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Un accord politique entre Trump et Mohammed VI serait derrière le rapprochement Maroc-EAU

Afin de s’assurer le soutien des États-Unis sur la question du Sahara occidental, le roi a jugé utile de se réconcilier avec les Émirats arabes unis
Ivanka Trump, fille et conseillère principale du président Donald Trump, est accueillie par la princesse Lalla Meryem, et se voit offrir des dates et du lait lors de son arrivée à Rabat, au Maroc, le mercredi 6 novembre 2019, où elle fera la promotion dʼun programme économique pour les femmes (Twitter/GOP)

La monarchie marocaine et celle des Émirats arabes unis (EAU) entretiennent des relations familiales privilégiées. Depuis 30 ans, le Fonds Abou Dabi pour le développement (ADFD) a accordé près de 2 milliards d’euros de dons au Maroc, selon lʼagence de presse émiratie WAM.

Les EAU sont les premiers investisseurs arabes au Maroc. Proche du roi Mohammed VI, cheikh Mansour, président du fonds souverain émirati Aabar Investments, aurait ainsi convaincu les pays du Golfe, membres du fonds Wessal, créé en 2011, de doter le royaume de 2,5 milliards dʼeuros pour investir dans le tourisme.

Maquette du projet Wessal Casablanca-Port, financé en partie par Abou Dabi (Facebook)

En contrepartie, le roi Mohammed VI a toujours œuvré pour renforcer les EAU sur le plan sécuritaire, en leur fournissant formation et aide militaire et coopération en matière de renseignements.

En 2014, les Forces armées royales (FAR), dont le roi est le chef suprême, ont participé aux côtés des forces émiraties aux bombardements au Yémen. La coopération sécuritaire entre les deux monarchies remonte à la fin des années 1970, lorsque Hassan II dépêcha auprès du cheikh Zayed l’un de ses plus fidèles collaborateurs, le général Laânigri, pour veiller personnellement à l’organisation de son service de sécurité et au renforcement de ses unités militaires.

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Mais depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Le blocus imposé en juin 2017 au Qatar par les EAU, l’Arabie saoudite, Bahreïn, et l’Égypte a provoqué une « crise politique » entre le Maroc et les Émirats.

D’un point de vue stratégique, le Maroc a toujours été considéré comme un allié privilégié des pays du Golfe, qui avaient même envisagé de l’intégrer dans le Conseil de coopération du Golfe (CCG).

De son côté, Mohammed VI demeure fidèle à un multilatéralisme de contingence qui privilégie les intérêts économiques aux positionnements idéologiques, l’objectif étant de renforcer les investissements des pétromonarchies au Maroc.

En joueur d’échecs, le roi Mohammed VI avait tenté de convertir la crise du blocus imposé au Qatar en une opportunité politique : dans un premier temps, il a marqué un semblant de neutralité vis-à-vis du blocus pour proposer, ensuite, sa médiation politique, avant de rallier subrepticement l’émirat du Qatar.

Dans un geste de reconnaissance, le Qatar a décidé de renforcer ses investissements et son appui financier dans de nombreux projets économiques au Maroc. Ce qui a incité les EAU à suspendre, de leur côté, de nombreux autres investissements dans le royaume, notamment dans les domaines immobilier et touristique.

Rapprochement tactique

Le déploiement de la diplomatie marocaine s’est traduit, d’abord, par la décision de Mohammed VI de se retirer, début février dernier, de la coalition arabe au Yémen.Alors que le climat était très tendu, le roi est parvenu à tirer son épingle du jeu en donnant l’impression qu’il avait changé de camp.

En réalité, son rapprochement tactique avec l’émirat de Qatar n’était qu’une manœuvre visant à mettre la pression sur les EAU et l’Arabie saoudite. L’objectif non déclaré étant d’inciter ces deux monarchies à convaincre Trump de soutenir la position marocaine sur le dossier épineux du Sahara occidental.

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Ensuite, en avril, le Maroc va prétexter la diffusion par la chaîne Al-Arabiya d’un documentaire hostile à l’intégrité territoriale du royaume pour rappeler son ambassadeur. Lors de sa tournée dans les pays du Golfe, il y a de cela quelques mois, le ministre marocain des Affaires étrangères et de la Coopération n’a pas fait escale aux EAU !

En acceptant un rapprochement somme toute inéluctable avec les EAU, Mohammed VI a pu bénéficier d’un soutien incommensurable de la part de l’administration Trump.

Ce revirement survient alors que le président américain tente de rallier le Maroc et les pays du Golfe autour de la question de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation en Afrique du nord. Pour se faire, Trump tente une réconciliation entre le Maroc et les EAU par le biais de la relance de la coopération bilatérale.

Ce travail de lobbying s’est traduit notamment par la tenue, le jeudi 21 novembre à Rabat, de deux événements majeurs. Le premier est d’ordre politique : il s’agit du lancement des travaux de la deuxième session de la commission conjointe maroco-émiratie, chargée des affaires consulaires. Celle-ci aura à traiter des questions portant notamment sur la circulation des personnes et la coopération sécuritaire.

Le second événement est d’ordre économique : il s’agit du lancement par le groupe émirati Imkan d’un projet commercial dont le coût est estimé à quelque 140 millions d’euros et qui devrait assurer une centaine d’emplois directs.

La relance des relations bilatérales entre le Maroc et les EAU a été vraisemblablement l’œuvre de l’administration Trump. Dans le sillage de cette manœuvre, le président américain aurait convaincu les pétromonarchies au sein du CCG de marquer une trêve.

En signe de réconciliation, ces dernières ont décidé d’enterrer, du moins momentanément, la hache de guerre, en acceptant ainsi de prendre part à la Coupe du Golfe arabe, organisée le 26 novembre au Qatar.

D’un autre côté, l’administration Trump a accueilli positivement les déclarations de la diplomatie marocaine, appelant à une coopération avec les Émirats et l’Arabie saoudite, notamment pour faire face à la menace iranienne. Une position exprimée, d’ailleurs, dans l’interview accordée, fin septembre dernier, depuis New York, par Nasser Bourita, à la chaîne émiratie Sky News Arabia.

Mike Pompeo en décembre

Sur le plan diplomatique, la visite d’Ivanka Trump, fille et conseillère du président américain, début novembre, traduit aussi la volonté américaine de consolider l’alliance stratégique avec le Maroc.

Le même mois, le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, avait co-présidé à Washington, avec son homologue marocain, la quatrième session du Dialogue stratégique Maroc/États-Unis.

À la fin de cette rencontre, Pompeo avait mis en avant « le leadership » du roi Mohammed VI dans « la promotion d’un programme de réformes audacieuses et de grande portée au cours des deux dernières décennies » !

Ce qui en dit long sur le laxisme de Trump envers un pouvoir qui régresse en matière de démocratie et de droits de l’homme

Le responsable américain est attendu début décembre au Maroc pour apporter un soutien politique, ô combien important, à un régime en crise.  Lors de cette visite, il sera notamment question de coopération sécuritaire par l’achat d’armement américain pour une valeur de presque un milliard d’euros !

Ce qui en dit long sur le laxisme de Trump envers un pouvoir qui régresse en matière de démocratie et de droits de l’homme, mais qui se permet, malgré tout, d’augmenter son budget militaire. Autant dire qu’on est là face à ce qui pourrait s’apparenter à un « deal politique ».


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