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Rapprochement entre Israël et le Golfe : une façon de détourner l’attention du chaos national ?

Face à MEE, le ministre israélien des Affaires étrangères se dit confiant concernant les projets de rapprochement entre Israël et les pays du Golfe, mais les analystes s’interrogent sur leur calendrier et leur portée
Yisrael Katz (au centre) est assis à côté de responsables omanais au congrès mondial de l’Union internationale des transports routiers, à Mascate l’année dernière (AFP)
Par Lily Galili à TEL AVIV, Israël

Au beau milieu de ce qui est pour les Palestiniens et les Israéliens un Moyen-Orient très vieux et mal en point, le ministre israélien des Affaires étrangères Yisrael Katz tente de créer une nouvelle dynamique régionale – ou pas, selon à qui vous vous adressez.

En Israël, d’aucuns disent qu’à l’heure actuelle, l’essentiel des négociations à propos des projets censés rapprocher les États du Golfe et Israël a en réalité plus à voir avec la formation d’un nouveau gouvernement israélien qu’avec un nouveau Moyen-Orient.

Cependant, s’exprimant face à Middle East Eye à la fin du mois de novembre sur ses efforts, Yisrael Katz a eu l’air enthousiaste et sûr de lui.  

Le ministre a deux projets en vue. Le plus récent, annoncé en octobre, est une tentative de signer des accords de non-agression avec les États arabes du Golfe – avec le soutien du Premier ministre Benyamin Netanyahou.  

Officiellement, aucun des six États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ne reconnaît Israël, mais ces accords, a tweeté Katz, visent à ouvrir la voie à de futurs accords de paix. 

L’autre projet, rendu public l’année dernière mais initié que récemment, est présenté par Katz et Netanyahou comme « les rails de la paix régionale », une ligne de chemin de fer reliant Israël à l’Arabie saoudite via la Jordanie en contournant les dangereuses routes maritimes.

Cette route sera similaire à la fameuse ligne de chemin de fer du Hedjaz qui reliait Damas à Médine jusqu’en 1920 avec un embranchement vers Haïfa ; toutefois, la nouvelle omettra la Syrie pour d’évidentes raisons. 

Le surnom suggère cependant une initiative bien plus ambitieuse, ce que Katz n’hésite pas à souligner.

« Il faut réagir à la menace iranienne par des mesures de sécurité, mais dans le même temps, celle-ci fournit une opportunité historique de former une alliance à la fois sécuritaire et civile entre Israël et les pays arabes modérés et de promouvoir la coopération régionale », déclare-t-il.

« Il faut réagir à la menace iranienne par des mesures de sécurité, mais dans le même temps, celle-ci fournit une opportunité historique »

- Yisrael Katz, ministre israélien des Affaires étrangères

« Ces accords sont de la plus grande importance pour Israël car ils signifient officiellement la fin des conflits et un engagement mutuel de ne pas coopérer avec des entités hostiles qui ont recours à la violence contre l’un des pays impliqués. Cela jette la base d’un développement économique et civil jusqu’à ce que des accords de paix soient signés. »

Katz affirme que la crise politique actuelle en Israël n’a aucun impact sur ses efforts diplomatiques et n’aura « aucune conséquence sur les progrès réalisés à la fois avec l’administration américaine et les États arabes impliqués ».

Et qu’en est-il des Palestiniens, aux prises avec l’occupation israélienne, majoritairement hostiles envers l’Arabie saoudite et qui scrutent ce processus de normalisation ?

« Pas de nouvelles de leur part sur ce sujet », répond sèchement le ministre israélien des Affaires étrangères. Mais ce n’est pas tout à fait exact. Les Palestiniens s’en tiennent à leur position de rejet total d’un quelconque projet, même si une section des voies près de Jénine pourrait leur rendre service. 

Yisrael Katz mentionne également qu’il présente ses projets aux partenaires d’Israël au-delà de la région, notamment la Grèce et l’Italie. 

Vers le nucléaire

L’empressement de Katz à partager des informations avec MEE cesse au moment où nous l’interrogeons sur les inquiétudes suscitées en Israël par les récents développements en Arabie saoudite.

Israël craint surtout que si l’Iran fait une percée dans le nucléaire, les Saoudiens demanderont aux Pakistanais, dont le programme nucléaire est partiellement financé par l’Arabie saoudite, d’autoriser le royaume à déployer sur leur sol un avion qui serait capable de transporter des bombes nucléaires.

L’Argentine a récemment fourni à Riyad un réacteur de recherche nucléaire, et plus tôt cette année, il a été rapporté que l’Arabie saoudite avait acquis le système de défense antimissile israélien « Dôme de fer », bien que personne en Israël ne l’ait confirmé officiellement.

Alors que l’Arabie saoudite se rapproche du seuil nucléaire, des experts israéliens pensent qu’Israël devrait être plus inquiet qu’il semble l’être où prétend l’être. « Et si, s’interrogent les inquiets, des régimes plus radicaux arrivaient au pouvoir là-bas ? »

Yisrael Katz rejette cette question d’un simple « je ne veux pas parler de ça ».

Relents de secrets

Il est désormais clair que l’« alliance secrète » tant évoquée entre Israël et l’Arabie saoudite n’est assurément plus si secrète.

Les récents développements géopolitiques, de l’émergence de l’Iran comme puissance dominante aux soulèvements arabes, ont été un terrain fertile pour les intérêts communs et les objectifs similaires des deux pays, conduisant à un partenariat plus ouvert.  

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Toutefois, même si cela se fait de façon bien plus transparente, de nombreuses pièces d’une coopération stratégique qui remonte à la fin des années 1960 restent encore dissimulées.

« Cette coopération restera encore en grande partie tacite », déclare à MEE Danny Yatom, ancien dirigeant du Mossad et secrétaire militaire de l’ancien Premier ministre Yitzhak Rabin dans les années 1990. 

À ces deux postes, Yatom a été impliqué dans la coopération en matière de renseignement entre les Saoudiens et les Israéliens, une relation qui a eu des raisons de s’épanouir ces dernières années, particulièrement avec l’essor du groupe État islamique (EI).

« À l’apogée de l’activité terroriste de l’EI, [les Saoudiens] ont compris qu’ils avaient besoin d’une forte puissance militaire », explique-t-il.

« Ils ne faisaient pas suffisamment confiance à Trump pour se reposer sur lui et ils se sont tournés vers Israël pour obtenir de l’aide. Cette initiative n’a jamais été officiellement confirmée par Israël, même s’il est dans son intérêt d’avoir des relations ouvertes afin de mieux naviguer dans l’espace musulman. »

Les choses vont certainement dans cette direction, au moins pour l’instant. Les relations entre l’Arabie saoudite et Israël ne sont plus confinées aux séances photos occasionnelles montrant des dignitaires côtes à côtes ou à des fuites intentionnelles – ou non – dans les médias. 

Le message est extrêmement clair, surtout du côté israélien, ce qui est peut-être un peu trop pour les Saoudiens qui sont bien plus circonspects dans leurs commentaires.

Relation exagérée ?

Quoi qu’il en soit, le non-dit n’en est pas moins important. L’Arabie saoudite, par exemple, n’a pratiquement rien dit lorsque les Américains ont déménagé leur ambassade à Jérusalem en mai dernier. Si nécessaire, ont déclaré des observateurs, le royaume se sert de Bahreïn en tant qu’intermédiaire pour exprimer ce qu’il est réticent à dire ouvertement.

« Les communiqués que je lis venant de Bahreïn sont très amicaux envers Israël », déclare à MEE Yoel Guzansky, un chercheur à l’Institute for National Security Studies (INSS) basé à Tel Aviv et auteur de plusieurs ouvrages sur les États du Golfe. 

« Il n’y a rien de nouveau dans le Moyen-Orient de Katz ou, du moins, tout cela est très exagéré et romancé »

- Yoel Guzansky, Institute for National Security Studies  

« Souvent, on dirait qu’ils viennent directement du parti au pouvoir [en Israël], le Likoud », ajoute-t-il en plaisantant.

Avant de rejoindre l’INSS, Guzansky a travaillé au conseil de sécurité nationale au sein du bureau du Premier ministre, coordonnant le travail sur l’Iran. Il est très sceptique au sujet des développements tels qu’ils sont présentés.

Comme d’autres personnes ayant répondu aux questions de MEE mais ayant été plus réticentes à être citées, Yoel Guzansky croit qu’il y des exagérations concernant l’image dépeinte par les décideurs israéliens dans le contexte de la crise politique qui touche le pays.

« Il n’y a rien de nouveau dans le Moyen-Orient de Katz ou, du moins, tout cela est très exagéré et romancé », estime-t-il.

« Il est vrai qu’une fois que l’Arabie saoudite a renoncé à l’Amérique comme son grand protecteur contre la menace iranienne, ils se sont tournés vers Israël. Mais même maintenant, [les dirigeants saoudiens] laissent de l’espace pour des négociations avec l’Iran. » 

Le royaume saoudien, affirme-t-il, a envoyé des signaux à l’Iran par l’intermédiaire de l’Irak et du Pakistan indiquant qu’il était prêt à négocier. 

Pendant ce temps, les attaques contre deux installations pétrolières du royaume le 14 septembre, largement attribuées à l’Iran, ont souligné l’importance de la relation avec Israël pour le royaume – pour l’instant.

« Tant que l’ennemi mutuel – l’Iran – est là et que l’allié pas si fiable – l’Amérique – reste indifférent à l’attaque du 14 septembre, les relations avec Israël ne s’éroderont pas », observe Yoel Guzansky.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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