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Opposé à la guerre en Irak, compatissant envers les Palestiniens : révélations sur le prince Charles

Un nouveau livre donne le meilleur aperçu de ce que l’héritier du trône de Grande-Bretagne pense du Moyen-Orient, des musulmans et de l’islam
Le prince Charles, photographié ici en 2007, lit le Coran et signe parfois des lettres en arabe, indique le livre (AFP)

LONDRES – Le prince Charles, futur roi du Royaume-Uni, estime que le conflit israélo-palestinien est « la raison fondamentale de l’hostilité et de tout le “poison refoulé” à travers le monde islamique », selon un nouveau livre.

Dans Charles At Seventy: Thoughts, Hopes and Dreams, Robert Jobson expose ce que le prince de Galles pense du Moyen-Orient et de la relation de l’Occident avec l’islam.

Parmi les révélations, on apprend que l’héritier du trône :

  • s’est opposé à la guerre en Irak ;
  • est en désaccord avec les interdictions de la burqa et du niqab dans les pays européens ;
  • a déclaré aux ministres qu’il ne voulait plus être utilisé pour vendre des armes au Moyen-Orient ;
  • étudie le Coran et signe en arabe des lettres adressées à des dirigeants régionaux ;
  • pense que le christianisme peut apprendre de l’islam.

Le prince Charles est « déterminé à utiliser ses relations personnelles avec les dirigeants arabes du Golfe pour le bien commun », écrit Jobson.

Le volume de 300 pages, publié en novembre, mois du 70e anniversaire du prince Charles, constitue l’étude la plus approfondie de ses convictions depuis l’ouvrage de Jonathan Dimbleby, Prince of Wales: A Biography, publié en 1994.

Le livre est important dans la mesure où même s’il ne s’agit pas d’une biographie officielle, il a été écrit avec la collaboration de Clarence House, le bureau du prince.

Jobson, qui a rencontré le prince Charles à plusieurs reprises, commente abondamment l’actualité de la famille royale pour les médias britanniques ainsi que pour NBC aux États-Unis et Seven Network en Australie. En 2005, il a été le premier à annoncer que le prince Charles allait épouser Camilla Parker Bowles.

Le prince Charles en uniforme traditionnel saoudien à Riyad, en février 2014 (AFP)

Pour écrire son livre, qui détaille plus que tout ouvrage précédent la relation de Charles avec le monde arabe, Jobson affirme s’être entretenu avec « un certain nombre de sources proches du prince qui ne s’étaient jamais exprimées auparavant ».

Le livre explore le caractère du prince, ses croyances et ses réflexions sur la religion et la politique, afin de tenter de mettre au jour le genre de roi qu’il sera lorsqu’il montera sur le trône.

William, « invité à agir en tant qu’ambassadeur de la paix »

D’après le livre, Charles pense qu’une solution politique pour les Palestiniens est cruciale pour mettre fin au problème du terrorisme international. Jobson écrit que les idées fortes du prince sur ce sujet « l’ont probablement disqualifié du rôle de pacificateur ».

Dans le livre, Jobson rapporte les propos qu’un courtisan lui a adressés : « [J’ai] entendu [Charles] dire à maintes reprises : “Enlevez le poison et vous éliminerez la cause d’une si grande partie du terrorisme.” C’est là la conviction fondamentale du prince sur cette question. »

L’opinion de Charles à l’égard du Moyen-Orient pourrait expliquer pourquoi son fils, le prince William, a effectué à sa place la première visite royale en Israël en juin 2018.

Le prince William et le président palestinien Mahmoud Abbas à Ramallah, en juin 2018 (AFP)

Au cours de sa tournée, William a rencontré le Premier ministre Benyamin Netanyahou et s’est rendu à Ramallah, en Cisjordanie, où il s’est entretenu avec le président palestinien Mahmoud Abbas.

William a également été « invité à agir en tant qu’ambassadeur de la paix lorsque le président israélien lui a demandé de transmettre un message au dirigeant palestinien ».

Cependant, les responsables britanniques « sont immédiatement intervenus pour insister sur le fait que ce n’était pas le rôle de William », lui interdisant de se laisser « entraîner dans les complexités politiques de la région ».

Le prince a « critiqué » Blair à l’approche de la guerre en Irak

La famille royale britannique est contrainte par la Constitution de se tenir à l’écart des questions politiques. Des demandes d’accès à l’information formulées par The Guardian ont permis de révéler que le prince Charles avait toutefois exprimé par le passé des opinions auprès de ministres au sujet de l’agriculture, du financement des forces armées et des médecines alternatives, entre autres.

Néanmoins, ses réflexions sur les grandes questions de politique étrangère relatives au Moyen-Orient n’ont jamais été connues.

Robert Jobson écrit que Charles était un fervent adversaire de l’invasion de l’Irak dirigée par les États-Unis en 2003 et qu’« en privé, il aurait sans aucun doute exprimé “ses plus fortes objections vis-à-vis de la guerre” auprès de Tony Blair, le Premier ministre de l’époque ».

Le Premier ministre britannique Tony Blair et le prince Charles lors d’un événement à Londres en 2004 (AFP)

Le prince, écrit Jobson, était désespéré suite au soutien apporté par Blair à l’invasion – et aurait pu essayer de s’y opposer s’il avait été roi.

En effet, « il aurait conseillé à Blair de tenir compte des avertissements des dirigeants arabes de la région, des hommes avec lesquels Charles avait établi de bonnes relations de travail au fil des ans ».

En outre, le prince estimait que durant la crise, il y avait un manque fondamental de compréhension de la culture arabe, qui était en fin de compte « un élément crucial à assimiler ».

Le prince de Galles a sérieusement mis en doute le dossier de 2002 du gouvernement en matière de renseignement, et ce bien avant le reportage de la BBC de mai 2003

Alors que le prince devenait de plus en plus « frustré par la question irakienne », il ne comprenait pas pourquoi le gouvernement de l’époque ne considérait pas le Moyen-Orient comme « une région dominée par des loyautés tribales » et il estimait que « parader en brandissant la bannière de la démocratie à l’occidentale » était à la fois téméraire et futile », écrit Jobson.

De fait, le prince de Galles a sérieusement mis en doute le dossier de 2002 du gouvernement en matière de renseignement, et ce bien avant que le reportage de la BBC de mai 2003 n’ait révélé qu’il avait été « gonflé ». 

Charles a répété à plusieurs reprises à ses amis que Blair aurait dû écouter les dirigeants arabes quant à la manière d’agir en Irak.

Une administration Bush « terrifiante »

Jobson écrit que le prince était particulièrement critique à l’égard du soutien accordé par le gouvernement Blair à la Maison-Blanche dans la phase préparatoire de l’invasion.

L’opposition du prince à la guerre en Irak « n’est pas venue avec le recul, insiste Jobson. Charles a clairement fait connaître sa position mûrement réfléchie à ceux qui étaient au pouvoir à l’époque. »

« Il a déclaré à des personnalités politiques et à son cercle intime qu’il jugeait l’administration Bush “terrifiante” et clouait au pilori ce qu’il décrivait comme un manque de perspicacité de Blair. Il estimait que Blair s’était comporté comme le “caniche” de Bush et il l’a fait savoir. »

Selon Jobson, un membre de son cercle intime a révélé que « chaque fois qu’il suivait le Premier ministre en visite à l’étranger, il prononçait sèchement une réplique : “Tu iras te placer derrière le séant du Seigneur, sa parole viendra à toi.” Cela faisait toujours rire. »

Le prince Charles accueille le président américain George W. Bush à l’aéroport d’Heathrow, à Londres, en novembre 2003 (AFP)

Les dirigeants arabes, écrit Jobson, n’ont cessé de répéter au prince qu’ils étaient inquiets de voir Blair s’aligner si étroitement avec Bush et qu’ils étaient « déroutés et attristés » par la position du Royaume-Uni, qui marchait « dans le sillage des États-Unis » au sujet de l’Irak.

« Selon des sources, le prince aurait déclaré qu’il était “absolument incroyable” que ni les Américains, ni les autorités britanniques n’aient jamais semblé écouter le point de vue arabe ou prendre en considération leur connaissance de l’Irak et de ses complexités religieuses et tribales lorsqu’ils y cherchaient des solutions d’après-guerre », écrit Jobson.

« Le fait d’avoir ignoré leur point de vue, estimait le prince, s’était avéré fatal et avait donné lieu à ce qu’il a décrit comme “le désordre ahurissant auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, chez nous comme à l’étranger”. »

Robert Jobson précise qu’« un ancien membre du personnel du prince a révélé que Charles était complètement déconcerté par Bush et sa négligence totale des conseils des dirigeants locaux ».

« “Le prince ne parvenait pas comprendre la raison de la position américaine, à savoir un besoin de revisiter la politique ‘folle’ de débaasification [limogeage de professionnels membres du parti Baas de Saddam Hussein] qui a entraîné l’exclusion de tant de professionnels si indispensables à travers la société irakienne et retourné tant de gens contre la coalition”, a déclaré la source. »

Chars américains à Bagdad en novembre 2003 à la suite de l’invasion de l’Irak par les États-Unis (Wikicommons)

« Charles, a déclaré la source, dénigrait particulièrement la secrétaire d’État de Bush, Condoleezza Rice – la première femme noire à avoir occupé ce poste – et l’étendue de ce qu’il considérait comme une posture d’ignorance des États-Unis vis-à-vis du Moyen-Orient. Le prince ne comprenait pas pourquoi Mme Rice résistait à toutes les demandes de visite dans la région. »

Le prince Charles entretient encore de la méfiance envers le gouvernement américain actuel, selon Jobson.

« Il critique non seulement l’absence de cohérence dans leur politique au Moyen-Orient, mais il est également profondément préoccupé par leur refus de signer la moindre convention internationale sur le changement climatique, une position encore aggravée par l’occupant actuel de la Maison Blanche, le président Donald Trump. »

Le prince lit le Coran, d’après le livre

Les États-Unis ne sont pas le seul allié du Royaume-Uni à faire face aux critiques royales au sujet du Moyen-Orient, selon Robert Jobson.

Celui-ci écrit que Charles était en désaccord avec les interdictions du port de la burqa et du niqab en public, imposées en France et en Belgique aux femmes musulmanes, y voyant « une violation des droits de l’homme » qui criminalise les femmes.

Le prince Charles et la duchesse de Cornouailles à la mosquée Dawoodi Bohra de Northolt (Royaume-Uni), en février 2009 (AFP)

Le prince a également déclaré aux ministres qu’il ne souhaitait plus utiliser ses excellentes relations dans le Golfe pour vendre des armes au nom d’entreprises britanniques au Moyen-Orient.

L’ouvrage offre un aperçu unique des conceptions du prince sur l’islam et le monde arabe, montrant que son intérêt pour cette religion est plus profond que ce que l’on connaissait jusqu’à présent.

Étudiant passionné de l’islam, le prince a lu le Coran et étudie l’arabe, écrit Jobson.

Jobson révèle également que le prince signe toujours ses lettres aux dirigeants du Golfe en écrivant personnellement son nom en arabe, « un autre petit signe de respect envers l’autre culture ».

Charles « pense que l’islam peut nous enseigner à tous une manière de comprendre et de vivre dans le monde, ce que le christianisme a malheureusement perdu, une perte dont il ressort appauvri selon lui »

Selon Jobson, le futur chef de l’Église d’Angleterre « pense que l’islam peut nous enseigner à tous une manière de comprendre et de vivre dans le monde, ce que le christianisme a malheureusement perdu, une perte dont il ressort appauvri selon lui ».

Le prince a également étudié le judaïsme et est proche de l’ancien grand rabbin de Grande-Bretagne, Jonathan Sachs. Il estime que le judaïsme et l’islam ont « beaucoup de points communs » avec le christianisme et que « l’avenir repose certainement sur la redécouverte des vérités universelles qui résident au cœur de ces religions ».

Jobson écrit que Charles entretient de bonnes relations de travail avec des contacts dans la région et qu’il est respecté dans les États du Golfe et au Moyen-Orient.

Parmi ses amis, l’ouvrage mentionne « les al-Thani du Qatar, les Hussein de Jordanie et les al-Saoud d’Arabie saoudite, qui connaissent tous personnellement le prince depuis de nombreuses années et auprès desquels il force le respect ».

– Izzy Gill a contribué à cet article.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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