de la Maison des Khalifa.

Aujourd’hui, les personnalités qui ont mené ces manifestations et ont été saluées comme l’avenir de la démocratie dans le Golfe sont en prison, réduites au silence, en exil ou décédées.

Celle qui était autrefois considérée comme peut-être la nation du Golfe la plus libérale et la plus pluraliste est aujourd’hui qualifiée d’« État policier » par les militants.

Le groupe de campagne basé à Londres Bahrain Institute for Rights and Democracy (BIRD) a compilé un nouveau rapport et l’a partagé avec Middle East Eye avant sa publication à l’occasion du 10e anniversaire du soulèvement ce lundi. On y lit que, depuis 2011, au moins 51 personnes ont été condamnées à mort à Bahreïn.

Seules neuf exécutions ont eu lieu entre l’indépendance de l’État en 1971 et 2017, contre six dans les deux ans et demi qui ont suivi. On dénombre actuellement 27 personnes dans le couloir de la mort dans le royaume, dont 26 qui risquent une exécution imminente.

On estime à environ 4 000 le nombre de prisonniers politiques au sein du système carcéral très étendu, tandis que la torture est monnaie courante.

Un militant et avocat bahreïni de premier plan, qui a déjà été incarcéré et a requis l’anonymat afin de ne pas encourir une autre peine, confie à MEE que même les critiques les plus modestes sont impitoyablement éradiquées dans le royaume.

« Nous ne pouvons pas parler. Vous ne trouverez pas une seule société ou un seul mouvement, ou une association de femmes ou une association professionnelle ou juridique en mesure d’opérer à Bahreïn », détaille-t-il.

« Il n’y a pas de société qui puisse organiser la moindre conférence, le moindre rassemblement ou une réunion quelconque, sauf approbation du régime. »

Il aimerait continuer à parler ouvertement des injustices à Bahreïn mais estime qu’il risquerait la prison. « J’ai des enfants », se justifie-t-il.

« Vous ne trouverez pas une seule société ou un seul mouvement, ou une association de femmes ou une association professionnelle ou juridique en mesure d’opérer à Bahreïn »

- Avocat et militant

S’adressant à MEE depuis sa prison, où il a déjà passé huit ans pour avoir participé à des manifestations en faveur de la démocratie, Ali Hussain Haji affirme lui aussi que la situation à Bahreïn est actuellement la pire depuis 2011.

Il décrit la torture et les abus comme étant encore monnaie courante à la prison centrale de Jau, où il a passé la majeure partie de sa peine. Depuis son arrestation en 2013, la brutalité qu’il a subie l’a laissé avec une surdité partielle et des lésions permanentes à la mâchoire et aux testicules, ainsi qu’une fracture du nez qui a nécessité deux opérations.

« Mon expérience de ces huit ans de prison, c’est la maltraitance et la violence physique et mentale en tant que mesures punitives », rapporte-t-il par téléphone à MEE.
 
« Il y a discrimination à l’encontre des prisonniers politiques – cette discrimination implique le manque de soins corrects, ce qui met en péril la vie de nombreux prisonniers politiques. »

Dix ans plus tard, la situation des militants pro-démocratie dans le pays peut sembler assez sombre, tandis que les problèmes qui ont déclenché le soulèvement initial n’ont pas disparu et que, dans la sphère privée, la colère commence à couver.

« Nous demandions des changements, des changements positifs, après plus de 240 ans », rappelle Haji.

« Maintenant, personne ne peut parler, aucune liberté d’expression – rien. »

« L’espoir était à son apogée »

Comme la plupart des États du Golfe, l’argent a commencé à affluer dans les coffres de Bahreïn après la découverte de pétrole en 1932. Au cours des décennies suivantes, l’or noir a transformé l’économie et la société du royaume, auparavant principalement basée sur la pêche perlière.

Contrairement à ses voisins, les dirigeants bahreïnis ont relativement peu tenté de s’attirer la loyauté des citoyens via le type de capitalisme rentier que les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et le Qatar ont mis en place.

La dynastie des Khalifa, qui a fondé Bahreïn en 1783, a longtemps été considérée comme entretenant une relation antagoniste avec ses sujets.

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En tant que sunnites et non-membres de l’ethnie bahrana majoritaire, le sectarisme a été considéré comme jouant un rôle central dans l’emprise de la monarchie sur le pouvoir et a contribué à des inégalités généralisées dans la distribution de la richesse et du pouvoir à travers le royaume.

Alors que les autres États du Golfe ont réussi à altérer les manifestations antigouvernementales grâce à un mélange de concessions et de répression, les dirigeants bahreïnis se sont retrouvés assis sur un baril de poudre qu’ils étaient incapables de contrôler. Ce sont finalement leurs plus grands voisins, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui ont dû envoyer leurs propres forces de sécurité pour réprimer le soulèvement en 2011.

Sayed Alwadaei, directeur de BIRD, se souvient de l’optimisme qui avait envahi les manifestants lorsque Zinedine Ben Ali à Tunis et Hosni Moubarak au Caire avaient été chassés du pouvoir.

« C’était le sentiment qui dominait dans tout le monde arabe : si cela peut être fait en Tunisie, si Hosni Moubarak peut tomber en l’espace de dix-huit jours, peut-être que les Khalifa aussi. C’est notre occasion en or », explique-t-il.

Sayed Alwadaei était présent « dès le premier jour » aux manifestations antigouvernementales et se souvient d’un mélange d’espoir et de colère parmi les manifestants, en particulier à la suite de la mort de quatre d’entre eux et des centaines de blessés aux mains des forces de sécurité le 17 février.

« En 2011, l’optimisme, l’espoir était à son apogée – il n’y avait aucune crainte malgré l’agressivité ou la sévérité avec laquelle le gouvernement pouvait recourir à la violence, les gens étaient déterminés », raconte-t-il.

« En 2011, l’optimisme, l’espoir était à son apogée – il n’y avait aucune crainte malgré l’agressivité ou la sévérité avec laquelle le gouvernement pouvait recourir à la violence, les gens étaient déterminés »

- Sayed Alwadaei, BIRD

Un Bahreïni qui travaille dans les médias (qui n’a pas souhaité être identifié par crainte de représailles) indique que même les organisateurs avaient été surpris par le taux de participation le 14 février 2011. Bien qu’il y ait eu des manifestations sporadiques dans les années 1990 et 2000, on n’avait rien vu de tel.

« La veille du 14 février, la plupart des gens ne pensait pas que cela allait se produire », rapporte-t-il à MEE.

Effrayé par les événements en Tunisie et en Égypte, le gouvernement avait déjà commencé à arrêter les militants avant l’appel à des manifestations majeures.

Quand le jour est venu, les chiffres ont parlé d’un mécontentement écrasant au sein de la population bahreïnie, avec 55 marches dans 25 lieux à travers le pays.

Les participants étaient divers et variés : des civils ordinaires aux partisans de la société conservatrice chiite al-Wefaq – alors le plus grand groupe d’opposition du royaume – et à l’organisation laïque de gauche Wa’ad, dirigée par le vétéran de la gauche sunnite Ebrahim Sharif.

À la suite du tollé successif au meurtre d’un manifestant, Ali Mushaima, par la police, des protestataires ont occupé le rond-point central de la Perle dans la capitale Manama, le 15 février.

« J’étais présent, et je peux dire que le nombre de personnes qui ont pris le rond-point ne dépassait pas les 50… Nous ne nous attendions pas à ce qu’il se passe quoi que ce soit et tout d’un coup, 50 manifestants sont apparus, ont franchi les lignes de police et l’ont pris », raconte le professionnel des médias.

« Quand ils ont pris le rond-point le premier jour, il n’y avait pas de répression, la police a reculé – ils n’avaient pas les effectifs pour le tenir. Une fois que les 50 premières personnes ont pris le rond-point, en quelques heures, nous en avions des milliers sur cette place. »

Début de la répression

Quand la répression a frappé, elle a frappé fort. Selon certaines estimations, jusqu’à 100 000 personnes s’étaient rassemblées au rond-point de la Perle le 23 février, soit environ un sixième de l’ensemble des ressortissants du pays, ce qui en fait la plus grande manifestation par habitant du Printemps arabe.

Les services de sécurité bahreïnis n’étant pas en mesure de contenir les manifestations, les forces émiraties et saoudiennes sont entrées dans le pays le 14 mars et, en quelques jours, ont dégagé le rond-point, au prix de cinq vies et de centaines de blessés et d’arrestations.

Il s’est ensuivi une campagne de répression qui s’est largement poursuivie sans relâche jusqu’à aujourd’hui.

Selon le rapport de BIRD, les procès de masse sont devenus « monnaie courante » dans le pays, avec 167 personnes condamnées en l’espace d’une seule journée en février 2019. Des centaines de militants se sont vus déchus de leur nationalité par le royaume, dont environ 300 actuellement dénaturalisés, notamment Sayed Alwadaei.

Rien qu’en 2020, dix condamnations à mort ont été confirmées par la plus haute Cour de cassation de Bahreïn, dont celles de quatre Bahreïnis condamnés pour « agitation politique ».

Des chars de l’armée bahreïnie prennent position près de la place de la Perle à Manama, le 17 février 2011 (AFP)
Des chars de l’armée bahreïnie prennent position près de la place de la Perle à Manama, le 17 février 2011 (AFP)

Le père de Maryam Alkwaja, Abdulhadi, a été l’une des premières personnalités arrêtées après le début des manifestations.

Ancien président du Bahrain Centre for Human Rights et coordinateur de la protection MENA pour Front Line Defenders, il est incarcéré depuis un peu moins de dix ans, purgeant une peine de prison à vie pour « création et gestion d’une organisation terroriste », entre autres chefs d’accusation.

S’adressant à MEE, sa fille a déclaré que sa famille n’avait accès à lui que de manière encore très sporadique.

« Il a maintenant des appels vidéo parce que depuis janvier 2020, ils ont suspendu toutes les visites familiales en raison du COVID-19 – mais cela étant dit, comme pour tout à Bahreïn, rien n’est fait d’après le protocole », explique-t-elle.

Selon certaines estimations, jusqu’à 100 000 personnes s’étaient rassemblées au rond-point de la Perle le 23 février, soit environ un sixième de l’ensemble des ressortissants du pays, ce qui en fait la plus grande manifestation par habitant du Printemps arabe

« Vous ne pouvez jamais prévoir ce qui va se passer : vous pouvez recevoir un appel cette semaine, mais pas la semaine d’après. Donc, rien n’est jamais gravé dans le marbre. »

Maryam Khawaja est elle-même devenue l’une des voix du mouvement démocratique bahreïni les plus écoutées au niveau international, un profil qui l’a forcée à vivre en exil – en raison d’une condamnation par contumace pour avoir agressé un policier.

« Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est ce qu’on pourrait appeler une impasse, mais elle va au-delà parce que c’est une situation qui ne peut pas continuer ainsi. Il y a un contrôle absolu sur tout ce qui concerne l’espace public, l’accès aux libertés et ainsi de suite », explique-t-elle.

La répression a eu notamment pour conséquence d’étouffer la pluralité politique limitée du pays. Le dirigeant d’Al-Wefaq, Ali Salman, a été arrêté en décembre 2014 puis condamné à la prison à vie. L’organisation elle-même, précédemment tolérée par la monarchie, a été officiellement dissoute en 2016.

Ebrahim Sharif, qui s’était fait connaître en tant que l’un des principaux militants pro-démocratie non chiites, a également été arrêté et a passé cinq ans en prison. Wa’ad a ensuite été interdite en 2017 au motif de liens présumés avec le terrorisme.

Nabeel Rajab, qui a cofondé le Bahrain Centre for Human Rights et est sans doute le défenseur de la démocratie le plus connu et le plus en vue du pays, a été arrêté à de nombreuses reprises à la suite des manifestations.

S’adressant à MEE en 2014, il indiquait que le monde venait de réaliser que les Bahreïnis « vivaient dans une dictature en matière de lois, de mesures, de toutes les institutions ».

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« Il est très clair pour l’opinion publique et la communauté internationale qu’il existe un pays qui discrimine et marginalise sa population indigène et qui n’a pas de système qui respecte les droits de l’homme », assurait-il.

Il a ensuite été de nouveau arrêté et condamné à deux ans de prison en 2017 pour « diffusion de fausses informations », puis cinq ans en 2018 pour « offense aux institutions nationales » et « diffusion de rumeurs en temps de guerre », en référence à l’implication de Bahreïn dans la guerre au Yémen.

Il a depuis été libéré de prison en raison d’inquiétudes concernant la propagation du COVID-19 dans les prisons.

Maryam Khawaja affirme que les autorités de Bahreïn tentent toujours de briser le moral de leurs prisonniers, par exemple en leur retirant leurs livres et leur matériel d’écriture, qui est selon elle une « torture intellectuelle » pour son père.

« Ils lui ont maintenant permis d’avoir accès à certains livres, mais pas comme avant. C’est donc un effort continu où ils essaient constamment de trouver de nouvelles façons de leur briser le moral ou de leur rendre la vie plus difficile à l’intérieur des cellules de prison. »

« Des mesures dans la bonne direction » ?

Dans le but de calmer les manifestants et de présenter une image réformatrice aux observateurs extérieurs, la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn (CEIB) a été créée par le roi à la suite des manifestations, en juin 2011.

Des milliers de témoignages ont été recueillis et l’enquête a fait état de 46 décès, 559 allégations de torture et plus de 4 000 cas d’employés licenciés pour avoir participé à des manifestations.

Les États-Unis, le Royaume-Uni ainsi que d’autres puissances étrangères ont félicité le gouvernement pour avoir mené cette enquête et ont demandé la mise en œuvre rapide des recommandations du rapport – notamment une réforme des services de sécurité et la création d’organes chargés d’engager la responsabilité de la police et du ministère de l’Intérieur.

« Le soutien des États-Unis et du Royaume-Uni est la principale raison de l’impasse politique dans laquelle se trouve Bahreïn »

Ali Hussain Haji, prisonnier

Dix ans plus tard, cependant, peu d’activistes estiment qu’une véritable réforme a été opérée et beaucoup pensent que le rapport de la CEIB visait en grande partie à permettre au gouvernement bahreïni de maintenir des relations cordiales avec ses alliés étrangers, qui pouvaient ainsi brandir un processus de réforme lorsqu’ils étaient interrogés sur le bilan du royaume en matière de droits de l’homme.

Maryam al-Khawaja qualifie la CEIB d’« artifice » et souligne qu’un grand nombre de ceux pour qui le rapport signale des actes de torture et des mauvais traitements n’ont pas vu leur situation changer après sa publication.

« Vous avez des cas avec des détails explicites sur la torture physique, psychologique et sexuelle que ces personnes ont subie, qui ont été imprimés dans un rapport approuvé par le gouvernement – et un certain nombre de ces personnes purgent encore une peine à perpétuité », déplore-t-elle.

Plus que tout autre pays, le Royaume-Uni s’efforce de protéger la réputation de Bahreïn à l’étranger. En décembre 2014, Londres a annoncé la création d’une base navale permanente dans le port bahreïni de Mina Salman, qui a été ouverte en 2018.

Le secrétaire d’État aux Affaires étrangères de l’époque, Philip Hammond, a évoqué « un moment décisif dans l’engagement du Royaume-Uni envers la région » lors de l’annonce initiale. Le même mois, Ali Salman d’al-Wefaq a été arrêté ; Amnesty International a alors dénoncé « un affront à la liberté d’expression ».

En mai 2020, le gouvernement britannique vantait encore l’idée que le Bahreïn entreprenait des réformes : le Royaume-Uni continue « de croire que Bahreïn prend des mesures dans la bonne direction pour améliorer son bilan en matière de droits de l’homme, conformément au plan du gouvernement qui s’appuie sur les recommandations de réforme énoncées dans le rapport établi en 2012 par la CEIB », a ainsi déclaré le ministre d’État Tariq Ahmed à la Chambre des communes.

À peine deux mois plus tard, les exécutions planifiées de deux manifestants, Mohamed Ramadhan et Hussain Ali Moosa, suscitaient un tollé international à la suite de procès entachés d’allégations de torture selon des groupes de défense des droits de l’homme.

Les allégations de torture dans le pays sont censées être examinées par deux organes, l’Unité spéciale d’enquête et le bureau du médiateur du ministère de l’Intérieur, pointés du doigt par le Comité des Nations Unies contre la torture pour leur inefficacité et leur manque d’indépendance. Les deux organes ont été formés et soutenus par le Royaume-Uni.

Philip Hammond (à gauche), alors secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, s’entretient avec le ministre bahreïni des Affaires étrangères Khalid ben Ahmed al-Khalifa, en 2016 dans la ville saoudienne Djeddah (AFP)
Philip Hammond (à gauche), alors secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, s’entretient avec le ministre bahreïni des Affaires étrangères Khalid ben Ahmed al-Khalifa, en 2016 dans la vill

« Le soutien des États-Unis et du Royaume-Uni est la principale raison de l’impasse politique dans laquelle se trouve Bahreïn », affirme le détenu Ali Hussain Haji.

« Ils ont soutenu la répression sécuritaire brutale et, par conséquent, tous les activistes des droits de l’homme et les leaders politiques ont été arrêtés, torturés et condamnés à de lourdes peines. »

Maryam al-Khawaja espère que la perte de prestige international à laquelle le Royaume-Uni s’est exposé après avoir quitté l’Union européenne (UE) finira par profiter aux activistes du Golfe.

« La sortie du Royaume-Uni de l’UE a été une bouffée d’air frais pour nous, car le Royaume-Uni avait une attitude extrêmement obstructionniste lorsqu’il s’agissait de demander des comptes au Conseil de coopération du Golfe [CCG] au sein de l’UE – ainsi, maintenant que le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’UE, nous espérons pouvoir accroître la pression pour que l’UE fasse réellement quelque chose », explique-t-elle.

Une crise et un changement ?

Si en pratique, Obama n’a guère contribué à engager la responsabilité du gouvernement bahreïni pour la répression du mouvement pro-démocratique, la situation pour les activistes a atteint de nouvelles profondeurs sous son successeur Donald Trump.

Les restrictions très limitées sur les ventes d’armes imposées à Bahreïn par l’administration Obama ont été levées. En mai 2017, Trump a promis une relance des relations.

« Nos pays entretiennent des relations merveilleuses, mais il y a eu un peu de tension – cependant, il n’y aura pas de tension avec cette administration », a déclaré Trump lors d’une séance photo avec le cheikh Hamad ben Issa al-Khalifa à Riyad.

« Les médias s’y intéressent parce que c’est un anniversaire, mais ceux qui sont impliqués diront qu’ils vivent cela tous les jours »

Professionnel des médias

Il a ensuite organisé la signature d’un accord de normalisation entre Bahreïn et Israël, qui a déclenché des manifestations dans le royaume.

Interrogé sur ses espoirs de changement, l’avocat qui a connu la prison pour son militantisme se montre assez catégorique.

Un de premier plan, qui a déjà été incarcéré et a requis l’anonymat

« Impossible – à moins d’un énorme changement dans l’attitude du régime, je ne sais pas ce qui pourra changer », soutient-il.

Les diplomates avec lesquels il s’est entretenu par le passé n’ont pas mâché leurs mots quant à la dynamique du pouvoir dans la région.

« Les Américains m’ont dit : “Honnêtement, nous ne pouvons pas changer les choses à Bahreïn si les Britanniques ne sont pas d’accord. Et les Britanniques ne seront pas d’accord si les Saoudiens ne le sont pas” », affirme-t-il.

« Il est clair que nos décisions politiques ont été transférées en Arabie saoudite depuis 2011 et que cela se poursuivra. »

Le paysage politique a cependant changé une fois de plus : le nouveau président américain Joe Biden (qui était vice-président sous Obama) s’est montré plus disposé à faire pression sur les gouvernements du Golfe et a annoncé début février mettre un terme au soutien actif apporté à la guerre menée par les Saoudiens au Yémen.

Assistons-nous à une nouvelle vague du Printemps arabe ?
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Dans la foulée de cette annonce, l’Arabie saoudite a semblé vouloir se débarrasser de certains cas embarrassants en matière de droits de l’homme, en libérant mercredi l’activiste féministe Loujain al-Hathloul et en commuant la peine de mort prononcée contre l’activiste emprisonné Ali al-Nimr.

La situation a également changé après la mort en novembre du Premier ministre « clivant » de Bahreïn Khalifa ben Salmane al-Khalifa, remplacé par le prince héritier, le cheikh Salmane ben Hamad al-Khalifa, qui avait participé à des négociations avec certains éléments de l’opposition au cours des protestations.

Au troisième trimestre 2020, le produit intérieur brut réel de Bahreïn a diminué de 6,9 % en glissement annuel. L’impact du COVID-19 (qui a entraîné l’instauration de nouvelles restrictions fin janvier), conjugué à l’effondrement des prix du pétrole, a fortement affecté l’économie du royaume et exacerbé l’insécurité économique que connaissaient déjà ses citoyens.

Malgré la prudence de nombreux manifestants, des témoins oculaires affirment que la police a été déployée en force dans les rues de Bahreïn la semaine dernière par crainte de troubles en amont de l’anniversaire des manifestations.

Néanmoins, en dépit de protestations sporadiques à travers Bahreïn, le professionnel des médias ne s’attendait pas à des manifestations majeures dans la mesure où de nombreux militants préfèrent attendre de voir l’issue des changements politiques.

« La plupart des gens attendent une solution politique avec le prince héritier au pouvoir – la plupart des opposants ne l’avoueront pas, mais ils fondent beaucoup d’espoir sur ce prince héritier », explique-t-il.

Il précise que les principaux partis d’opposition n’ont pas non plus lancé d’appel à manifestation, en raison des inquiétudes suscitées par la pandémie de COVID-19 dans ce minuscule pays où plus de 100 000 cas et près de 400 morts ont été comptabilisés.

De toute façon, ajoute-t-il, cette date n’est pas nécessairement d’une importance capitale pour les Bahreïnis en ce qui concerne les protestations.

« Les médias s’y intéressent parce que c’est un anniversaire, mais ceux qui sont impliqués diront qu’ils vivent cela tous les jours. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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