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Les relations France-Iran, entre ouvertures et tensions

La récente demande d’expulsion de diplomates français par un quotidien ultraconservateur iranien illustre les relations parfois tumultueuses qu’entretiennent Paris et Téhéran depuis des années
Le président français Emmanuel Macron (à droite) rencontre le président iranien Hassan Rohani en marge de l'Assemblée générale des Nations unies au siège de l'ONU, le 25 septembre 2018 à New York (AFP)

C’est un appel fort que le quotidien ultraconservateur iranien Kayhan a lancé dans son édition du 5 mars dernier demandant l’expulsion de diplomates français. S’inscrivant dans sa politique de défiance à l’égard de l’administration Rohani, Kayhan poursuit son combat contre la normalisation des relations avec l’Occident.

La France est ainsi prise pour cible dans un contexte particulier : celui de l’attentat déjoué contre le congrès de l’Organisation des moudjahidine du peuple iranien (MeK), à Villepinte, en juillet 2018, dont la République islamique est soupçonnée d’être le commanditaire.

Utilisant le prétexte des accusations françaises ainsi que l’hébergement du groupe d’opposition iranien sur le sol français, Kayhan souhaite ainsi faire pression sur l’espace politique intérieur iranien, traversé par des remises en question quant à la marche à suivre vis-à-vis de l’Occident.

Si elle ne sera probablement pas suivie d’effets, cette dénonciation de la part du journal interroge sur les relations entre l’Iran et la France, entre périodes d’ouvertures et de tensions.

Des relations en dent de scie

C’est essentiellement au XIXe siècle que la France et l’Iran s’engagent dans des relations diplomatiques régulières. Ne disposant pas des mêmes moyens que les Britanniques, l’influence française se jouera essentiellement autour du facteur culturel. Tandis que de nombreux Iraniens viennent étudier en France, Paris, de son côté, envoie en Iran plusieurs de ses instituteurs.

Jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, la France ne joue toutefois qu’un rôle mineur dans l’espace iranien. Supplantée par les Britanniques, les Russes, les Allemands puis les Américains, Paris se contente d’entretenir des relations cordiales. Le français est une langue de la Cour impériale iranienne tandis que les échanges culturels établissent des ponts entre les deux pays.

Paris considère la République islamique comme un élément perturbateur au Moyen-Orient en général, et au Liban et en Palestine en particulier

C’est avec l’avènement de la République islamique, en 1979, que les relations entre l’Iran et la France vont connaître des vagues d’apaisement et de tensions.

Si dans les années 70, la France occupe une place particulière au sein de l’opinion iranienne (notamment par le refus de participer aux célébrations de Persépolis honorant l’Iran impérial en 1971 ainsi que par l’accueil de l’ayatollah Khomeini à Neauphle-le-Château), bien vite les relations entre le nouveau pouvoir et Paris vont se détériorer. Considérée comme une puissance occidentale, la France rentre dans le « ni Est, ni Ouest » prôné par Khomeini.  

L’accueil en France de plusieurs figures iraniennes entrées en opposition avec le nouveau régime iranien, comme le dernier Premier ministre du shah Shapour Bakhtiar et le premier président de la République islamique Abolhassan Bani Sadr, tend également les relations.

Paris considère la République islamique comme un élément perturbateur au Moyen-Orient en général, et au Liban et en Palestine en particulier. C’est suivant cette volonté de contrer l’expansion de l’influence iranienne et son idéologie révolutionnaire et islamiste que la France soutiendra l’Irak baasiste de Saddam Hussein durant la guerre Iran-Irak.

Iran
Des Iraniennes marchent sur des portraits du président iranien Hassan Rohani (en bas) et de l'ayatollah Ali Khamenei (en haut) lors d'une manifestation de l'opposition iranienne à Paris (AFP)

Il faut attendre la fin du conflit, en 1988, et le début de « l’ère de la reconstruction » pour voir les relations entre les deux pays se réchauffer. Pour Paris, l’Iran représente un marché à conquérir, d’autant plus que les États-Unis n’y sont guère présents.

Pour Téhéran, la France dispose d’une large manne financière à attirer, notamment dans le secteur des hydrocarbures. C’est ainsi que dans les années 90, le géant français de l’énergie Total parvient à s’implanter dans le pays.

Au rapprochement économique va se greffer un rapprochement culturel à la faveur de l’arrivée au pouvoir de Mohammad Khatami, considéré comme réformiste, en 1997. La visite officielle de ce dernier en France cette même année, la première pour un président iranien, ouvre l’espace à une relance des accords bilatéraux. Passant du « dialogue critique » au « dialogue constructif », la France est en première ligne quand éclate la crise sur le nucléaire iranien, en 2003.

Le nucléaire : une nouvelle période de tensions

La révélation du programme nucléaire secret de l’Iran, en 2003, fragilise les rapports entre Paris et Téhéran. L’arrivée au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad en 2005 et de Nicolas Sarkozy en 2007 clôturera la décennie de bons rapports. Tandis que le président iranien s’engage dans une politique étrangère nationaliste et populiste, le président français opère un rapprochement avec les États-Unis et dénonce les velléités nucléaires iraniennes au nom de la lutte contre la prolifération.

En juillet 2009, l’arrestation de Clotilde Reiss, Française enseignant à Ispahan accusée d’espionnage, ajoute un nouvel élément aux relations tendues entre Paris et Téhéran. Si la jeune ressortissante française finit par être libérée après son procès, la posture de la République islamique sous la présidence Ahmadinejad rend l’Iran infréquentable pour les officiels français.

Clotide Reiss
Clotilde Reiss se défend lors d'une audience devant un tribunal révolutionnaire à Téhéran, le 8 août 2009 (AFP)

Ce n’est qu’avec l’élection, en 2013, du conservateur modéré Hassan Rohani que la relance des dialogues se réalisera, même si, par l’entremise de son ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, la France adoptera des positions parfois très dures dans les négociations sur le nucléaire.

Depuis, Paris se présente comme l’un des principaux défenseurs de l’accord, tout en maintenant cependant une approche critique de la manière dont la République islamique se positionne tant dans son contexte régional que dans celui des droits de l’homme.

Emmanuel Macron organise ainsi sa relation diplomatique avec l’Iran sous la double clef de « pression et négociation ». Les pressions ne manquent pourtant pas, aussi bien du côté iranien que du côté américain, pour faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.

L’absence, pendant plus de six mois, d’ambassadeur tant à Paris que Téhéran ainsi que la désignation de la République islamique comme responsable du projet d’attentat à Villepinte ont récemment favorisé la montée des tensions entre les deux capitales.

La présidence Macron semble toutefois se tenir à une ligne de conduite claire, autour de la nécessité de préserver l’accord sur le nucléaire et de faire pression sur l’Iran afin qu’il limite ses actions jugées déstabilisatrices, notamment dans le domaine balistique ainsi que dans son action régionale.

Quel bilan des relations diplomatiques entre la France et l’Iran ?

Au-delà de l’approche historique, quelles réflexions tirer des relations diplomatiques entre la France et l’Iran ? Plusieurs éléments peuvent être amenés.

Tout d’abord, la France dispose d’une image particulière au sein de la République islamique et de sa population. N’ayant jamais eu aucun projet colonial ni ambition impériale en Iran, contrairement à la Russie et au Royaume-Uni, la France n’apparaît pas comme un État ayant un agenda caché.

N’ayant jamais eu aucun projet colonial ni ambition impériale en Iran, contrairement à la Russie et au Royaume-Uni, la France n’apparaît pas comme un État ayant un agenda caché

En outre, la diversité de ses liens ajoute à son attrait. La culture, notamment, reste un domaine dans lequel la France dispose d’une aura que d’autres États n’ont pas.

Ensuite, de l’aveu de diplomates iraniens, la France est reconnue comme un partenaire honnête et franc, prévisible sans être complaisant.

C’est, à l’inverse, l’appréciation de la manière dont l’Iran gère ses relations extérieures qui suscite de nombreuses interrogations côté français, notamment de la part de diplomates. L’ombre qui recouvre le processus de décisions, les jeux de pouvoirs en coulisses et le poids des factions, notamment, troublent l’approche que les milieux diplomatiques occidentaux peuvent avoir des attitudes iraniennes.

D’autant plus que, si des alternances politiques existent au sein du système, le cœur de ce dernier reste occupé parfois de manière ininterrompue par le même cercle de décideurs. Les ultraconservateurs, exigeant avant toute démarche iranienne des gages de l’Occident, sont ainsi toujours présents dans les différents cercles du pouvoir. « Qui décide donc à Téhéran ? » reste une question emblématique.

L’avenir des relations entre la France et l’Iran ne dépend donc pas seulement des dossiers à venir mais aussi des tensions au sein des factions en place en Iran. Les luttes de pouvoir, ravivées par la faiblesse de l’administration Rohani à la suite du retrait américain de l’accord sur le nucléaire, pourraient aller crescendo à l’approche des élections législatives iraniennes de 2020. Les actions internationales du pays en seraient inévitablement affectées, relançant les conjectures sur les politiques françaises mais aussi européennes à l’égard de la République islamique.

Jonathan Piron est historien et politologue. Conseiller au sein d’Etopia, centre de recherche basé à Bruxelles, il se spécialise sur les transformations sociales au Moyen-Orient, avec un focus sur les dynamiques de mobilisation en cours en Iran.
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