La France peut-elle encore peser sur le Proche-Orient ?
Une région en crise et aux guerres multiples, un continent européen qui n’a jamais su imposer sa médiation en Méditerranée, et un État membre de l’Union Européenne, la France, dont les liens avec le Proche-Orient sont nombreux, mais la marge de manœuvre politique dans la zone, particulièrement étroite.
Voilà en quelques lignes le tableau que le président français Emmanuel Macron souhaiterait inverser, pour une France plus écoutée, une politique étrangère européenne plus structurante, un Proche-Orient moins dangereux.
L’affaire sera difficile, pour au moins trois raisons : le contexte global est défavorable, le contexte régional ne l’est pas moins et Paris est seul en Europe à vouloir encore se mêler du Proche-Orient.
À l’échelle globale, un alignement défavorable de planètes
L’époque où les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne étaient à l’initiative ensemble au Proche-Orient (pour le meilleur et pour le pire, cf. guerre du Koweït en 1991, Libye en 2011…) est révolue, au moins provisoirement.
La France n’a plus actuellement de partenaire américain pour agir au Proche-Orient
On assiste plutôt, mutatis mutandis, à un retour aux années 2002-2003, lorsque l’Amérique faisait cavalier seul dans la région, divisant les européens sur la guerre en Irak à partir d’une rhétorique belliqueuse et d’une posture d’apprenti-sorcier.
L’administration Obama a inquiété la région par ses hésitations, notamment, comme on le sait, sur l’affaire syrienne en 2013. L’administration Trump, elle, inquiète par l’irresponsabilité apparente de sa démarche, qui apparaît erratique, encourageant l’Arabie saoudite à rompre avec le Qatar, enflammant les esprits par sa reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, ou mettant fin à l’accord patiemment acquis en 2015 sur le nucléaire iranien.
Autant de dossiers sur lesquels Paris tient la position inverse : ne pas encourager la brouille Arabie–Qatar, ne pas bafouer le droit international, ne pas revenir sur des engagements internationaux. En un mot, la France n’a plus actuellement de partenaire américain pour agir au Proche-Orient.
Elle n’a pas non plus beaucoup de soutien parmi ses partenaires européens. Londres est trop occupée par le Brexit pour regarder ailleurs, Berlin a peu d’appétence pour des initiatives dans cette région, surtout après les revers subis par la chancelière Angela Merkel sur la question des réfugiés syriens.
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Les autres pèsent moins, quand ils ne sont pas franchement hostiles au multilatéralisme libéral d’Emmanuel Macron, campant sur un populisme qui insiste davantage sur l’Europe chrétienne que sur les problèmes du monde musulman.
Reste Moscou, qui a repris la main en Méditerranée grâce à sa présence militaire en Syrie et avec qui la France tente de coopérer désormais, au moins sur l’approvisionnement humanitaire, puisque le canal russe est devenu incontournable sur le terrain. Mais chacun sait que ce partenariat restera limité, tant la vision et les intérêts de Vladimir Poutine, là comme ailleurs, divergent de ceux de la France.
À l’échelle régionale, un vide de puissance
Paris ne renonce pas pour autant à se faire puissance de proposition au Proche-Orient ou en Méditerranée.
La fin du quinquennat Hollande s’était certes soldée par des échecs relatifs. La position intransigeante de la France sur la Syrie (faire du départ de bachar al-Assad un préalable à tout règlement) a abouti à la marginalisation de sa diplomatie sur cet enjeu.
Boudées par Israël, les deux conférences tenues à Paris sur le processus de paix israélo-palestinien (juin 2016 et janvier 2017) se sont déroulées sans les acteurs principaux et, de l’aveu même des organisateurs, avec peu de chances de succès.
Aujourd’hui, les trois pays qui « font » l’agenda régional par leurs initiatives sont les trois puissances non arabes – Israël, Turquie, Iran – avec lesquelles la relation de la France, pour des raisons différentes, est problématique
Après l’intervention militaire de 2011 (sous Nicolas Sarkozy), la France de François Hollande n’a pu que regarder la Libye s’enfoncer dans le chaos.
Aujourd’hui, Emmanuel Macron souhaiterait obtenir un nouveau rôle structurant pour la France dans les affaires de l’Orient compliqué. Le nouveau président s’est exprimé avec force (critiquant la posture américaine sur Jérusalem ou sur l’Iran), a proposé des initiatives (deux conférences sur la Libye, en juillet 2017 et mai 2018, pour aboutir à un accord sur un calendrier électoral ; une médiation dans la brouille libano-saoudienne de novembre 2017) et lutte pour revenir dans le jeu syrien (un représentant personnel du président pour le dossier syrien a été nommé, en la personne de François Sénémaud, précédemment ambassadeur en Iran).
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Mais Paris a besoin de relais, de partenaires régionaux, pour avoir des leviers d’action.
Premier problème : on observe un déficit important de politiques étrangères arabes. l’Irak et la Syrie sont paralysés par les guerres récentes ou toujours en cours, l’Égypte a perdu de son influence régionale après les événements de 2011 et du fait de ses difficultés économiques et sécuritaires actuelles.
Reste l’Arabie saoudite, avec laquelle la France garde une relation de confiance, certes moins forte depuis l’élection de Donald Trump que dans les années 2012-2016. Or l’intransigeance de Riyad au Yémen, vis-à-vis du Qatar et, plus globalement, sa volonté d’en découdre avec Téhéran ne coïncident plus autant avec l’approche française que sous François Hollande.
Aujourd’hui, les trois pays qui « font » l’agenda régional par leurs initiatives sont les trois puissances non arabes – Israël, Turquie, Iran – avec lesquelles la relation de la France, pour des raisons différentes, est problématique.
Quels moyens pour la France au Proche-Orient ?
Sans relais internationaux ni régionaux (ou peu), que peut faire Paris ? La France est présente militairement, d’abord avec l’opération Chammal (lancée en 2014 en Irak) qui mobilise plus de 1 100 soldats français pour lutter contre l’État islamique, ou avec environ 250 hommes déployés au Sud-Liban dans le cadre de la FINUL.
Le credo multilatéraliste d’Emmanuel Macron trouve, dans ce Proche-Orient vital pour les intérêts français, un défi d’envergure à relever
Elle reste bien sûr très présente diplomatiquement, avec des initiatives internationales (voir supra) ou, sur le terrain, via un large réseau d’ambassades, de centres culturels ou d’instituts de recherche (le CEDEJ au Caire, l’IFPO à Beyrouth, Amman et ailleurs, etc.).
Il n’en demeure pas moins que les moyens manquent pour lancer seule de nouvelles opérations militaires d’envergure et, sur ce point, les tensions avec Washington se font sentir. Ces moyens manquent également pour lancer des grands projets de reconstruction ou de soutien aux sociétés civiles, et c’est là l’insuffisance d’une politique étrangère européenne commune qui pèse.
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La diplomatie française doit donc, dans un premier temps, parvenir à entraîner des partenaires dans une nouvelle vision de la région, pour y reprendre l’initiative.
Ces partenaires peuvent-ils se trouver parmi les puissances émergentes désireuses de contrer la vision trumpienne ? Ailleurs sur le continent africain, par exemple au Maghreb ? Le credo multilatéraliste d’Emmanuel Macron trouve, dans ce Proche-Orient vital pour les intérêts français, un défi d’envergure à relever.
- Frédéric Charillon est professeur de science politique à l’Université de Clermont-Auvergne, il enseigne également à l’ENA, à Sciences Po (Paris), à l’INALCO. Il a dirigé l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) de 2009 à 2015, le Centre d’études en sciences sociales de la Défense (C2SD) de 2003 à 2009. Ses travaux portent principalement sur la politique étrangère française et comparée, la défense et les relations internationales. Il a publié plusieurs ouvrages, dont Les États-Unis dans le monde (CNRS, 2016, avec Célia Belin), Manuel de diplomatie (2018, avec Thierry Balzacq et Frédéric Ramel).
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Photo : le président français Emmanuel Macron (à gauche) serre la main du président américain Donald Trump au début d’une réunion bilatérale à New York le 24 septembre 2018, à la veille du débat général de la 73e session de l’Assemblée générale de l’ONU (AFP).
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