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Sept ans après, que reste-t-il du mouvement pro-démocratie à Bahreïn ?

Peu de choses résument mieux la plongée abrupte du royaume vers une répression quasiment totale que cela : la plupart des Bahreïnis ne peuvent même pas parler du soulèvement qu’ils ont tenté d’enclencher au cours des mois de février et mars 2011

Sept ans.

C’est la période qui s’est écoulée depuis que les protestations du Printemps arabe ont traversé le Moyen-Orient, suscitant l’espoir de réformes démocratiques dans les bastions les plus autocratiques de la région.

C’est aussi la durée de la peine de prison dont j’écoperais si j’écrivais cet article dans mon pays d’origine, Bahreïn, où il est pratiquement illégal de discuter de la façon dont le gouvernement a écrasé notre propre chapitre de ce mouvement régional. Sept ans après, peu de choses résument mieux la plongée abrupte du royaume vers une répression quasiment totale que cela : la plupart des Bahreïnis ne peuvent même pas en parler.

Une attitude conciliante

Immédiatement après le soulèvement de février 2011, la monarchie des al-Khalifa, au pouvoir à Bahreïn, s’est montrée conciliante. Le roi a établi une commission indépendante pour enquêter sur les abus commis et a même accepté ses recommandations en matière de réformes.

Les condamnations à mort prononcées par des tribunaux militaires injustes ont été commuées, les mosquées démolies de la majorité musulmane chiite ont été reconstruites et l’Agence de sécurité nationale (ASN) – la police secrète bahreïnie – a été officiellement dépossédée de son pouvoir d’enlever des dissidents à leur domicile.

Mais ces changements ont calé.

À partir de 2012, les autorités ont jeté les bases d’une restriction complète des libertés civiles à travers un réseau d’interdictions entremêlées. Insulter le roi, répandre de fausses informations, offenser les symboles nationaux, participer à des rassemblements non autorisés ou tout simplement émettre « des déclarations dénonçant l’approche adoptée par Bahreïn » sont autant d’agissements criminalisés alors que le cadre juridique draconien du pays s’est élargi jusqu’à englober toute forme de dissidence et exiger des sanctions encore plus sévères.

Bahreïn a été récompensé et non sanctionné par ses partenaires internationaux. Aux États-Unis, l’administration Trump s’est débarrassée des restrictions de l’ère Obama pour conclure des contrats d’armement de plusieurs milliards de dollars

En 2016, le gouvernement a dévoilé toute la force de ce mécanisme répressif. En quelques mois, les autorités ont arrêté l’éminent défenseur bahreïni des droits de l’homme Nabil Rajab, révoqué la citoyenneté de la plus haute figure religieuse chiite, le cheikh Issa Qassim, intensifié la discrimination antichiite en ciblant des dizaines de responsables religieux et en fermant des institutions religieuses, et dissous de force le plus grand groupe politique du royaume, al-Wefaq. (Lorsque le seul autre groupe d’opposition majeur – un cercle de gauche laïc – a exprimé son inquiétude face à la dissolution d’al-Wefaq, le gouvernement l’a également fermé.)

L’année la plus sanglante depuis des décennies

Mais c’est en 2017 que le gouvernement a complètement abandonné tout semblant de réforme en revenant sur la totalité des engagements fondamentaux qu’il avait pris en 2011. À son terme, l’année 2017 a été l’une des années les plus sanglantes vécues par Bahreïn depuis des décennies.

Le premier décret de l’année émis par le roi a rétabli le pouvoir de l’ANS, déclenchant la reprise immédiate des vieilles pratiques employées par l’une des institutions de sécurité les plus tristement célèbres du pays. Au bout de quelques semaines, le 26 janvier, des officiers masqués soupçonnés d’être des agents de l’ANS ont attaqué un sit-in pacifique autour du domicile du cheikh Issa Qassim à Diraz, tirant à balles réelles dans la foule et tuant un jeune homme de 18 ans, Mustafa Hamdan.

Après la fusillade, l’ANS a arrêté un secouriste coupable d’avoir soigné Hamdan sur place.

Au cours du même mois, le gouvernement a fait abattre par un peloton d’exécution trois personnes ayant survécu à la torture, mettant fin au moratoire de facto sur la peine de mort qui avait précédé le soulèvement de 2011. Le procès a été si profondément entaché de violations des procédures régulières qu’un rapporteur spécial des Nations unies a estimé que les exécutions qui en ont résulté étaient « extrajudiciaires » – un jugement cruellement souligné par les autorités lorsqu’elles ont envoyé les vêtements souillés de sang des défunts à leurs familles.

Ensuite, le 23 mai 2017, Bahreïn a connu son jour le plus violent depuis l’accession au trône du roi lorsque les forces de sécurité ont lancé une opération massive contre le sit-in de Diraz. À coups de fusil et de grenades lacrymogènes, les autorités ont blessé plusieurs centaines de manifestants et en ont tué cinq, dont le frère aîné du défunt Mustafa Hamdan.

Des manifestants rejettent une proposition royale de réforme, en février 2015 (AFP)

Entre-temps, Bahreïn a été récompensé et non sanctionné par ses partenaires internationaux. Aux États-Unis, l’administration Trump s’est débarrassée des restrictions de l’ère Obama pour conclure des contrats d’armement de plusieurs milliards de dollars, tandis que le Royaume-Uni a continué d’injecter des millions de livres sterling dans les prisons et la police bahreïnies.

Bénéficiant d’un feu vert au pays comme à l’étranger, l’ANS a lancé une campagne de représailles généralisée contre les activistes indépendants de la société civile, se mettant à enlever et à torturer des défenseurs des droits de l’homme tels qu’Ebtisam al-Saegh. Le roi est allé jusqu’à normaliser les tribunaux de sécurité d’urgence de 2011 en amendant la Constitution de manière à autoriser la tenue de procès militaires pour les civils, tandis que la Force de défense de Bahreïn a prononcé ses six premières condamnations à mort sous le nouveau système le jour de Noël.

Les chefs militaires tels que le cheikh Nasser ben Hamed – le fils du roi – n’ont jamais été ne serait-ce que visés par une enquête, malgré les preuves de son implication personnelle dans des actes de torture qui ont entraîné la révocation de son immunité royale au Royaume-Uni

Depuis le début, le gouvernement n’a absolument pas tenu les principaux auteurs de ces violations pour responsables de leurs crimes. Alors que des milliers de Bahreïnis ordinaires font face à un harcèlement judiciaire absurde sous toutes ses formes – et que les procureurs font preuve d’une créativité sans fin pour falsifier des chefs d’accusation contre des activistes –, le gouvernement s’est montré visiblement incapable de juger des hauts responsables ou même de mener des enquêtes à leur sujet.

Une impunité endémique

Seuls quelques responsables subalternes ont été poursuivis depuis 2011, écopant pour la plupart de peines sans commune mesure avec la gravité de leur transgression. Dans le même temps, les chefs militaires tels que le cheikh Nasser ben Hamed – le fils du roi – n’ont jamais été ne serait-ce que visés par une enquête, malgré les preuves de son implication personnelle dans des actes de torture qui ont entraîné la révocation de son immunité royale au Royaume-Uni.

Alors que le gouvernement intensifie son emprise sur la dissidence, l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes est restée particulièrement endémique. En juin 2017, les autorités ont suspendu indéfiniment Al-Wasat, le seul journal indépendant de Bahreïn, finalement contraint de cesser son activité. Al-Wasat était une cible du gouvernement depuis 2011, année au cours de laquelle l’ANS a torturé à mort son cofondateur, Karim Fakhrawi.

Il incombe à la communauté internationale de faire pression en faveur de réformes urgentes avant que le prochain soulèvement populaire à Bahreïn ne se heurte à une brutalité sans fard

Même dans ce cas, lorsque les autorités ont enquêté sur l’affaire sous la pression du public, les responsables ont été inculpés non pas pour torture – un délit passible de la réclusion à perpétuité – mais pour une infraction moins grave qui leur a garanti une peine de seulement trois ans.

De même, le mois prochain marquera le sixième anniversaire de la mort par balle du journaliste Ahmed Ismael Hassan. Bien que l’ONU ait demandé une enquête, son meurtre demeure une affaire non résolue.

Peut-être plus que tout autre facteur, c’est ce problème apparemment insoluble – auquel la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn a attribué la fameuse appellation de « culture de l’impunité » – qui entraîne la détérioration incessante de la situation des droits de l’homme à Bahreïn.

À LIRE : Le sentiment d’impunité de Bahreïn est renforcé par ses alliés et par l’Iran

Or, les autorités bahreïnies ont volontairement laissé la situation s’envenimer, voire encouragé une telle situation, et ce depuis bien avant le soulèvement de 2011. C’était l’une des raisons majeures qui avaient poussé les milliers de Bahreïnis à descendre pacifiquement dans les rues il y a sept ans pour défendre la primauté du droit.

Ce sera sans doute l’une des raisons principales qui les feront descendre dans les rues la prochaine fois.

Les dirigeants bahreïnis n’ont fait que redoubler d’engagement en faveur d’une primauté du droit grossière. Il incombe donc à la communauté internationale de faire pression en faveur de réformes urgentes avant que ce prochain soulèvement populaire ne se heurte à une brutalité sans fard.

- Husain Abdulla, originaire de Bahreïn, est le fondateur et le directeur exécutif de l’organisation Américains pour la démocratie et les droits de l’homme à Bahreïn. Il est titulaire d’une maîtrise en sciences politiques et relations internationales de l’Université d’Alabama du Sud.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Photo : des manifestants opposés au régime bahreïni affluent vers la place de la Perle, à Manama, le 1er mars 2011, alors que le site est devenu le point central des manifestations depuis plus de deux semaines (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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