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Algérie : Louisa Hanoune libérée, Saïd Bouteflika et les ex-patrons des services secrets restent en prison

Rejugés en appel, le frère du président déchu et deux ex-patrons des renseignements ont vu leur peine de quinze ans de prison ferme confirmée. Seule la secrétaire générale du PT a été relâchée
Louisa Hanoune à sa sortie de prison, à Blida, le lundi 11 février au soir (AFP)
Par MEE à ALGER, Algérie

« Ma libération ne sera totale que quand il ne restera plus aucun détenu d’opinion. »

Libérée après neuf mois de prison, Louisa Hanoune, 65 ans, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT, trotskiste), n’est pas tout de suite rentrée chez elle. Submergée par les proches et les militants qui cherchaient à lui témoigner son affection, pressée par les journalistes de répondre à une multitude de questions, elle s’est rendue au siège du parti politique qu’elle dirige depuis les années 1990 et dont elle est députée depuis plus de vingt ans.

Rejugée en appel depuis dimanche par la Cour d’appel du tribunal militaire de Blida, à 50 km au sud d’Alger, cette figure de la gauche algérienne a vu, selon son avocat Me Boudjemaâ Guechir, sa peine réduite à trois ans, dont neuf mois ferme, déjà purgés.

En septembre, elle avait été condamnée à quinze ans de prison ferme pour « atteinte à l’autorité de l’armée » et « complot contre l’autorité de l’État » avec trois autres personnalités : Saïd Bouteflika, le frère et conseiller du président déchu Abdelaziz Bouteflika, Mohamed Mediène, dit « Toufik », patron des services secrets durant 25 ans (le fameux DRS, dissous en 2016), Athmane Tartag, dit « Bachir », ex-général-major et successeur de « Toufik » à la tête des « services ».

Ces derniers ont vu lundi leurs peines de quinze ans de prison confirmées en appel.

« Plan de déstabilisation »

Détenus depuis leur arrestation en mai 2019, les quatre accusés avaient écopé de quinze ans d’emprisonnement lors d’un procès éclair en première instance. Ils étaient accusés de s’être réunis en mars 2019 pour élaborer un « plan de déstabilisation » du haut commandement de l’armée, qui demandait alors publiquement le départ du président Bouteflika pour sortir de la crise née du hirak, mouvement de contestation né le 22 février.

Louisa Hanoune avait admis sa participation à une réunion avec Saïd Bouteflika et Toufik le 27 mars, au lendemain d’une déclaration du général Ahmed Gaïd Salah (décédé le 23 décembre à 79 ans) demandant publiquement le départ du pouvoir du président. Mais elle a nié tout complot.

Le parquet a requis lundi vingt ans de prison à l’encontre de Saïd Bouteflika et des deux ex-patrons des renseignements. Les avocats des trois co-accusés présents ont plaidé l’acquittement. 

« Je suis déçu mais pas découragé. Nous avons la possibilité de faire un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Nous avons huit jours pour le faire », a affirmé à l’AFP Me Farouk Kessentini, l’avocat du général Mediène.

Ce dernier avait dirigé durant 25 ans, jusqu’à son limogeage en 2015, le DRS, structurellement rattaché à l’armée mais dans les faits véritable « État dans l’état ».

Caricature de Dilem dans le quotidien Liberté, le 10 février 2020 (capture d’écran)

Comme en première instance, le procès en appel s’est déroulé à huis clos et peu d’éléments ont filtré des débats. Mais l’avocat de Mediène, dont les propos étaient cités dimanche dans le quotidien El Watan, se serait défendu en disant « avoir été invité à cette réunion en tant que conseiller pour discuter de la situation du pays ».

« À ce moment-là, Said Bouteflika était le vrai détenteur du pouvoir, une personne incontournable. Comment pourrais-je comploter contre l’État, alors qu’il incarnait ce même État ? À aucun moment je n’ai évoqué le limogeage de Gaïd Salah. Bien au contraire, j’ai dit que cette décision relevait des prérogatives du président, mais qu’elle n’était pas une priorité par rapport à la situation du pays. »

Le général Tartag, alias « Bachir », ancien chef de la Coordination des services de sécurité (CSS, qui avait remplacé le DRS démantelé), a quant à lui refusé de se présenter devant la cour.

« Un simple conseiller et homme de confiance »

« C’est une lourde peine. Mon client sait pertinemment que la conjoncture que traverse le pays n’est pas propice à un verdict léger. Il est l’otage du hirak », le mouvement de contestation populaire qui ébranle le pouvoir depuis près d’un an, a expliqué à l’AFP son avocat Me Khaled Bergheul.

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Principal accusé de ce procès, Saïd Bouteflika, 62 ans, fut l’influent conseiller spécial de son frère Abdelaziz durant ses vingt ans de présidence (1999-2019). Son pouvoir s’était renforcé au point d’être considéré comme le « président-bis », à mesure que déclinait la santé du chef de l’État, victime en 2013 d’un AVC qui l’a laissé paralysé et aphasique.

Selon l’accusation, Saïd Bouteflika entendait s’appuyer sur les ex-patrons du renseignement pour limoger le chef d’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah, jusque-là indéfectible soutien du chef de l’État qui l’avait nommé à ce poste en 2004.

Alors qu’il avait, lors du premier procès, refusé de répondre aux questions, selon El Watan, il s’est cette fois-ci défendu d’être à l’origine de la prise de décision en se présentant comme « un simple conseiller et homme de confiance », précisant que le président était bien celui qui « donnait son avis sur toutes les questions stratégiques ».

Pour de nombreux observateurs, les co-accusés apparaissent comme les vaincus d’une longue lutte de pouvoir ayant opposé, sous la présidence Bouteflika, l’état-major de l’armée et le DRS. La défense, pour laquelle le chef d’état-major est à l’origine des poursuites, espérait que son décès changerait « la donne » du procès. En vain.

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