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Tunisie : le RCD, le parti qui renaît (toujours) de ses cendres

Dix ans après la révolution, le parti-État RCD, dissous en mars 2011, continue d’abreuver la plupart des formations politiques. Entre reconstitution à l’identique et adaptation au contexte révolutionnaire, « la machine RCD » n’a pas disparu du paysage tunisien
Manifestation contre le RCD à Tunis alors que le président Zine el-Abidine Ben Ali est déjà en fuite, en janvier 2011 (AFP)
Manifestation contre le RCD à Tunis alors que le président Zine el-Abidine Ben Ali est déjà en fuite, en janvier 2011 (AFP)

Lundi 17 janvier 2011, des milliers de manifestants défilent le long de l’avenue Mohammed V, l’une des principales artères de la capitale.

Tous convergent vers l’imposant immeuble du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti-État du président Zine el-Abidine Ben Ali, qui a fui le pays trois jours auparavant. Sous les cris de « RCD dégage ! », quelques téméraires escaladent la façade du bâtiment et font tomber une à une les lettres formant le nom du parti du fronton de l’édifice, sous les applaudissements d’une foule en liesse.

Le jour même, le parti annonce la radiation des principales figures du bénalisme de ses rangs (le président lui-même, ses gendres et certains ministres honnis), mais cela ne calme pas les manifestants, pas plus que la démission des deux têtes de l’exécutif, Foued Mebazaa et Mohamed Ghannouchi, de l’organisation politique.

Un employé du Premier ministère retire un portrait du président déchu Zine el-Abidine Ben Ali, le 17 janvier 2011 (AFP)
Un employé du Premier ministère retire un portrait du président déchu Zine el-Abidine Ben Ali, le 17 janvier 2011 (AFP)

Le gouvernement Ghannouchi, délesté de tous ses ministres RCDistes, finit par se résigner à demander la dissolution judiciaire du parti, ce qui sera obtenu le 9 mars et confirmé en appel le 29 mars 2011.

Avec ce verdict, c’est une page de plus de 90 ans qui se tourne. Le RCD est en effet l’héritier du Parti libre constitutionnel (Destour), fondé en 1920 par Abdelaziz Thâalbi et dont le Néo-Destour, fondé notamment par l’ancien président Habib Bourguiba en 1934, est une scission.

À l’instar d’al-Istiqlal au Maroc, d’al-Wafd en Égypte ou du Front de libération nationale (FLN) en Algérie, le Destour fait partie de ces formations nationalistes qui ont mené la lutte contre la colonisation et qui sont arrivées au pouvoir à l’indépendance.

En 1963, pour acter le tournant collectiviste de sa politique et la mise en place d’un système de parti unique, Bourguiba rebaptise le Néo-Destour en Parti socialiste destourien (PSD).

Grande machine clientéliste

Après le coup d’État de 1987, Ben Ali opère une ouverture à une partie de l’ancienne opposition de gauche à Bourguiba. Pour marquer l’entrée de la Tunisie dans une « ère nouvelle », le PSD devient le RCD en 1988, sur fond de promesse de démocratisation du régime.

Après avoir mis au pas la quasi-totalité de la classe politique, le parti devient une grande machine clientéliste qui quadrille le pays et chasse toute dissidence, le tout au service d’un hyperprésident et de son clan. Il n’est donc pas étonnant que ce monstre aux pieds d’argile se soit effondré dès la chute de son chef incontesté.

Mais si la structure s’est disloquée sans résister, ses membres – estimés à deux millions, un chiffre jamais démontré – ne pouvaient pas s’évanouir dans la nature.

Ce réseau militant, au moins aussi important que les islamistes, aiguise l’appétit de tous les partis, Ennahdha y compris. En dépit d’une disposition de la loi électorale – le fameux article 15 – empêchant les cadres du parti de se présenter aux élections de l’Assemblée nationale constituante de 2011, la libéralisation de la vie politique va profiter aux destouriens, qui lancent plusieurs partis.

Nidaa Tounes à terre, pas le bourguibisme
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Les plus connus sont créés par des ministres de Ben Ali bénéficiant d’une certaine respectabilité comme Ahmed Friaa, Mohamed Jegham et Kamel Morjane, ministre des Affaires étrangères au moment de la révolution. Le mouvement de ce dernier – al-Moubadara –, très implanté dans la région du Sahel, réussit à envoyer cinq députés à la Constituante.

Mais il faudra attendre 2012 pour que l’ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi, profitant de la débâcle de l’opposition démocratique à Ben Ali aux élections de 2011, fonde le mouvement Nidaa Tounes, dont le principal credo est la lutte contre les islamistes.

La formation regroupe des syndicalistes, d’anciens opposants à la dictature, des militants des droits de l’homme et d’anciens RCDistes. La troïka au pouvoir après la révolution (coalition gouvernementale formée par les islamistes d’Ennahdha, le Congrès pour la République et les sociaux-démocrates d’Ettakattol) menace de passer une loi de lustration politique – analogue à celles votées dans les anciennes démocraties populaires après la chute du communisme – pour exclure les cadres de l’ancien régime de la vie publique.

Plusieurs scissions

Nidaa Tounes développe alors une rhétorique contre ce qu’il appelle l’exclusion politique et présente les RCDistes comme les victimes de révolutionnaires revanchards et haineux, aidé en cela par des groupuscules violents qui ne font pas mystère de leur proximité avec Ennahdha, à l’instar des Ligues de protection de la révolution (LPR) dissoutes par la justice en 2014.

Pourtant, le parti islamiste, première victime du régime déchu, ne rechigne pas à faire appel à d’anciens membres du parti-État dès lors que ceux-ci se montrent disposés à servir le nouveau pouvoir.

Cela se voit notamment dans le domaine des médias, où d’anciens thuriféraires bénalistes sont nommés à la tête d’entreprises publiques ou privées pour plaider la cause des nouveaux maîtres. Par ailleurs, quasiment tous les partis recyclent de simples encartés du RCD, l’adhésion au parti étant quasi obligatoire dans bien des domaines sous la dictature.

Face à la percée dans les sondages de Nidaa Tounes, Ennahdha ne peut alors que voir d’un œil bienveillant la création du Mouvement destourien par l’ancien Premier ministre de Ben Ali, Hamed Karoui.

Alors que Nidaa Tounes met en avant des personnalités issues de la famille démocratique et prend acte de la révolution, le mouvement destourien assume sans ambages sa filiation avec le RCD et a pour têtes d’affiches de hauts responsables de l’ère bénaliste.

Après l’élection de Béji Caïd Essebsi à la présidence de la République et la victoire de Nidaa Tounes aux législatives de 2014, le parti connaît plusieurs scissions.

Après l’élection de Béji Caïd Essebsi à la présidence de la République et la victoire de Nidaa Tounes aux législatives de 2014, le parti connaît plusieurs scissions (AFP)
Après l’élection de Béji Caïd Essebsi à la présidence de la République et la victoire de Nidaa Tounes aux législatives de 2014, le parti connaît plusieurs scissions (AFP)

Celle menée par Mohsen Marzouk, Machrou Tounes, recrute de nombreux pontes de l’ancien régime à l’instar de Sadok Chaabane, ancien ministre de l’Enseignement supérieur et auteur de plusieurs ouvrages à la gloire du président déchu.

La crise au sein de Nidaa Tounes fait fuir la plupart des anciens opposants à la dictature. La nouvelle direction, regroupée autour de Hafedh Caïd Essebsi, fils du président, tente de pérenniser le rapprochement avec Ennahdha en théorisant une filiation commune entre islamistes et destouriens qui remonterait à l’archéo-destour d’Abdelaziz Thâalbi. La débâcle du parti aux municipales de 2018 marquera un point d’arrêt à cette stratégie.

L’héritière

En 2019, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, quitte Nidaa Tounes et fonde son propre mouvement, Tahya Tounes. Le nouveau parti fusionne avec al-Moubadara de Kamel Morjane.

Tunisie : entre la gauche et les islamistes, Abir Moussi refait le nid de l’ancien régime
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Si Chahed prend dans son gouvernement d’anciens ministres de la fin de l’ère de Ben Ali (en 2019, les départements de l’Éducation et des Finances sont dirigés par les mêmes ministres qu’en 2009), il n’inscrit pas pour autant son parti dans la lignée destourienne.

Et ce, au contraire d’Abir Moussi, qui a succédé en 2016 à Hamed Karoui à la tête du Mouvement destourien, devenu Parti destourien libre (PDL). Jouant à la fois sur la nostalgie de l’ancien régime et sur l’opposition radicale aux islamistes, Moussi et le PDL réalisent une percée importante aux législatives et à la présidentielle de 2019.

La crise économique et politique que traverse le pays semble bénéficier à Moussi, dont le parti caracole en tête de tous les sondages pour les législatives (les sondeurs partent toujours de l’hypothèse d’une élection législative organisée le dimanche qui suit le sondage d’opinion). Kais Saied (indépendant) continue à dominer largement les intentions de vote pour la présidentielle.

Celle qui a défendu le RCD devant les tribunaux au moment de sa dissolution devient l’héritière incontestée de ce mouvement politique aujourd’hui centenaire.

Pourtant, la « machine RCD » continue à susciter l’envie de plusieurs partis, à commencer par Ennahdha.

C’est ainsi que le chef d’Ennahdha et président de l’Assemblée des représentants du peuple Rached Ghannouchi a recruté le dernier secrétaire général du parti-État, Mohamed Gheriani, dans son cabinet et lui a confié le dossier de la réconciliation. Une nomination qui indigne aussi bien des personnalités de gauche comme le député Mongi Rahoui que le PDL, qui crie à la trahison.

En revanche, la coalition islamiste al-Karama, qui se réclame de la révolution, ne semble pas gênée par cette nomination.

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