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Annexion : Israël contrôle déjà plus de la moitié de la Cisjordanie

L’annexion ne ferait qu’officialiser une situation de fait : les deux tiers du territoire palestinien sont contrôlés par Israël et des colons y vivent en tant que citoyens israéliens
Un soldat israélien évacue une Palestinienne qui voulait cultiver sa terre dans le village de Yatta, près de la colonie israélienne illégale de Susya, dans le sud de la Cisjordanie occupée, en décembre 2012 (AFP)

Un état d’annexion de facto existe déjà sur le terrain dans la majeure partie de la Cisjordanie occupée.

Près des deux tiers du territoire palestinien, notamment la majeure partie de ses terres fertiles et riches en ressources, est déjà sous le contrôle total des Israéliens. Environ 400 000 colons juifs y vivent en jouissant de l’ensemble des droits et privilèges des citoyens israéliens.

Au moins une soixantaine de lois ont été rédigées par des députés de droite de la dernière Knesset pour faire passer Israël de l’annexion de facto à l’annexion de jure, selon une base de données compilée par Yesh Din, une ONG israélienne de défense des droits de l’homme.

Yesh Din souligne que le fait même que certains de ces projets de lois aient été adoptés constitue une forme d’annexion : « La Knesset israélienne se considère [désormais] comme l’autorité législative en Cisjordanie et considère y être souveraine. »

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Cet article fait partie d’une série intitulée « Affaire conclue » publiée par Middle East Eye qui examine combien des éléments attendus dans le soi-disant « accord du siècle » du président américain Donald Trump reflètent une réalité déjà ancrée concrètement sur le terrain. Une réalité dans laquelle le territoire palestinien est déjà annexé dans les faits, dans laquelle les réfugiés n’ont aucune chance de retourner un jour dans leur patrie, dans laquelle la vieille ville de Jérusalem est sous contrôle israélien, dans laquelle les menaces et incitations financières servent à saper l’opposition palestinienne au statu quo et dans laquelle la bande de Gaza est maintenue en état de siège permanent.

Paradoxalement, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou s’est opposé à bon nombre de ces projets de lois, bien qu’ils aient été rédigés par des membres de sa propre coalition.

Netanyahou a fait valoir que ce serait une erreur d’anticiper le projet de paix du président américain Donald Trump, insinuant par là que l’annexion figure effectivement parmi les priorités.

Des informations qui ont fuité suggèrent que Washington s’apprête à donner le feu vert à l’annexion d’au moins une partie de ce territoire dans le cadre de son accord, même si les difficultés politiques que connaît actuellement Netanyahou et sa décision d’organiser une nouvelle élection en septembre pourrait différer une fois de plus le moment d’entrer dans les détails.

Le Golan, un précédent

Trois événements récents font penser que l’annexion de tout ou partie de la Cisjordanie par Israël est à l’ordre du jour. 

En mars, le président américain Donald Trump a reconnu la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan, pris à la Syrie pendant la guerre des Six Jours et annexé par Israël en 1981, en violation du droit international. Cette décision américaine crée un précédent, laissant entendre que les États-Unis pourraient de la même manière approuver l’annexion de la Cisjordanie par Israël.

En avril, avant les élections législatives, Netanyahou avait déclaré qu’il utiliserait le prochain Parlement pour « étendre la souveraineté [israélienne] » à l’ensemble des colonies juives illégales en Cisjordanie, une expression privilégiée au terme « annexion » par les politiciens israéliens.

Environ 400 000 colons vivent en Cisjordanie dans 150 colonies officielles et 120 « avant-postes » (outposts), colonies soi-disant « non autorisées » mais en réalité secrètement subventionnées par l’État israélien depuis les années 1990. Ces colonies ont sous leur juridiction plus de 42 % du territoire cisjordanien.

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Début juin, l’ambassadeur américain en Israël, David Friedman, fervent partisan des colonies et un des architectes du supposé « accord du siècle » de Trump, confiait au New York Times qu’il pensait qu’Israël était « du côté de Dieu » et déclarait : « dans certaines circonstances, je pense qu’Israël a le droit de conserver une partie, mais probablement pas toute, la Cisjordanie. »

Soutien croissant en Israël

En Israël, le soutien à l’annexion va croissant : 42 % des personnes interrogées dans un récent sondage ont dit soutenir l’une de ses formes, contre 34 % en faveur d’une solution à deux États. Seuls 28 % des Israéliens ont rejeté explicitement l’annexion.

Dans les coulisses, les débats concernant l’annexion officielle des territoires palestiniens vont bon train en Israël depuis le début de l’occupation de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza en 1967. 

Les gouvernements israéliens successifs se sont toutefois montrés inquiets à la fois par le fait qu’il y aurait de fortes objections internationales (la plupart des États membres de l’ONU s’opposeraient à l’annexion d’un territoire reconnu par le droit international comme étant illégalement occupé) et par le fait qu’Israël ferait alors l’objet de pressions pour donner la citoyenneté aux Palestiniens résidant dans les régions annexées, y compris le droit de vote, ce qui porterait atteinte à sa majorité juive.

Des ministres israéliens de premier plan tels que Moshe Dayan et Yigal Allon ont compté parmi les premiers à proposer l’annexion de zones de la Cisjordanie. Ils ont établi des cartes pour un programme de colonisation permanente qui permettrait à Israël de conserver des pans entiers de la Cisjordanie, en particulier les terres les plus fertiles et les aquifères.

À la fin des années 1970 et dans les années 1980, un responsable du ministère de la Justice, Plia Albeck, a déclaré de vastes zones de Cisjordanie comme étant la « terre de l’État », ce qui permettait au gouvernement de la traiter comme une partie intégrante d’Israël et d’y construire des colonies.

Contraventions et commissariats

Israël applique ses lois aux colons et des dizaines de commissariats de police israéliens situés en Cisjordanie fonctionnent comme si le territoire avait été annexé, sanctionnant les Palestiniens pour des infractions telles que des excès de vitesse. Le recours ultime des Palestiniens en matière juridique est la Cour suprême d’Israël.

En 2011, cette cour a décidé qu’Israël était autorisé à exploiter plus d’une douzaine de carrières, l’une des ressources essentielles des Palestiniens, parce que l’occupation était devenue « prolongée » – une décision qui traitait la Cisjordanie comme si elle avait été annexée de facto. 

Depuis les accords d’Olso, les dirigeants israéliens ont tendance à apporter un soutien de façade à un quelconque État palestinien, à un moment donné à l’avenir. En pratique, ils ont encouragé l’expansion rapide des colonies. Cette politique est parfois appelée « annexion rampante ».

La droite israélienne a avancé un certain nombre de variantes, allant de l’annexion de tous les territoires palestiniens (y compris Gaza) à l’annexion limitée à certaines zones de la Cisjordanie.

Comment Oslo a donné le contrôle à Israël

Le cadre principal du débat israélien sur l’annexion est le processus d’Oslo, qui a temporairement divisé la Cisjordanie occupée en zones A, B et C en partant du principe que c’était en prélude au transfert de la souveraineté à l’Autorité palestinienne un jour. 

La zone C, qui représente 62 % de la Cisjordanie, est sous contrôle absolu d’Israël et c’est là que se trouve la majorité des colonies. C’est également dans la zone C que se trouvent la plupart des ressources en eau, agricoles et minérales.

La zone B, 20 % de la Cisjordanie, est sous le contrôle israélien en matière de sécurité et sous contrôle civil palestinien. Et la zone A, principalement les zones bâties palestiniennes sur 18 % de la Cisjordanie, est soi-disant sous contrôle intégral palestinien.

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L’option privilégiée par la plupart des membres du Likoud de Netanyahou implique l’annexion de zones peuplées de colons, soit environ 40 % de la Cisjordanie, situées pour la plupart dans la zone C.

Cette option maintiendrait les Palestiniens de Cisjordanie en dehors des zones annexées et permettrait d’éviter de leur conférer des droits de résidence ou de citoyenneté. L’Autorité palestinienne aurait une « autonomie limitée » – une sorte de rôle municipal glorifié – sur les fragments restants de la Cisjordanie. 

À la droite du Likoud, les opinions vont de l’annexion de la totalité de la zone C à celle de la totalité de la Cisjordanie et de Gaza, en passant par la création de « bantoustans » palestiniens inspirés du système d’apartheid raciste sud-africain. Certains suggèrent de recourir à la « tactique du salami », Israël s’appropriant progressivement la Cisjordanie.

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Le centre-gauche israélien craint que l’annexion officielle ne viole non seulement le droit international, mais ne nuise également à l’image d’Israël à l’étranger en encourageant justement les comparaisons avec l’Afrique du Sud de l’époque de l’apartheid. En l’absence d’un État palestinien, une minorité de juifs pourrait bientôt gouverner une majorité de Palestiniens.

Le centre gauche est également préoccupé par les coûts de l’annexion. Les Commandants de la sécurité d’Israël, un groupe de responsables de la sécurité à la retraite, soutiennent que l’annexion entraînera l’effondrement inévitable de l’Autorité palestinienne. 

En conséquence, ils estiment qu’Israël engagerait des coûts annuels compris entre 2,3 et 14,5 milliards de dollars, selon l’étendue de la zone de la Cisjordanie annexée. Il y aurait aussi une perte de 2,5 milliards de dollars d’investissements étrangers. Les soulèvements palestiniens pourraient coûter à l’économie israélienne jusqu’à 21 milliards de dollars.

Des économistes de droite comme Amatzia Samkai, du Caucus Eretz Israel, un groupe de pression, ont en revanche déclaré qu’Israël en tirerait des avantages économiques. Si la zone C est annexée, seul un petit nombre de Palestiniens aura droit aux allocations sociales israéliennes, a-t-il déclaré. Ces coûts, ajoute-t-il, peuvent être plus que compensés par une main-d’œuvre accrue et une baisse des prix de l’immobilier après la libération des terres de la Cisjordanie en vue de la construction de logements pour les Israéliens.

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Sur les 60 projets de loi d’annexion soumis à la Knesset, huit ont été adoptés.

Parmi les principales lois adoptées figurent :

  • l’annulation d’un conseil spécial chargé de superviser l’enseignement supérieur dans les colonies de Cisjordanie et le transfert de ses pouvoirs au principal conseil israélien pour l’enseignement supérieur ;
  • l’approbation rétroactive du vol de terres privées palestiniennes utilisées pour la construction de colonies. La position officielle antérieure était que les colonies ne devaient être construites que sur des terres qu’Israël avait déclarées comme étant des terres de l’État car n’appartenant pas à des Palestiniens ;
  • l’extension des avantages disponibles en Israël – des exonérations fiscales et des quotas de production d’œufs aux investissements dans les énergies renouvelables – aux colonies en Cisjordanie ;
  • l’unification du casier judiciaire utilisé par la police israélienne en Israël et en Cisjordanie ;
  • le transfert du pouvoir de trancher des affaires concernant la Cisjordanie à des tribunaux de niveau inférieur en Israël ;
  • l’interdiction aux entreprises de refuser de fournir des services aux colonies de Cisjordanie.

En outre, l’ONG Yesh Din note qu’Israël a récemment modifié sa position diplomatique et ses arguments juridiques concernant la Cisjordanie. Israël a ainsi rejeté le statut de territoire occupé de la Cisjordanie, affirmé son pouvoir d’y opérer et érodé l’obligation de protéger les droits et les biens de la population palestinienne. 

Une autre loi importante que Netanyahou est réputé privilégier – principalement pour des raisons personnelles car elle pourrait être utilisée pour le protéger des inculpations de corruption – est une loi, dite de dérogation (Override Law), qui priverait la Cour suprême d’Israël du pouvoir de révision judiciaire lui permettant de bloquer la législation annexant la Cisjordanie. Les groupes de colons promeuvent agressivement cette mesure.

Soutien palestinien ?

Du côté palestinien, un petit nombre, principalement des chefs d’entreprise, soutiennent l’annexion de la Cisjordanie. L’administration Trump les a mis en avant en tant que potentiels leaders alternatifs à l’Autorité palestinienne. La plupart des Palestiniens les considèrent comme des traîtres ou des collaborateurs.

L’homme d’affaires de Hébron Ashraf Jabari, par exemple, a conclu un partenariat avec des colons de la « Chambre de commerce de Judée et Samarie », en référence au nom biblique qu’utilise Israël pour désigner la Cisjordanie.

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La Chambre encourage les joint-ventures telles que des centres commerciaux le long des routes principales de la Cisjordanie, des initiatives touristiques et des projets d’infrastructure.

Conformément à la propagande israélienne, Jabari et d’autres ont sciemment cherché à présenter l’annexion comme étant similaire à la solution à un seul État que privilégie une partie croissante de la population palestinienne, en particulier ceux qui soutiennent le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).

« Nous devons penser à cette zone comme une seule entité, pas deux entités et deux réalités », a-t-il récemment déclaré aux journalistes.

Mais si certains Palestiniens sont favorables à l’annexion et à la réoccupation directe de la Cisjordanie par Israël, sans médiation de l’Autorité palestinienne, c’est parce qu’ils considèrent cela comme une condition nécessaire pour lancer une lutte pour les droits civiques ou contre l’apartheid en vue de réaliser une véritable solution à un État.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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